VIDEO – Le Paradis ne se partage pas de Mike De Leon

Posté le 29 avril 2023 par

Sixième long-métrage du coffret Mike De Leon paru chez Carlotta Films, Le Paradis ne se partage pas sorti en 1985 fait office d’exception à la règle dans ce panorama, jusqu’ici sans faute, du réalisateur. Après des films tous plus fous esthétiquement que fortement politiques, il retourne à une forme plus tranquille et classique de mélodrame. Mais à l’inverse de C’était un rêve, il n’arrive jamais à faire de son film plus qu’un mélo sans surprise et très peu intéressant.

Melody et Noel deviennent frères et sœurs suite au remariage de leurs parents. Habités d’une haine viscérale l’un envers l’autre, le film suit leurs trajectoires respectives de l’enfance à l’âge adulte. Malgré leurs vaines tentatives de s’éloigner l’un de l’autre, ils ne cessent de se recroiser inlassablement.

Cette détestation extrême entre un frère et une sœur est, sur le papier, l’élément le plus intéressant et intriguant du film. Il n’y a par ailleurs aucune raison avancée par le scénario à cette haine incontrôlable qui rend nos personnages détestables dans leurs tentatives respectives de se nuire l’un et l’autre. Il aurait été intéressant de suivre cette myriade de personnages antipathiques se pousser dans leurs retranchements à la frontière de la morale, ce que le film semble faire timidement un moment, notamment lorsqu’il fait apparaître dans le récit de nouveaux protagonistes eux aussi inappréciables et immoraux à leur manière. Il aurait été intéressant aussi que cette haine dépasse ostensiblement la simple chamaillerie et plonge tête la première dans la méchanceté la plus profonde. Mais le film reste toujours très sage, ou du moins, se tient dans un entredeux difficilement supportable dans lequel ces personnages restent toujours bons (et donc se révèlent difficilement entièrement détestables) malgré leurs pics de méchanceté aussi radicaux que bêtes.

Coffre Carlotta Mike de Leon

Ainsi, faire usage de la manipulation et du mensonge ne sera jamais inhabituel pour Melody et Noel quand il s’agit de tenter de se détruire l’un et l’autre. Mais lorsque ce jeu se propage dans leur entourage et se soumet à des coups bas un peu trop bas, ils vont alors s’entraider le temps d’une trêve. Ou bien, lors d’un retournement de situation aussi attendu qu’incongru, cette haine inexplicable et dont la source semble n’être que la reconnaissance de l’existence de l’un par l’autre, se transforme magiquement en un ciment qui rapproche plus que jamais notre fratrie recomposée. Et même dans ce rapprochement, alors que Mike De Leon aurait pu insuffler un brin de subversion et de perturbation, le tout sonne très creux et craintif. On aurait pu explorer plus en profondeur le terrain trouble de l’amour entre ces deux personnages qui, réunis sous le coup de la famille recomposée, ne devraient pas s’aimer. Mais cet axe est traité comme une vulgaire amourette, expédié en fin de film sans qu’aucun ne soulève l’intérêt d’une possible relation aussi complexe (que cet intérêt soit du fait de l’impossibilité même de cette relation car nos personnages sont d’abord réunis sous l’égide du cadre familial, ou même d’une manière plus pragmatique, personne ne s’étonne du fait qu’ils se détestaient profondément et que cela change du tout au tout très abruptement, à commencer par nos principaux intéressés, Melody et Noel).

Ici se trouve donc le réel problème du film : tout y est superficiel, inexploré et programmatique. Ou plutôt, Mike De Leon ne fait rien de ce superficiel, n’explore jamais ce qui pourrait faire le sel du film, pas plus qu’il n’exploite son aspect programmatique. Pourtant ce n’est pas la première fois que le cinéaste fait face à de tels sujets dans sa carrière : C’était un rêve a tout de la comédie romantique et adolescente tout à fait banale, mais il investit cette forme non pas pour la dynamiter, plutôt afin de l’amener dans des recoins plus que fragiles, en se permettant même de lui donner une profondeur étonnante dans sa seconde partie. Il est aussi possible de citer Kisapmata, puisqu’il est difficile de faire plus programmatique que ce film : dès le début, nous sommes au courant qu’il s’agit de la simple adaptation d’un fait divers et que, par conséquent, les personnages vont mourir. Si l’on est le public philippin de l’époque, on connaît alors très bien le fait divers et donc déjà tous les tenants et aboutissants de la situation. Il utilise cette connaissance du spectateur envers son sujet pour jouer sur les non-dits et instaurer une angoisse profonde et insupportable, pour transformer cette simple chronique de fait divers en un film d’horreur tétanisant aux allures de tragédie grecque.

Voici ce qu’il manque au long-métrage : l’investissement de Mike De Leon dans les formes qu’il convoque. Cela donne parfois l’impression de n’avoir du cinéaste que sa caméra toujours aussi bonne. Et encore, si l’on reconnaîtra aisément au film ses qualités photographiques indéniables, la mise en scène, elle, est plus complexe à juger tant elle reste, elle aussi, en surface. De même que les problématiques sociétales chères à Mike De Leon, comme les questions de classes mais aussi de sexes avec ses personnages féminins, semblent incorporées dans le film aux forceps et relèvent presque de l’auto-pastiche. Il y avait pourtant un matériel plus qu’intéressant à exploiter dans son film, à commencer par le jeu immoral et ostensiblement capitaliste qui se met en place entre nos deux personnages et qui ressemblerait presque à un Monopoly grandeur nature. Mais une fois de plus, de ce jeu il ne tire rien de politique, rien de profondément immoral, et ne l’utilise que pour faire avancer mollement son intrigue. Les conséquences de ce jeu se rapprochent alors des chemins d’une réelle partie de Monopoly : tandis qu’un des deux joueurs se fait avoir, loin de faire faillite et de tout perdre, le film semble passer à autre chose et ne donne à voir comme incidence que la simple victoire d’un des deux joueurs sur l’autre. Une fois le jeu terminé, on peut passer à la partie stérile suivante entre Noel et Melody.

En somme, Le Paradis ne se partage pas n’a rien de catastrophique, mais tout de même quelque chose de très dérangeant puisque le film ne fonctionne ni en tant que mélo, ni en tant qu’hybride. Tout y est fait à moitié : les personnages ne sont pas entièrement détestables, la situation n’est moralement ambigüe que sur le papier, la forme mélodramatique semble investie non pas dans sa profondeur mais dans sa coquille faite de clichés… Le film fait du surplace cinématographique et ne se soucie que de mener à terme son intrigue tantôt divertissante, tantôt pénible. Il reste possible de passer un bon moment devant, à condition d’aimer le mélodrame lourd et indiscret et de se laisser bercer par les nombreux rebondissements, ainsi que par la superbe performance des acteurs. Mais ce qu’il faut surtout reconnaître, c’est qu’avoir comme pire film Le Paradis ne se partage pas dans sa longue carrière s’avère être véritablement un exploit : il est l’exception très moyenne à la règle toujours grandiose.

Thibaut Das Neves

Le Paradis ne se partage pas de Mike de Leon. Philippines. 1985. Disponible dans le coffret Blu-ray Mike de Leon – Portrait d’un cinéaste philippin en 8 films le 21/03/2023 chez Carlotta Films

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