Wakamatsu : retour sur quelques films essentiels, de Va, va, vierge pour la seconde fois à United red Army !

Posté le 24 octobre 2010 par

Alors que le troisième volume de ses œuvres est disponible chez Blaq out, et que la sortie du Soldat Dieu et de la rétrospective à la cinémathèque approchent, East Asia revient sur quelques titres du grand Wakamatsu avant de se plonger dans cette actualité !

“La saison de la terreur” et “Running in Madness, dying in love” : 1969, année prolifique

On vante la rapidité de certains réalisateurs japonais actuels comme Miike Takashi ou Kurosawa Kiyoshi, culminant à leur meilleure forme à trois films par ans. La filmographie de Wakamatsu Koji donne cependant un autre sens au terme de “cinéaste prolifique”. Pour la seule année 69, le maître du Pinku Eiga signe 10 films. Certes, son hallucinante rapidité d’exécution est facilitée par le système de production du genre, film érotique à petits budgets tourné à la chaîne, mais Wakamatsu imprime à chaque opus son style et sa patte esthétique expérimentale, en plus de travailler le cahier des charges en utilisant les thématiques sexuelles pour questionner la société japonaise de l’époque avec un conscience politique et contestataire d’une force qui rend aujourd’hui encore son œuvre passionnante.

Wakamatsu
Et si les films se suivent, ils ne se ressemblent pas, comme le prouvent La Saison de la terreur et Running in madness, dying in love, réalisés à quelques semaines d’intervalle, mais aux propos comme à l’esthétique aux antipodes. Le premier présente le morne quotidien d’un ancien révolutionnaire dans un noir et blanc épuré. Soupçonné d’appartenir à un nouveau groupe terroriste par deux policiers, le personnage a en fait abandonné toute activité et végète tristement dans une cité à l’architecture géométrique oppressante, que Wakamatsu filme dans de longs plans minimalistes, enfermant ses personnages dans ce décor d’une modernité aliénante et impersonnelle. Sa seule occupation consiste à faire l’amour aux deux femmes avec lesquelles il vit, souvenir d’une révolution qui n’est maintenant plus que sexuelle. Mais ainsi vidée de son contenu politique et contestataire, cette manière de vivre même rejoint une norme sociale déprimante et une soumission à un mode de vie sans but et sans joie. La femme est l’esclave de l’homme et de la société, et la sexualité n’est qu’un plaisir frivole qui ne sert qu’à étouffer un peu plus une soif de révolte et de liberté déjà complètement asséchée.

C’est tout le contraire dans le coloré et lyrique Running in madness, dying in love. En tuant son mari flic et violent pour fuir avec le frère de celui-ci, jeune idéaliste révolutionnaire, le personnage féminin a une chance de connaître un épanouissement personnel, qu’elle caresse furtivement. Car la culpabilité de l’adultère et le poids des traditions l’empêchent d’y goûter réellement, et le bonheur du couple va être rattrapé par des visions d’horreur surgissant de l’inconscient de la femme. Débutant comme un polar politique sur la thématique des amants criminels, se poursuivant en Road Movie charnel, le film se conclut en conte cruel et allégorique aux saisissantes visions surréalistes.

Victor Lopez.

“Sex Jack” et “L’extase des anges” : L’armée (du ruban) Rouge

Le cinéma de Wakamatsu a donc beau s’inscrire dans les mouvements politiques contestataires qui secouent le Japon et le monde au tournant des années 60 et 70, sa vision n’en est pas moins critique et place la liberté individuelle au dessus de toute idéologie. Sex Jack et L’Extase des anges en sont la preuve, dans leur description des dérives des groupes d’extrême gauche de l’époque. Le premier se présente comme un huit-clôt oppressant, spécialité du réalisateur, qui se plait à enfermer ses personnages dans un endroit sordide, où leurs perspectives bouchées les conduisent à une inaction de plus en plus ignoble. Pour fuir la police, quatre révolutionnaires médiocres suivent un étrange personnage dans une planque perdue au milieu de bidonvilles irréels. Ainsi livrée à eux-mêmes, leur doctrine perd tout leur sens et devient une justification des actes les plus méprisables, dont le viol répété de la jeune femme qui les accompagne.

