VIDEO – C’était un rêve de Mike De Leon

Posté le 1 avril 2023 par

Second long-métrage de Mike De Leon, C’était un rêve sorti en 1977 est un teen movie romantique lorgnant discrètement du côté de la comédie musicale, qu’on ne soupçonnerait pas venir du même réalisateur qu’Itim. Alors que le premier avait pour nœud narratif et motif visuel central l’obscurité (qui donnait même son titre au film, « Itim » signifiant « noir » en tagalog), le second opte plutôt pour des couleurs éclatantes et une ambiance guimauve à souhait. Le film est disponible dans le coffret de Carlotta.

Joey, jeune étudiant de biologie à la fac et à la tête d’un groupe de musique, fait l’expérience du coup de foudre en croisant sur son campus Ana, jeune fille venant tout juste d’arriver. Tandis qu’il tente de la courtiser, il se rend compte qu’Ana, n’ayant alors que 22 ans, est déjà mariée et mère.

Le fait le plus étrange de C’était un rêve est possiblement sa première partie : elle possède tout de la comédie romantique banale, à la seule différence qu’un doute subsiste quant à la posture de Mike De Leon sur les images qu’il est en train de créer. Après avoir vu Itim, il est difficile de croire que le cinéaste se retrouve dans une proposition si éloignée de son précédent film. Mais le plus compliqué à entendre est probablement qu’il le fait tout à fait sérieusement : lors de cette première partie, les clichés s’enchaînent et l’on ne sait plus très bien si nous rions avec le film ou bien de lui. Le doute est d’autant plus présent qu’il y a dans le rapport entre image et musique quelque chose de suspect, de presque godardien, qui semble être à l’exact opposé de l’intention manifeste du cinéaste (s’investir totalement dans ce genre sans jamais se placer contre lui). Puisqu’en effet, cette musique, en plus d’être omniprésente au point de paraître absurde, va parfois être assez forte pour recouvrir légèrement les dialogues des personnages. Cette dissonance suspecte, qui se manifeste tant par la musique que par d’autres éléments du films et qui accompagne tout cette première partie, empêche alors toute position de surplomb (en prenant par exemple le film pour un nanar) mais paradoxalement, elle empêche aussi de se plonger totalement dans ce petit rêve béat d’adolescent. Quelque chose cloche.

Et alors que Joey fait son premier rencard avec Ana, il se rend compte qu’elle est mariée et possède un enfant. A partir de cette révélation, cette musique dissonante s’arrête et le tout devient un peu plus grave. Les enjeux dépassent maintenant le cadre du genre dans lequel le film s’inscrit. Par ailleurs, nos héros paraissent d’un coup bien moins adolescents que ce que le film ne le laissait entendre (entre Ana qui est déjà mariée et mère, et Joey qui révèle avoir 23 ans). Cependant, il serait étrange de considérer cette première partie comme une mise en place propice à un effet de révélation (qui est de toute manière présente dans le synopsis original du film). Plus que cela, cette première partie est tout autant une note d’intention qu’une indication un peu précoce de la thématique centrale du film : l’aliénation.

Cette petite amourette impossible entre Joey et Ana n’est pas un enjeu qui semble passionner le cinéaste : il la traite comme un fantasme, à l’image de cette introduction où tout est factice au possible et dissonant. En parallèle de cette amourette, le cinéaste insiste surtout à dépeindre la vie de nos deux personnages. Ana n’est plus heureuse avec son mari, ils ne sont jamais ensemble et de surcroît il contrôle le moindre détail de sa vie. Joey, lui, est perdu. À 23 ans il hésite à recommencer la fac une énième fois et une vieille histoire d’amour le hante. Ce faux retournement de situation, redistribuant tout de même les cartes du récit, a surtout pour effet d’opposer à cette première partie factice et fantasmatique au possible une résurgence désagréable du réel chez ses personnages.

Il ne faut pas pour autant voir ce film en deux parties radicalement antagonistes, dont l’une serait meilleure que l’autre, qui serait nanardesque et moqueuse. Au contraire, cette première partie utilise le genre pleinement, tandis que la seconde vient accoler au genre ultra-codifié un peu de disruptif qui s’avère complémentaire. Il y a dans C’était un rêve une réelle volonté de redéfinir le divertissement. Tout comme nos deux personnages principaux, ce divertissement de début de film est un fantasme inaccessible qui n’éloigne en aucun cas leurs véritables problèmes. Le film se centre donc, non pas sur l’idylle amoureuse de nos personnages qui serait traditionnellement le remède à leurs maux, mais plutôt sur leurs problèmes personnels. Il fait le choix conscient de préférer le réel au fantasme, de se confronter à ce qui ne va pas plutôt qu’à ce qui sert de pansement. Le divertissement que représente le film ne se voit alors pas condamné, mais légèrement décalé : il n’est plus question de s’identifier à des personnages fuyant leur douloureux quotidien (pour Joey, son quotidien d’étudiant bientôt fauché et ses traumas, pour Ana, son quotidien de femme au foyer aliénant), mais de se confronter à ce dernier. La fin, sans la révéler, vient confirmer de manière cruelle et implacable que le fantasme, même si agréable, n’est en aucun cas la solution salvatrice pour nos personnages.

C’était un rêve est donc véritablement un étrange film. Aussi pop et niais que dur et âpre, Mike De Leon joue une fois de plus très subtilement avec les conventions qu’il convoque en proposant une énième variation de ses thèmes derrière cet enrobage très convaincant de comédie musicale adolescente. Il apparaît certes bien plus faible qu’Itim, mais gagne en étrangeté et paradoxalement en complexité. Il est la parfaite transition entre son premier long-métrage hypnotisant et le délirant Frisson ? qui le succède en 1980.

BONUS : le making-of du film

Si C’était un rêve possède bien plus de budget qu’Itim, force est de constater avec ce making-of que les moyens débrouillards pour filmer certaines séquences sont toujours de mise. L’on y retrouve des travelings effectués à l’aide de chaises roulantes, mais aussi de spectaculaires plans tournés en voiture avec l’équipe technique qui, courant derrière cette dernière, arrive tout de même à maintenir l’illusion d’un plan tout à fait normal et stable.

Le making-of reste tout de même bien moins intéressant et plus banal que celui d’Itim. Des scènes coupées (ou rallongées) sont incorporées au montage, entre deux séquences montrant le tournage et des interviews de l’équipe, le tout étant rassemblé dans un montage musical collant parfaitement à l’ambiance délicieusement kitsch film, l’occasion de poursuivre l’expérience d’un autre point de vue.

Thibaut Das Neves

C’était un rêve de Mike De Leon. Philippines. 1977. Disponible dans le coffret Blu-Ray Mike De Leon en 8 films – Portrait d’un cinéaste philippin le 21/03/2023 chez Carlotta Films

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