Genus Pan, film présenté au festival de Venise 2020, et désormais disponible sur Mubi, poursuit l’étude de l’âme humaine du cinéaste Philippin Lav Diaz.
Trois hommes chassent un trésor dans la jungle, mais l’appât du gain va réveiller la bête qui sommeille en eux et les faire sombrer dans la folie.
Le cinéma de Lav Diaz, dense mais pourtant limpide, impressionne beaucoup. Comme une montagne impossible à escalader, une épreuve qu’on repousse parce qu’elle semble totalement insurmontable. Quand on s’y penche et s’y perd, l’œuvre du Philippin apparaît moins monumentale, à hauteur d’homme, humble, juste, aussi emplie de rage que de poésie. Genus Pan, son dernier film, ne fait pas exception, offrant même une porte d’entrée idéale.
Depuis 2016, Lav Diaz semble de plus en plus questionner l’idée de genre au cinéma, s’attaquant à un registre différent pour raconter les mêmes luttes, sonder l’âme humaine et proposer une radiographie d’un pays et d’un monde en perdition : film de super-héros pour La Femme qui est partie (2016), comédie musicale avec La Saison du diable (2018) ou dystopie dans Halte (2019). Genus Pan continue l’exploration et les expérimentations avec une sorte de film noir qui vire à l’horreur.
Le titre fait référence au nom scientifique donné aux chimpanzés et bonobos, ceux d’avant dans l’évolution, nos « cousins », les maladroits, qui ne savent s’exprimer que par des grognements et des signes, qui tapent et crient. Les humains de Genus Pan s’en moquent quand ils les voient perchés dans un arbre, mais finissent par voir rouge quand ils se rendent compte qu’ils sont juste un miroir tendu. Diaz pose son récit dans des Philippines qui ne disent pas leur nom. Les personnages l’appellent « Isla Hugaw », l’île sale, l’île égout, où tous les rebus viennent s’échouer. Il y fait très chaud, la lumière y est vive, même la nuit, la saleté des âmes mise en lumière, impossible à cacher.
Les personnages se perdent dans la jungle, qui devient autant espace mental que monde à part entière. Lav Diaz est un créateur de monde, avec son passé, son présent, son futur qui s’entremêlent. Les histoires folkloriques côtoient les drames personnels, les fantômes sont aussi morts que vivants. En cela, le pont entre Diaz et un cinéaste comme Apichatpong Weerasetakhul apparaît évident. Deux alchimistes, deux démiurges, travaillant la durée, faisant se côtoyer les époques, les vivants et les morts. Genus Pan prend le temps de raconter son monde, par la parole d’abord, beaucoup. Les personnages narrent leurs histoires, celui d’un pays maltraité, colonisé, exploité, violé, mais aussi fantasmé. Puis par l’image. Chaque plan est une invitation à se perdre, à laisser son œil dévier sur un détail ou à rêver, cauchemarder aussi parfois.
Car Genus Pan en déployant son récit commençant comme une variation du Trésor de la Sierra Madre de Huston, pour emprunter ensuite autant à Rashomon qu’au cinéma d’horreur ou social, fait preuve d’un nihilisme et d’un jusqu’au boutisme fascinant. Sur Isla Hugaw, il n’y a plus d’être humain, ne reste plus que des bêtes, violentes, cupides. Les Genus Pan du titre sont là. L’histoire d’hommes qui pensent avoir évolué mais qui restent des chimpanzés. Aucuns motifs d’espoir ne sont permis, des mineurs aux représentants de la loi de la dernière partie, tous ont atteint le dernier stade de régression, assassinant, corrompant, mentant. Ils se meuvent dans cette jungle semblant immaculée, pervertissant tout ce qu’ils touchent. Les femmes, dont Mariposa -papillon en espagnol- sont les seules victimes. Elles sont à peine présentes, figées, en pleurs, ou pressées par les personnages masculins violents. C’est à peine si elles sont audibles. Les Genus Pan ont pris le contrôle, d’une île, d’une culture, de croyances belles et fortes, d’un passé difficile dont on pourrait se servir pour apprendre. Non, les chimpanzés et les bonobos contrôlent le monde.
Jérémy Coifman.
Genus Pan de Lav Diaz. 2020. Philippines. Disponible sur Mubi