L’Extase des anges, un des sommets de l’œuvre de Wakamatsu, oppose encore plus frontalement la soumission à une doctrine collective et l’émancipation d’une révolte individuelle, en montrant quelques individus d’un groupe terroriste forcés à continuer la lutte seuls quand leur commandant décide de les mettre violemment sur la touche. Monument nihiliste et anarchiste d’une brutalité poétique extraordinaire, L’Extase des anges sidère par sa force graphique et ses audaces formelles : explosions de couleurs qui traversent un film principalement en noir et blanc, montage chaotique qui parvient à rester d’une extrême précision, utilisation tantôt lyrique (la chanson du générique), tantôt frénétique (une captation d’un groupe de free jazz) de la musique : l’énergie destructrice de Wakamatsu transperce chaque plan du film.

On donne alors raison à André S. Labarthe lorsqu’il décrit ainsi le cinéma du metteur en scène japonais : « Son théorème : sexe et violence, rien d’autre. Sa technique : le gonzo-gore-porno. Voilà ce qui le rend unique ! ». C’est sans doute exagéré, mais l’exagération convient bien au cinéma de Wakamatsu.

Victor Lopez.

Les secrets derrière le mur – Kabe no naka no himegoto- (1965)

Une femme au foyer et sans enfants, trompe son mari – pervers narcissique et businessman rigide – sous une photo géante de Staline, avec un ex militant communiste, meurtri par la guerre et par l’échec de la révolution.

Enfin, une femme célibataire faisant tomber délibérément son linge depuis son balcon pour nouer contact avec ses voisins, cache sous son apparente bonhomie, une profonde solitude…

Prisonniers de ces murs, la frustration ressentie par les différents protagonistes n’est que le reflet du malaise de la société japonaise, vaincue par la guerre et en perte de valeurs et d’idéaux.

Cette colère, sous-sous-jacente tout le long de la narration, que l’on sent prête à exploser à tous moments intervient bel et bien à la fin du film, sous forme de rage brute qui nous rappelle que l’on est bien dans un film du réalisateur anarchiste.

Bien que l’intérêt historique que présente cette reconstitution sociale est indéniable, cette fable urbaine pessimiste peine au final à convaincre tant l’ennui des personnages gagne aussi le spectateur.

Pourtant, dans un certain sens, le pari du réalisateur semble gagné par cette translation même.

En effet, Le spectateur devient à la fois témoin et voyeur des différentes scènes de vie à travers la longue vue que Wakamatsu nous colle au yeux, et on se retrouve de ce fait dans la peau de l’étudiant et ressent à notre tour les sentiment d’oppression, d’ennui et d’enfermement éprouvés par celui-ci.

Sans être indispensable, le film offre un intérêt mineur mais réel pour comprendre le système critique du cinéaste.

Olivier Smach.

Va, va vierge pour la deuxième fois – Yuke yuke nidôme no shôjô (1969)

Toujours dans le registre du Huit Clos – mais cette fois ci à ciel ouvert – ce chef d’œuvre dans la filmographie de Wakamatsu marque le sommet de la carrière du cinéaste. Va, va vierge pour la deuxième fois est une fable urbaine, lyrique et nihiliste.

Réalisé en 4 jours sur le toit de l’immeuble qui abrite la société de production du réalisateur, ce film dépeint une jeunesse en perdition et déviante faute de repères.

Poppo, jeune fille de 17 ans « écorchée par la vie » qui a déjà un lourd vécu derrière elle, se fait tour à tour violée par quatre garçons sur le toit d’un immeuble, sous les yeux impassibles de Tsukio, qui assiste impuissant à la scène à l’écart du groupe.

Le lendemain, toujours allongés sur le toit, suite à certaines révélations du jeune homme, nos deux héros, vont se chercher, s’ouvrir petit à petit l’un à l’autre pour tenter d’y trouver réciproquement une forme de réconfort.

Wakamatsu
Les musiques, très variées – jazz, blues, rock hypnotique…- et superbement orchestrées accompagnent chaque scènes à la perfection et collent admirablement au rythme du film, tantôt lent, tantôt survolté. Elles suivent également les émotions des personnages, comme Yuke yuke nidôme no shôjô, la douce mélodie que chante Poppo sans flancher pendant le viol, sorte de pied de nez à ses agresseurs. Car malgré le drame, la jeune fille reste très noble du début à la fin.

