Une étrangeté cinématographique fait son apparition dans la sélection 2025 du Festival Black Movie. Coproduit par le Vietnam, l’Indonésie, les Philippines et Singapour, Don’t Cry Butterfly approfondit les codes de la jeune cinéaste Dương Diệu Linh, attachée à la représentation de personnages féminins et qui se lance ici dans un premier long-métrage aux ambitions surprenantes.
Tam, organisatrice de mariages aussi somptueux que kitsch, apprend que son mari est infidèle. Elle fait appel aux sortilèges d’un mage pour le faire revenir à elle. Sa fille, qui l’observe d’un œil critique, souhaite quant à elle quitter le pays pour avoir un meilleur avenir. Tandis que les deux femmes se débattent avec leurs problèmes respectifs, dont la résolution semble aussi peu probable pour l’une que pour l’autre, le plafond de leur appartement se fissure et un liquide noir qu’elles sont les seules à voir se met à suinter et à envahir peu à peu leur espace.
Rares sont les films vietnamiens, encore moins de nouveaux cinéastes, à connaître une telle visibilité dans les festivals du monde entier. Encore plus étonnant quand on est mis face à ce projet cinématographique étrange et culturellement très opaque pour l’audience internationale. Après Venise, Busan, le TIFF et bien d’autres encore en Asie du Sud-est, Don’t Cry, Butterfly se glisse dans la sélection du Black Movie pour l’une de ses premières projections européennes.
Entre comédie, fantastique et horreur, le long-métrage de Dương Diệu Linh multiplie les genres et les effets de style en se présentant comme une proposition aussi stimulante qu’insolite sur la déroute d’une femme en pleine crise de l’âge trompée par son mari. Alors qu’elle fait appel à la magie pour le faire revenir à elle, d’étranges manifestations se produisent dans son immeuble. Inutile, à partir de là, de chercher à élucider les énigmes de ce tissu narratif qui s’écroule progressivement pour s’abandonner au surnaturel. Il convient plutôt d’embrasser pleinement la superstition pour digérer le caractère décousu du récit. Dans celui-ci se cache un savoureux mélange de féminisme, de folklore et de thématiques familiales qui prennent comme direction commune la question du décalage systémique – et systématique – entre le rôle des femmes et le rôle des hommes.
Dương Diệu Linh fait ici du corps la modalité principale de ce décalage : quand Tam se démène à vive allure au travail et à la maison, son mari produit des gestes lourds et lents. C’est pourtant Tam qui apparaît invisible aux yeux de tous, de son mari, des personnes qu’elle croise lui adressant à peine un regard ou une parole, comme si elle ne faisait pas partie de ce monde. La mise en scène épouse le comportement de chacun des partis et en révèle singulièrement les failles avec une ironie exagérée. L’insistance sur le corps contamine même le titre, « Butterfly » renvoyant aux parties génitales féminines en argot vietnamien.
En parallèle de cette étude des relations, un phénomène surnaturel que seules les femmes sont capables de voir grandit dans la maison. D’abord quelques gouttes tombées du plafond laissant présager un dégât des eaux, puis une substance visqueuse et tentaculaire qui s’attaque à Tam pendant son sommeil. Une métaphore se cache sans doute quelque part dans ces horizons mystiques, mais elle demeure incertaine pour le spectateur ne disposant pas de la culture symbolique à l’œuvre. Pareillement, les sous-intrigues concernant la fille de Tam se confondent et égarent encore un peu plus le public à force de tisser des fils narratifs secondaires qui n’auront au final pas plus de début que de fin. Reste un film déconcertant devant lequel on se plaît à grimacer et qui promet une belle carrière à Dương Diệu Linh.
Richard Guerry.
Don’t Cry, Butterfly de Dương Diệu Linh. 2024. Vietnam. Projeté au Black Movie 2025.