FFCP 2020 – The King of Pigs de Yeon Sang-ho

Posté le 29 octobre 2020 par

Alors que Peninsula est sorti la semaine dernière, le premier coup de maître de Yeon Sang-ho, le film d’animation The King of Pigs, devait sortir en salles le 4 novembre. Le Festival du Film Coréen à Paris (FFCP) en profite donc pour organiser une belle avant-première de ce film indispensable pour comprendre l’évolution du cinéma d’animation coréen. Un grand film tout court.

L’animation et la Corée du Sud forment un couple surtout quand il s’agit de sous-traitance. Beaucoup de studios étrangers, essentiellement japonais mais aussi européens et américains, profitent des prix bas dans le pays pour réaliser différentes étapes de la production. Contrairement au cinéma de prises de vue réelles, le cinéma d’animation du pays ne jouit pas de la vitalité de l’industrie ni de la bonne disposition du public. C’est une explication au fait que Yeon Sang-ho a dû réaliser son film avec un budget très limité : 100 000 euros (le budget d’un long-métrage d’animation européen varie autour de quelques millions d’euros). L’économie des moyens sur le plan visuel est évidente mais, face au film fini, elle semble être un choix esthétique et non une contrainte. La dureté du scénario se reflète dans les images brutes et contribue à la sensation de malaise provoquée par l’évolution de l’histoire.

Après une scène d’introduction avec un des protagonistes adultes, l’action se déplace rapidement dans le contexte principal du film : une quinzaine d’années auparavant dans un lycée où règnent la violence et l’anarchie. Ou plutôt une anarchie face aux adultes et une hiérarchie bien établie et peu convenable dans les rangs des étudiants. C’est l’autorité disproportionnée des «chiens» sur les «cochons». Les violences seront surtout subies par trois garçons, unis par l’amitié ou par leur situation défavorisée par rapport à leurs camarades. La recherche d’un échappatoire les rapprochera à vie, plus qu’ils ne l’auraient soupçonné.

L’animation crue, destinée aux adultes, n’est un genre ni classique ni populaire mais elle a fait ses pas vers la maturité. La Vie pour 9.99 dollars (de Tatia Rosenthal, 2008), Princesse (d’Anders Morgenthaler, 2006), Valse avec Bachir (d’Ari Folman, 2008), ont tous à leur époque été salués pour leur courage et leur originalité. Le choix de cette technique, quelles qu’en soient les motivations artistiques, engendre toujours un effet d’absorption du choc de la violence. En même temps, la subjectivité extraordinaire que seule l’animation peut attribuer à une réalité renforce la gravité des thèmes.

Dans The King of Pigs, l’animation est un medium qui, seulement de manière très discrète, suggère l’humeur qui règne. Les images semblent presque privées d’élan émotionnel, tellement elles sont neutres et peu élaborées. Ce qui à la base a été une contrainte, faute d’argent, se transforme en outil de la mise en scène et souligne le sentiment d’indifférence et de passivité que les événements transmettent. Selon les mots du réalisateur, la priorité du travail des animateurs a été les expressions des visages pour construire des personnages complexes et crédibles. Et effectivement ces caractères sont bien plus humains, même beaucoup plus développés, que la plupart des personnages dessinés, produits par l’industrie japonaise, par exemple.

Lors du déroulement du film, il n’y a presque jamais de jugement ou de parti pris, pas de solution, donc pas de morale non plus. Le spectateur est harcelé par les images sans issue presque comme le sont les lycéens – des cochons. Le concept de l’adolescence comme âge insouciant est complètement fouillé et contesté dans un monde où le cercle vicieux de la violence se répand dans tous les liens et rapports.

Yeon Sang-ho s’inspire selon ses propres mots, d’œuvres comme Mystic River de Clint Eastwood et Himizu, le manga de Furuya Minoru. Et avant ceux-là, à l’origine il y a un rêve, autant que des expériences réelles. Au final la gravité de son sujet est bien tangible : la vie adolescente sans pitié, sans repère, sans appui, est montrée comme le départ vers une vie adulte, elle aussi dans une lutte sans issue. Ainsi, Yeon Sang-ho conçoit une œuvre difficile à digérer, forte et franche, une réussite du cinéma d’animation non conventionnel.

Alexandra Bobolina.

The King of Pigs de Yeon Sang-ho. Corée. 2011. Projeté dans le cadre du FFCP 2020

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