BLACK MOVIE 2023 – Farewell, My Hometown de Wang Erzhuo : it’s not just me, it’s everybody

Posté le 21 janvier 2023 par

Farewell, My Hometown, présenté au Black Movie 2023, est un instantané de la Chine contemporaine mais pas seulement. A travers la captation et la documentation de différents parcours de femmes, de différents âges et de différents milieux, Wang Erzhuo dépeint un état des relations humaine. Le jeune cinéaste chinois parvient à exprimer une mélancolie qui semble simple mais est en réalité dense comme l’époque.

Farewell, My Hometown se présente d’abord comme un agencement de portraits de femmes. On suit les corps des femmes dans leur quotidien, pendant que leur voix racontent des moments cruciaux de leur vie et parfois nous décrivent ce que nous voyons ou pourquoi nous le voyons. Avec ce dispositif simple, Wang Erzhuo nous permet d’être attentifs aux échos et aux différences entre les portraits. Comment ses femmes se croisent, parfois même à l’image ou au contraire s’éloignent dans leur vision du monde ou des relations. Toute cette poétique repose sur le jeu entre les captations à longue distance, et les plans plus rapprochés, dans les appartements ou les lieux publics mais également avec les photos ou des plans vides. Farewell, My Hometown inscrit le corps des femmes qu’il montre dans le monde qu’elles arpentent, souvent seules. La longue focale du cinéaste nous donne l’opportunité d’apprécier ses compositions notamment lors de la seconde histoire d’une jeune femme danseuse qui a emménagé à Beijing. La voix de la jeune femme nous raconte sa vie, sa séparation avec ses parents pour poursuivre son rêve de devenir danseuse, sa rencontre ratée avec son « vrai »père, son histoire d’amitié avec une autre jeune femme danseuse et actrice. Ce que l’on voit pendant ce flot de paroles, c’est la solitude qui émane des espaces de la capitale chinoise, comme de celle des moments rapportés de la jeune femme. Il semblerait que sa propre histoire de solitude ne soit qu’une parmi celle de l’ensemble des habitants de Beijing. C’est la configuration même de l’espace qui isole les individus ou du moins réduit leur champ de vision, et qui leur donne l’illusion que le monde n’est qu’un remous mécanique ou les voix de chacun résonnent sans réponse.

Les jeux de montage et la construction linéaire du long-métrage chinois jouent sur les contrastes de ces espaces. Si Beijing produit une solitude presque universelle dans la modernité mondiale, la première histoire est celle d’une femme plus âgée qui retourne dans son village. Les mêmes plans d’ensemble, qui isolent les corps, nous donnent cette fois l’impression qu’ils les accordent enfin à quelque chose de plus grand et de tangible, la forêt. Ainsi cette femme se remémore sa jeunesse, comme si les arbres lui redonnaient les souvenirs qu’ils avaient gardés, comme si le vivant pouvait justement redonner la vie ou du moins une certaine vitalité, voire le souvenir d’avoir vécu. Ce sont dans les contrastes à cette échelle que Farewell, My Hometown est le plus intéressant, même si le rythme et le ton presque monochrome peuvent parfois nous perdre dans le tableau que tente de dresser Wang Erzhuo. Comme l’histoire de cette femme professeure qui a le droit à un soucis du détail et d’attention que les autres n’ont pas malgré la tonalité constante de l’œuvre. Ou comme lorsqu’on aperçoit le cinéaste lui-même comme le petit ami d’une fille qui ne vit plus que par les images que renvoie son couple. Dans ses élans de mise en abyme, le cinéaste casse parfois l’équilibre qu’il avait précisément installé dans les deux premiers portraits. Néanmoins, sa peinture des relations contemporaines reste fascinante. Surtout lorsqu’on se rend compte que l’histoire de la Chine récente que nous laisse entrapercevoir ses femmes en filigrane, est à la fois le passé de nos sociétés et probablement leur futur. Il n’y a pas de plus grand vertige de réaliser que le présent n’est qu’un état de changement imperceptible dans son expérience mais figé une fois qu’il n’est plus. La constance, c’est l’adieu.

Kephren Montoute

Farewell, My Hometown de WAng Erzhuo. 2021. Chine. Projeté au Black Movie 2023

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