FFCP 2016 – The World of Us de Yoon Ga-eun : Un monde à part

Posté le 19 novembre 2016 par

Soucieux de mettre chaque année à l’honneur un réalisateur émergent, le Festival du Film Coréen à Paris (FFCP) nous a permis lors de cette édition 2016 de découvrir Yoon Ga-eun à l’occasion de la sélection de son premier long-métrage, The World of Us, qui avait déjà fait un détour par la Berlinale en février 2016.

Le film peint avec douceur le portrait de Sun (Choi Soo-in), fillette d’une dizaine d’années qui peine à s’intégrer au sein de sa classe. Alors qu’à la veille des vacances elle fait la rencontre de sa nouvelle camarade Jia (Seol Hye-in), la jeune réalisatrice nous amènera à suivre l’évolution de leurs rapports au fil de l’année scolaire, avec ce qu’elle suppose de déceptions et de vexations.

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Le thème de l’enfance, Yoon Ga-eun s’y intéresse depuis longtemps comme en témoignent les différents courts-métrages qu’il était également possible de visionner dans le cadre du FFCP. The Taste of Salvia, Guest et Sprout ont tous trois des enfants pour figures principales, et l’on retrouvera de l’un à l’autre certaines scènes, certains symboles comme autant de ferments qui écloront ensuite dans The World of Us. A ce titre, si Sprout condensait en vingt minutes une série d’événements tendres et touchants qu’illumine la jeune Kim Su-an (Dernier train pour Busan), ce premier long-métrage peine à reproduire la même magie, faute de pouvoir étirer cette fulgurance sur une 1h30. Pour autant, la réussite est au rendez-vous et le film reste l’une des meilleures surprises de ce festival.

On est d’abord marqué par la justesse avec laquelle Yoon Ga-eun aborde les blessures du jeune âge. Au cours d’une scène d’introduction à la fois cruelle et pudique où Sun attend d’être sélectionnée par l’un ou l’autre de ses camarades pour un jeu de balle aux prisonniers, on perçoit déjà tous les éléments sur lesquels repose l’alchimie du film. En premier lieu, c’est une caméra qui se pose à hauteur d’enfant, qui s’attache au visage de son héroïne et le laisse pleinement s’exprimer à l’écran à travers de nombreux gros plans. C’est aussi une sobriété de tous les instants, qui se garde bien de faire retentir les meurtrissures de façon tapageuse mais préfère s’attarder sur les silences, les regards évités, les sourires empreints malgré tout d’un espoir renouvelé.

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Un tel travail sur la direction d’enfants évoque évidemment Kore-eda Hirokazu, en particulier lorsqu’il embrasse pleinement leur regard dans Nobody Knows ou I Wish. Si l’on sent bien que Yoon Ga-eun n’a pas la même expérience derrière la caméra, on perçoit néanmoins un grand naturel dans son approche, d’autant qu’elle n’hésite pas à s’attarder sur des scènes du quotidien. Il en résulte un rythme parfois un peu lent, mais qui renvoie aux tâtonnements incertains qui composent la vie. La réalisatrice a directement travaillé avec les jeunes actrices sur la mise en scène et les dialogues, et cela se ressent dans la synergie qui existe entre ces dernières et l’apparente spontanéité de leurs échanges. A l’inverse, les quelques instants-clefs du film qui visent à faire progresser la narration paraissent par contraste un peu trop instrumentaux, mais ils permettent, par petites touches, de donner à The World of Us un propos.

Ainsi, malgré son apparente légèreté, le film ne manquera pas d’aborder des thématiques difficiles. Au premier rang, naturellement, celle des dynamiques de groupe dans le milieu scolaire et des schémas d’exclusion qui en résultent, reposant bien davantage sur l’attribution d’un rôle exutoire de bouc-émissaire que sur une véritable inimité personnelle. Au-delà, on retrouve simultanément la profonde injustice de devoir porter sur ses épaules le poids de la situation sociale de ses parents et l’aveuglement de ces derniers qui se bornent à voir dans l’enfance des années d’innocente insouciance. Il y a ainsi un détachement de la part des adultes, ceux-ci ne devinant pas combien leur propre culpabilité ou infortune peut rejaillir sur leur progéniture à travers une logique, il est vrai, perverse.

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En effet, s’il est un élément qui marque dans The World of Us – et qui coïncide d’ailleurs avec le titre – c’est que les enfants évoluent dans un entre-soi hermétique. La caméra ne se détachera jamais d’eux, et pour cause : ils sont piégés dans un univers qui a son fonctionnement propre. Les règles qui le régissent, les vexations que l’on y opère, les émotions que l’on y éprouve, tout cela peut en effet apparaître dérisoire au regard du monde adulte, mais pour nos personnages – et le spectateur – c’est là tout ce qui existe, et il serait bien futile de tenter de le rationaliser. Faute d’expérience et donc de recul pour relativiser, Sun devra trouver en elle les ressources pour forger sa personnalité et affronter les épreuves face auxquelles elle est encore sans armes. En un mot : grandir.

A travers cette tranche de vie, c’est ainsi une belle histoire de maturation que nous sommes invités à découvrir. Avec délicatesse, elle évoque les remous d’un âge dont nous avions oublié les enjeux, mais qui se rappelle bien vite à nous grâce à la justesse de la mise en scène et au naturel des jeunes actrices. Une promenade aigre-douce qui n’est certes pas exempte d’imperfections, mais qui nous laissera du moins avec une certitude : Yoon Ga-eun est une réalisatrice à surveiller de très près.

Lila Gleizes.

The World of Us de Yoon Ga-eun, présenté au Festival du Film Coréen à Paris (FFCP) 2016.

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