VIDEO – Zatoichi, le masseur aveugle de Misumi Kenji

Posté le 8 mars 2024 par

Misumi Kenji était un réalisateur majeur de l’âge d’or du cinéma japonais. Dans les années 1960 et 1970, il a composé de véritables chefs-d’œuvre du chanbara qui contribuèrent à la renommée du cinéma de l’archipel nippon d’alors. The Jokers lui dédie un coffret en version Blu-ray et en version 4k UHD, avec notamment Zatoichi, le masseur aveugle, qui nous intéresse dès à présent.

Zatoichi est un masseur itinérant aveugle, et un yakuza respecté par de nombreux parrains. En voyage à Iioka, il vient à la rencontre du chef du clan local. Ce dernier prépare une guerre de territoire et espère que Zatoichi se joindra à lui, connaissant ses capacités de sabreur. Mais Zatoichi refuse, car il se sait méprisé par le parrain, et parce qu’il a fait la connaissance du mercenaire embauché par le clan adverse, qu’il respecte. En parallèle, Zatoichi inspire l’affection d’une jeune femme, sœur de l’homme de main dont il a été affublé…

Sorti en 1962, Zatoichi, le masseur aveugle est le premier opus d’une série longue de 26 films de cinéma et d’un feuilleton télévisuel, qui deviendra indissociable de la renommée de l’acteur Katsu Shintaro. La figure de Zatoichi est inspirée d’un très court récit littéraire paru en 1948, écrit par Shimozawa Kan. La saga flirtera tout le long de son existence avec la notion de « eastern« , où la figure du bretteur est comparable à celle d’un cowboy venu remettre de l’ordre dans un village à l’écart où règne la corruption. Ce concept trouve paradoxalement l’une de ses origines au Japon avec le Yojimbo de Kurosawa Akira en 1961, lui-même inspiré des western américains, et plus tard plagié par Sergio Leone avec Pour une poignée de dollars. Le personnage de Zatoichi étant également un yakuza, son aura oscille entre l’ambiguïté de son appartenance au monde de l’ombre et l’élan héroïque altruiste qui l’anime constamment. Tout repose sur la composition complexe et intense de Katsu Shintaro, qui semble vraiment faire corps avec son personnage.

Ce premier épisode a l’immense qualité de ne pas être une origin story. Tout ce qui caractérise Zatoichi est déjà présent : sa propension à voyager, le respect qu’il inspire (ou qu’il est censé inspirer) aux chefs de clan, son infirmité transmutée en invincibilité au sabre et son code d’honneur. Zatoichi arrive dans le village de Iioka au tout début du film et tous ces éléments sont insérés via quelques dialogues en tout simplicité et de manière fluide. Dès lors, le charisme du personnage peut opérer. De surcroît, le métissage du chanbara eiga (film de sabre) avec le yakuza eiga (film de yakuza) offre un potentiel immense à cette franchise en devenir. Si l’allure du film est bien celle d’un film de sabre et d’époque, ses thématiques sont profondément reliées à celles de la mafia, et à travers elles, de la condition humaine. Ceci est déjà palpable dans le premier film de l’épopée du masseur aveugle, puisque les parrains, leurs hommes de main et leurs ambitions sont parfaitement caractérisées, et montrées comme la source de la corruption de la société humaine. Zatoichi apparaît alors comme celui qui remet l’équilibre en place, en détruisant les yakuzas outrepassant leur simple prérogative de gestion de salles de jeu clandestines (la source de leur existence pour beaucoup d’entre eux).

La saga Zatoichi a marqué le cinéma d’arts martiaux, et notamment la manière pour les réalisateur japonais de filmer ce registre. Ici, et pour les films à venir, Zatoichi ne fait pas de grands mouvements et de grands cris, il dégaine silencieusement et sèchement sa canne-épée, devant un parterre d’ennemis qui se méfient de lui, mais prêts à profiter de son infirmité pour se faire croire qu’ils ont l’aval sur lui. La mise en scène ciselée des combats fait rentrer le cinéma martial japonais dans une tradition du suspense et de la tension, où le spectateur scrute le moindre mouvement des combattants, qui en un battement de paupière peuvent fondre sur Zatoichi, et à ce dernier de bloquer et renchérir par un coup mortel, sur plusieurs sabreurs à la fois si nécessaire. Il s’agit de l’inverse des films d’arts martiaux chinois et hongkongais, où la tradition de la mise en scène réside dans des gestes amples et des sauts, issus de la tradition théâtrale et artistique globale chinoise.

À la vue des nombreux chanbara que tout cinéphile amateur de cinéma japonais peut avoir à disposition à l’heure actuelle, Zatoichi, le masseur aveugle fait figure de prototype, par certains aspects. L’amitié/rivalité avec le guerrier du camp adverse, le parrain félon et le love interest auquel le héros renonce sont autant de motifs à venir dans les récits de samouraï de l’ensemble de la fiction japonaise jusqu’à aujourd’hui. Si tout est présent dans ce long-métrage de 1962, tout y est aussi encore brut, au point que ce Zatoichi peut paraitre un tantinet désuet. Zatoichi, le masseur aveugle a le mérite de mettre le pied à l’étrier à ce protagoniste si épais, en annonçant déjà l’écriture des prochains épisodes, dans lesquels le personnage se verra mis en scène dans des situations plus élaborées. Certains autres chefs-d’œuvre de la saga seront réalisés de la main de Misumi Kenji, entre autres excellents cinéastes.

 

BONUS

Le film a été testé dans son édition 4k UHD. L’image est parfaitement nette, d’une extrême limpidité et le noir et blanc se révèle particulièrement intense.

Le disque comporte 3 modules vidéo bonus.

Présentation du film par Fabien Mauro (30 min). Le spécialiste du cinéma japonais revient avec passion et érudition sur tout le préalable à la création du film à l’orée des années 1960, notamment la santé financière déclinante de la société Daiei qui cherchait un moyen de contrer la concurrence de la télévision. Fabien Mauro réalise le portrait des acteurs principaux et notamment Katsu Shintaro, pour lequel Zatoichi est un film charnière dans sa carrière, jusque-là plus ou moins cantonné à des rôles de méchants patibulaires. Il explique l’héritage de la saga, qui a principalement existé de 1962 à 1973 mais qui connaîtra quelques films-héritiers.

Présentation du film par Miike Takashi (3 min). Cette archive du DVD Wild Side des années 2000 est l’occasion de voir un grand cinéaste évoquer un grand film qu’il n’a pas réalisé, même si l’accroche n’est guère riche en information.

« Le guerrier handicapé », module autour de la figure du combattant handicapé dans le cinéma (13 min). Vidéo réalisée pour le DVD de Wild Side en 2004 par Julien Sévéon, ce petit documentaire balaie de nombreuses figures héroïques de ce cinéma de genre, en évoquant des franchises extrêmement méconnues. Très intéressant.

Maxime Bauer.

Zatoichi, le masseur aveugle de Misumi Kenji. Japon. 1962. Disponible dans le coffret Misumi Kenji paru chez The Jokers le 22/11/2023, en version Blu-ray et en version 4k UHD.

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