Retour sur Le Château ambulant, réalisé par Miyazaki Hayao et que vous pouvez découvrir sur Netflix !
Le Château Ambulant semble marquer pour Miyazaki Hayao un retour à une inspiration occidentale après Princesse Mononoké (1997) et Le Voyage de Chihiro (2001) aux thématiques et esthétiques plus spécifiquement japonaises. Le film adapte en effet le roman Le Château de Hurle de Diana Wynne Jones (paru en 1986) et permet au réalisateur de renouer avec tout l’imaginaire de ses grandes œuvres des 80’s : éléments steampunk rappelant Le Château dans le ciel (1986), cité portuaire à l’esthétique Belle Epoque façon Kiki la petite sorcière (1989)… A ce titre le film est une véritable splendeur visuelle, foisonnante de détails dans les visions de la ville, virtuose comme jamais dans les morceaux de bravoure aériens, et sacrément inventif pour certaines créations comme le monstre de ferraille mobile que constitue le château de Hauru. Malgré cet indéniable éblouissement formel, quelque chose ne fonctionne pas suffisamment pour réussir à nous emporter.
La première partie entremêle cheminement intime et atmosphère magique, confronté au réalisme de l’environnement d’un monde en guerre. La jeune Sophie se refuse aux amusements de son âge en s’occupant avant tout du magasin de son défunt père. L’aventure la trouve plutôt que l’inverse quand elle tombe sous le charme du jeune sorcier Hauru. Mais elle va susciter la jalousie de la sorcière des Landes qui va lui infliger un terrible sortilège en la transformant en vieillarde. L’existence figée et ennuyeuse de l’héroïne prend un tour paradoxalement plus palpitant avec ce vieillissement. Miyazaki, durant la même période, s’était offusqué que la Mostra de Venise lui adresse un Lion d’or pour l’ensemble de sa carrière, y voyant un prix de « vieux » avant d’accepter l’honneur en voyant que des personnalités encore actives comme Clint Eastwood l’avaient reçu. Symboliquement, la vieillesse ne rattrape que ceux qui s’y résignent et en affrontant son sort, Sophie se découvre l’entrain et la vigueur qui lui manquait « jeune ». De manière générale, tout au long du film, les sortilèges ne sont qu’un prolongement esthétique des manques de chacun des protagonistes, amenés à s’altérer par intermittence lorsqu’ils évoluent. C’est le cas de Sophie retrouvant sporadiquement ses traits juvéniles, Hauru passant de dandy blond narcissique à jeune homme brun attachant, et la sorcière des Landes brutalement ramenée à son âge réel.
L’ensemble des « maudits » va ainsi former une sorte de famille dysfonctionnelle (à laquelle on peut ajouter l’épouvantail vivant) dont Sophie va s’occuper. La narration un peu lâche sert au départ la constitution de cette communauté, mais le récit finit par s’égarer quand viendra l’heure de la résolution. Princesse Mononoké et Le Voyage de Chihiro brillaient par leurs constructions où Miyazaki développait parfaitement les maux intimes puis les étapes de la reconstruction de ses personnages. Dès lors fortes de leur spiritualité et féerie baignées de folklore japonais (notamment la culture animiste), les conclusions des deux films coulaient de source dans leurs raccourcis oniriques (la renaissance d’un monde dans Princesse Mononoké, l’amitié/romance entre Chihiro et Haku retrouvant leur identité). Le Château Ambulant mélange l’univers « concret » des films « occidentaux » de Miyazaki avec le lâcher prise flottant de ses œuvres plus spécifiquement japonaises, sans que le mariage n’opère complètement. Le film refait et étire finalement sans la même rigueur la relation Chihiro/Haku du Voyage de Chihiro : héroïne apathique s’éveillant dans l’adversité, héros maudit et impétueux dans son usage de la magie, yin et yang de personnages doubles oscillant entre le bien et le mal… Cela fonctionne par moment mais l’arrière-plan guerrier sans vrai contexte alourdit l’ensemble (nous sommes loin des enjeux vertigineux de Princesse Mononoké, Le Château dans le ciel ou Nausicäa (1984)) et Miyazaki semble pour la première fois plus miser sur sa virtuosité que sur un scénario impeccable pour résoudre son intrigue. Aussi flamboyante visuellement que soit la dernière partie, elle finit par nous laisser extérieur à son déroulement par ses facilités. Que ce soit à cause d’une production mouvementée (le film devait initialement être réalisé par Hosoda Mamoru qui finit par être renvoyé) ou de trop grands changements par rapport au roman, tout semble comme forcé afin de se fondre sans harmonie à la vision de Miyazaki. Une des vraies et rares déceptions de la part du génie de Ghibli.
Justin Kwedi
Le Château ambulant de Miyazaki Hayao. Japon. 2005. Disponible sur Netflix le 01/04/2020