LIVRE – Cérémonies de Stéphane du Mesnildot

Posté le 21 décembre 2021 par

L’un des piliers de l’analyse contemporaine du cinéma asiatique, Stéphane du Mesnildot, signe un ouvrage sur L’Empire des Sens de Oshima Nagisa, Cérémonies, paru en septembre 2021 aux éditions du Lézard Noir.

Cérémonies retrace l’histoire de la production et des intentions de Oshima lorsqu’il écrit L’Empire des Sens. Pour ce faire, du Mesnildot prend le temps de contextualiser chaque élément du film, de son réalisateur, de l’histoire vraie dont il est adapté et de l’évolution de la société japonaise jusqu’aux années 70. L’auteur consacre les quatre premiers chapitres de son livre à la figure de la véritable Abe Sada dont Oshima retrace dans son film l’histoire d’amour passionnelle avec son amant Ishida Kichizo qu’elle finit par assassiner et castrer en plein acte sexuel. En prenant le temps de fournir des détails passionnants sur la vie de Sada depuis son enfance, du Mesnildot parvient à rendre une humanité à une femme devenue un véritable mythe de veuve noire, résumée depuis à la tragédie de sa relation avec Kichizo. Nous ressentons, en lisant l’histoire de la vie de Sada contée par du Mesnildot, énormément de compassion pour cette femme, détruite psychiquement après un viol survenu dans son adolescence et parvenue à se reconstruire dans un environnement hostile. De même, il est fort appréciable de trouver dans Cérémonies des références historiques constantes, qui enrichissent encore davantage les passages de récit biographique. Du Mesnildot retrace l’évolution du rôle des geisha, des liens troubles que ce métier pouvait avoir avec la prostitution, de l’intérêt grandissant des Japonais pour les histoires eroguro lié à un climat politique instable, etc. Aucune précision n’est superflue ou ne ralentit la lecture, chacune d’entre elle contribuant à créer un récit impeccablement clair, qui outrepasse les nombreux écueils en termes de stéréotypes associés au Japon du début du XXème siècle.

Du Mesnildot entame alors, une fois l’histoire vraie méticuleusement narrée, le récit de l’évolution du cinéma de Oshima et enfin, celui de L’Empire des sens. Il fournit là encore de nombreuses et diverses anecdotes sur le climat politique japonais de l’époque. Nous nous retrouvons plongés dans les périples de la contestation du peuple japonais post-Seconde Guerre mondiale, des révoltes étudiantes et de l’issue tragique et nihiliste de cette perspective de révolution qui n’aboutira finalement jamais. Du Mesnildot lie le désir des Japonais de parvenir à instaurer une société d’extrême gauche, mû en acceptation contrite du libéralisme, à celui, similaire, du peuple français durant la même période pour introduire la genèse de L’Empire des sens. Les arguments qu’il mobilise pour associer culture japonaise et culture française des années 60 et 70 sont tous très pertinents et convaincants et rendent impossible une exotisation du sujet. Il est rafraîchissant d’assister à un équilibre entre une foule d’éléments de contexte liés à la culture japonaise pour éclairer le spectateur sur la production du film et une approche plus globale des questions sur l’époque de la libération sexuelle et de politiques plus permissives.

La partie concernant l’analyse du film est, quant à elle, bien plus centrée sur le Japon, mais elle est, encore une fois, si référencée et détaillée qu’elle offre un véritable regard neuf sur un film qui a pourtant été à maintes reprises analysé et décodé. Le film étant volontairement très sensoriel et poétique, il est réjouissant de lire des interprétations qui vont dans ce sens et permettent d’éclairer sur le contenu, tout en s’attardant sur son impact sensuel. Les passages sur l’amour et la représentation du sentiment amoureux ainsi que son pouvoir subversif, en particulier, sont écrits avec une justesse qui transmet le lyrisme du sujet. Les passages descriptifs rendent eux aussi hommage au film avec un effort d’écriture et de transmission d’impressions qui contribuent à faire de la lecture de Cérémonies un véritable plaisir.

On ressort de cette lecture avec l’envie de s’attarder sur les détails du film qu’égrène du Mesnildot. En prime de susciter une curiosité renouvelée pour L’Empire des Sens, le livre fournit également une multitude de références d’œuvres concomitantes ou ayant pu inspirer la création du film, tout en s’attardant sur leur contenu. Cérémonies peut donc ainsi intéresser les cinéphiles friands de culture audiovisuelle japonaise, qu’elle soit subversive ou non, tout autant que les passionnés du film d’Oshima. Le lien effectué entre L’Empire des Sens et Patriotisme de Mishima (de même qu’une grande partie de l’œuvre du romancier japonais), pour ne citer que lui, élève les deux œuvres en en faisant le miroir l’une de l’autre.

Enfin, il est nécessaire de souligner que l’écriture de Cérémonies, très précise tout en demeurant accessible, peut s’adresser à un public cinéphile et formé à l’analyse filmique, ou non. Il en va de même pour les références à la culture japonaise qui sont systématiquement rendues intelligible, même lorsqu’il est fait allusion à des évènements historiques précis ou des parties de folklore moins connues à l’international. De fait, Cérémonies est alors tout aussi agréable à lire pour un profane de la culture japonaise que pour un amateur de celle-ci, de Oshima et de L’Empire des Sens, qui pourrait penser ne plus avoir besoin de se renseigner sur la question.

Elie Gardel.

Cérémonies de Stéphane du Mesnildot. Paru en septembre 2021 aux éditions du Lézard Noir.

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