L’été est le moment propice pour découvrir de bons petits polars au cinéma, véritable alternative à une programmation rodée qui oscille entre blockbusters, comédies de fond de catalogue et reprises de bons vieux classiques. Cette année, c’est en Chine que nous mène cette nouvelle enquête sur la piste d’un tueur en série. Une Pluie sans fin, premier long métrage du jeune cinéaste Dong Yue tient-il toutes ses promesses ?
1997, à quelques mois de la rétrocession de Hong Kong, la Chine se trouve à l’aube de bouleversements sociétaux et politiques qui vont changer le pays. Yu Guowei, chef de la sécurité d’une usine, assiste la police dans son enquête sur le meurtre d’une jeune femme.
C’est à cette époque charnière de l’histoire récente du pays que se tient le film, aux derniers mois d’un régime communiste fermé et replié sur lui-même qui vit encore sous un modèle post-maoïste. Un contexte lourd, situé dans une région minière où le charbon colle à la peau de ses habitants et que la pluie diluvienne ne parvient à effacer.
Dong Yue, jeune cinéaste, connaît par cœur les éléments qui font un polar, et s’inspire intelligemment des classiques du genre. Dans la première partie du film, on ne peut que reconnaître l’influence primordiale du film de Bong Joon-ho, Memories of Murder. Entre sous texte politique fort, une police de province dépassée par les événements qui n’a ni les méthodes ni les moyens d’arrêter de tels atrocités. Tous les éléments collent.
Là où le cinéaste va se démarquer de son modèle, c’est dans le portait de son personnage principal. Ce chef de la sécurité qui a ses passe-droits sur les lieux du crime grâce à ses relations avec un inspecteur, se vante de son intuition et de ses méthodes infaillibles. Orgueilleux mais ne manquant pas de ressources ou d’idées, il semble dans un premier temps intriguer, tant on se demande si sa réputation n’est finalement pas fortuite. Au travers de son enquête, on va découvrir une Chine souterraine, avec ses bals en plein air qui cachent des réseaux de prostitution, et la vie des ses habitants entassés dans des citées surpeuplées. Mais c’est surtout dans sa deuxième moitié, moins rythmée certes, que l’intrique personnelle de son anti-héros va se développer, notamment dans la relation platonique qu’il entretient avec une jeune prostituée.
A partir de ce moment, l’auteur va traiter l’obsession de son personnage à attraper le tueur en série, se servant même de son amie comme appât. A mesure que son piège se referme, le monde dans lequel il vit s’effrite, la ville minière semble se déserter et l’activité à l’usine se ralentit. Lui cherche dans cette traque un moyen de se démarquer dans une société qui prône l’effacement et la force du groupe au détriment de l’individu tandis que son amie rêve d’une vie meilleure à Hong Kong et de pouvoir y ouvrir un salon de coiffure. De cette mort lente qui gangrène cette ville, il ne semble n’y avoir aucune échappatoire, comme si l’érosion due à cette pluie incessante tendait à effacer toutes traces de vie. Le film se conclue sur une note mélancolique portant un regard distancié sur cette époque, remettant en cause les souvenirs et images qui alors empreints d’une certaine poésie tenaient peut-être du domaine du rêve.
Une Pluie sans fin est un premier long métrage noir comme le charbon, et empreint d’un sentiment lancinant de mélancolie. Un film qui ne rejette pas ses influences, mais qui au contraire les embrassent pour accoucher d’une forme plus personnelle. Après Black Coal, on commence à voir émerger sur nos écrans une nouvelle forme de polars qui au travers d’intrigues policières nous racontent la Chine contemporaine sous un jour que l’on n’a pas l’habitude de voir. Un genre qui explore la noirceur de l’âme humaine avec un regard critique et sociologique sur son époque et son pays.
Martin Debat.
Une Pluie sans fin de Dong Yue. Chine. 2017. En salles le 25/07/2018