Dernier disque du coffret PTU Intégrale paru chez Spectrum Films, Tactical Unit: Partners est le second film que Lawrence Ah Mon (alias Lawrence Lau) a réalisé pour la saga dédiée aux forces de police hongkongaises initiée par Johnnie To.
Chan, un métis sino-indien, sort de prison après avoir endossé la responsabilité d’une action criminelle dans le gang de son cousin. Il apprend que son jeune frère est entré dans cette mafia et essaie par tous les moyens de l’y en sortir. Les agents de la Police Tactical Unit et de l’antigang essaient de gérer tant bien que mal cette criminalité, en même temps que l’hostilité de la population vis-à-vis de ces immigrés.
Une fois encore, Lawrence Ah Mon se révèle brillant dans son utilisation de la franchise PTU pour porter sur le devant de la scène des sujets quasiment inédits dans l’industrie du cinéma hongkongais. Alors que Tactical Unit: No Way Out arborait les couleurs et la dignité des pauvres extrêmes de Temple Street – qui n’a pas à rougir face à la pertinence d’un Dodes’kaden de Kurosawa Akira – Tactical Unit: Partners relègue au second plan les héros de la franchise campés par Lam Suet, Simon Yam et Maggie Siu pour focuser presque intégralement sur la minorité indienne de Hong Kong. Hong Kong ayant été un territoire sous la coupe du Royaume-Uni comme l’Inde, un flux migratoire naturel s’y est développé. Il est alors beaucoup plus étonnant que les Indiens soient complètement invisibles dans le cinéma de la ville au port parfumé. Hormis quelques figurants pour incarner l’armée coloniale dans Le Marin des mers de Chine de Jackie Chan, d’un tiers rôle mutique dans Durian Durian de Fruit Chan, et une évocation appuyée mais somme toute limitée des travailleurs en provenance d’Asie du Sud dans People’s Hero de Derek Yee, les apparitions d’autres ethnies que les Chinois et les Occidentaux sont rarissimes. Lawrence Ah Mon a toujours eu à cœur, lorsqu’on écoute ses interviews, d’aller dans le sens de la justice sociale et de réparer des manquements dans l’industrie. Pour cela, il demeure un cinéaste très précieux, quasiment le seul à offrir un point de vue aussi alternatif à Hong Kong, et il est important de continuer à redécouvrir sa filmographie.
Parler moins de Sam, Kat et Fat que de Chan est osé, mais salvateur. Nos héros ont vu leur trajectoire largement explorée dans toutes les directions le long de la saga, leur vie personnelle comme professionnelle, offrant ainsi une réflexion de taille sur les pratiques policières à Hong Kong (même si aucune suite n’est parvenue à la hauteur du regard acéré et désabusé de Johnnie To). Le fait que Chan soit un métis permet de faire la jonction entre les deux groupes de protagonistes, entre l’audience chinoise du film et une partie de leur population qu’ils connaissent probablement mal. Et dans le même temps, ce statut que Chan possède est un ressort dramatique : coincé dans un entre-deux, il se révèle particulièrement mal à l’aise dans cette société bétonnée et impitoyable.
Moins stylisé que No Way Out, Partners se veut plus néo-réaliste et vivace. Les séquences de tension sont effectuées caméra à l’épaule, de telle sorte que le tremblement du plan fasse ressentir le stress ambiant. Allant jusqu’au bout de son intention et n’omettant aucun témoignage, Lawrence Ah Mon fait parler l’oncle de Chan, né en Inde, d’une bien belle manière, et dont les mots donnent idée de ce que c’est d’être un immigré pauvre à Hong Kong ; il pense également à faire s’entremêler le milieu souterrain indien avec celui des Philippins, autre grand contingent d’immigrés, par le personnage de la domestique de Kat et sa cousine, devenue prostituée. Les Philippines sont en effet très employées dans les métiers d’entretien (le film à segments Where are you going y consacre un sketch complet). Lawrence Ah Mon va jusqu’à faire intervenir, brièvement, un acteur philippin non-professionnel pour une scène où Kat et sa domestique recherchent des témoignages à propos de la cousine de cette dernière. Le crédit du portrait d’une société hongkongaise en marge est total.
En 6 films, PTU s’est révélé une franche réussite. Si Johnnie To a lâché une bombe en questionnant les pratiques policières, l’apport de Lawrence Ah Mon est clairement le plus détonnant, et le plus beau. Au plus proche d’un certain réalisme pour une vraisemblance convaincante, il déploie avec agilité une dramaturgie du plus bel effet dans les deux opus qu’il a réalisé.
Bonus du disque 6
Entretien avec Yannick Dahan (40 minutes). Yannick Dahan s’est exprimé à plusieurs reprises dans les bonus Spectrum Films des productions Milkyway Image, ne masquant pas sa réticence quant aux qualités d’auteur de Johnnie To. Que l’on apprécie ou pas la fond de la pensée de Dahan à propos de Johnnie To, il développe ici un discours relativement cohérent et enthousiaste quant aux qualités de PTU et la singularité qu’occupe l’œuvre dans la filmographie de Johnnie To. En plein envolée lyrique, il explique en quoi PTU relève d’un travail de découpage exceptionnel et pourquoi le film est aussi important dans la filmographie du réalisateur, lui qui avait la charge de maintenir sa société à flot en produisant de nombreux travaux purement commerciaux mais malgré tout, prenant tous ses week-end pendant trois ans pour réaliser petit à petit ce film. Dahan explique d’ailleurs que ce n’est pas le travail purement pictural et spatial du film qui est intéressant, mais plutôt l’évocation constante de la bassesse humaine face à un environnement bétonné et capitaliste qui renforce les personnages dans leur médiocrité.
Maxime Bauer.
Tactical Unit: Partners de Lawrence Ah Mon. Hong Kong. 2008. Disponible dans le coffret PTU Intégrale paru chez Spectrum Films le 31/12/2021