Premier film remarqué à Cannes (sélection Un Certain Regard), A Girl At My Door de July Jung arrive en salles quelques jours après son avant-première au FFCP. L’occasion de revenir sur un film solide prenant à bras le corps des sujets sociétaux tabous, mais témoignant également d’une forme de standardisation d’un certain cinéma d’auteur coréen.
L’on ne peut que se réjouir de l’apparition d’une nouvelle génération de cinéastes coréens, faisant preuve d’une maîtrise formelle indéniable repérée dès leur premier film, et ce d’autant plus qu’elle est largement dominée par des réalisatrices comme Shin Su-won (Suneung) ou July Jung (A Girl At My Door), et de très jeunes cinéastes comme Lee Sunjin (A Cappella) ou Sung-hyun Yoon (La Frappe). Ce qui unit ces réalisateurs et ces films, ce sont leur volonté de s’attaquer à des sujets sensibles dans la société coréenne, en mettant en avant la violence des institutions et en interrogeant la place de l’individu dans une société présentée comme quasi-inhumaine. Le réalisme est de mise dans un mélange de critique sociale avec quelques éléments de polar. Sur ce plan, A Girl At My Door est presque un cas d’école, au point qu’il en deviendrait, et c’est là le souci, presque scolaire.
En suivant l’installation forcée de Young-Nam, une jeune commissaire de Séoul dans un petit village, où elle doit se faire oublier quelques temps, le film semble cataloguer les sujets tabous dont le nouveau cinéma d’auteur coréen se fait le témoin : alcoolisme, violence faite aux jeunes, homosexualité, inceste, exploitation des sans-papiers, solitude des femmes, ruralité comme zone de non-droits… Autant dire que l’on n’est pas là pour rigoler. La réussite du film réside dans la subtilité de son écriture, la force du jeu d’acteur qui donne corps à ces thématiques de manière concrète et la production léchée derrière laquelle on reconnait l’empreinte de Lee Chan-dong, grand habitué des sujets polémiques tant dans ses ouvrages que dans ses films, comme Oasis. Voilà qui arrive à rendre crédible un tel abattement de sujets plombants sans sombrer dans la caricature.
July Jung s’accroche à son héroïne et suit son parcours brisé par les préjugés en la confrontant à tous les malheurs du monde avec une âpreté, une détermination et une sobriété qui forcent l’admiration, et cela vaut aussi bien pour la réalisatrice que pour son personnage. Mais là où les choses se gâtent, c’est justement quand les deux se dissocient : alors que le film est le récit d’un dérèglement, celui de Young-Nam qui voit peu à peu ses certitudes s’effondrer, la mise en scène reste d’une solidité à toute épreuve, refusant la moindre entorse formelle au programme réaliste fixé. Pire, la jeune réalisatrice se perd souvent dans des cadrages et des plans clichés à force d’avoir été vus des centaines de fois dans d’autres films, un peu comme si l’audace de l’écriture devait être modérée par un académisme cinématographique.
Résultat : rien ne trouble réellement dans ce récit qui recèle pourtant de zones ténébreuses, rien n’accroche réellement là ou des images fortes devraient rester en tête. Un exemple parmi mille : une petite fille est interrogée dans un commissariat sur des attouchements sexuels. La caméra est derrière la vitre teintée, avec Young Nam qui l’observe. Et voilà que pour terminer ce plan, la réalisatrice dirige le regard de la petite fille vers la caméra… Loin d’instaurer l’ambiguïté voulue, l’utilisation de ce lieu commun de la mise en scène invalide le réalisme du propos pour laisser place à un imaginaire de série B. Et dans toutes les scènes, on a cette impression que la réalisatrice applique un formatage à ses propos, faisant certes passer le message dans un emballage familier, mais l’aseptisant complètement par le même geste.
On sent que le trouble que voudrait instaurer July Jung devrait être dans le sillage du cinéma de Kim Ki-young, mais elle oublie que l’ambiguïté thématique du réalisateur de La Servante faisait corps avec sa mise en scène et qu’il n’y a pas de message sans qu’il soit en adéquation avec le style au cinéma. En l’état, on reste encore sur le palier de A Girl At My Door, et on observe du seuil, de loin, une expérience intéressante faute d’être saisissante, et qui laisse un goût d’inachevé.
Victor Lopez.
A Girl At My Door, de July Jung. Corée. 2014. En salles le 05/11/2014.