L’utilisation intelligente de l’image participe également à la réussite du film. Le saut surréaliste vers la couleur – figure de style manifestement chère au réalisateur – est parfaitement exploité dans le cadre d’une scène d’orgie et de massacre qui contraste avec le noir et blanc de manière saisissante, et qui ferait presque passer la scène de viol d’ Orange Mécanique pour une des Bisounours. Le rouge sang n’en ressort que plus flamboyant !

L’excellente interprétation des acteurs, une bande sonore sensible et psychédélique, des scènes complètement aliénées font de ce film un cocktail explosif.

Pourtant tout n’est pas que chaos et une scène d’effusion de joie intense fait même son apparition.

Dans ce déluge où se mêle drogues, violences, sadisme, sexe, malgré l’intermittence de scènes plus légères et la fraîcheur dégagée par les héros, le spectateur comprend bien que cela ne suffira pas à sauver ce Japon à la dérive.

Mélancolique, troublant, touchant…les adjectifs ne suffisent pas pour qualifier ce film qui malgré son âge certain, n’a pas vieilli d’un poil.

Voilà définitivement, le type d’oeuvre qui vous prend aux tripes du début à la fin, et tout ça, grâce à la virtuosité déployée par Wakamatsu, fier représentant d’une génération de réalisateurs issus d’une époque révolue.

Il nous permet heureusement de nous rappeler qu’il n’y a pas toujours eu que des films aspetysés au Japon, pays qui semble aujourd’hui avoir vendu son âme à l’industrie de l’amusement au détriment d’une réelle conscience politique. Un grand bravo donc à ce réalisateur, qui continue de nous faire découvrir certaines facettes cachées d’une société avant son essor économique incroyable et de réhabiliter certaines vérités historiques comme avec par exemple le déjà cultissime United Red Army. Du tout bon !

Olivier Smach.

United Red Army (2007)

« Au Japon aussi, des jeunes gens ont cru à la révolution et à la lutte armée ». C’est par ces propos que commence United Red Army, film somme de Wakamatsu Koji, revenant sur ces années de lutte d’une jeunesse japonaise politisée, des premières manifestations des années 60 à la radicalisation et ses dérives sanglantes des années 70. Cinéaste engagé, Wakamatsu prend cependant bien garde de ne pas délivrer de message trop évident, et nous conte les événements avec une neutralité compréhensive. Il évite ainsi la diabolisation de ses jeunes, et souligne la manipulation médiatique dont ils ont été victimes lors du célèbre « incident du chalet d’Asama », point culminant du film, tout en condamnant leurs actions et comportements insensés lors de leur formation dans la forêt.

Ce point de vu neutre, conciliant et englobant, trouvant sa forme entre documentaire (images d’archives, informations historiques, dates et noms des protagonistes s’affichant à l’écran, etc.) et fictionalisation de certains événements (notamment dans les dialogues), allié au sujet fascinant du film, rend United Red Army assez unique et passionnant. Cela ne veut pas dire que le film ne souffre pas de certains défauts. Sa longueur rend parfois son hybridation assez pénible à suivre. Etalant sur trois heures le destin de ces jeunes gens, le film se divise en trois parties d’une heure environ, formellement et narrativement très différentes, et qu’un découpage plus marqué (en trois films, par exemple…) aurait peut être rendu plus accessibles.

La première heure est purement contextuelle. Mélange d’archives et de reconstitution de manifestations, de débats ou de luttes, elle relate la création de l’Armée Rouge Unifiée, naissant d’un contexte international (la lutte contre la guerre du Viêt-Nam) et intérieur (quelques scandales financiers dans les universités). La répression par les autorités japonaises, la séparation du Parti Communiste et le manque de soutient populaire vont entraîner une radicalisation des étudiants les plus impliqués, prônant la lutte armée et choisissant la clandestinité au moment où on les retrouve en 1972 pour la seconde partie du film.

Passé cette longue introduction, United Red Army se transforme en suivant l’isolement d’une faction de ces jeunes, enfermés dans une cabane dans la forêt. Le manque de bagage intellectuel et théorique (les leaders étant en prison, ce sont des seconds couteaux qui se retrouvent propulsés à la tête de ces groupuscules), la peur (la police resserre de plus en plus son étaux sur eux), le froid et la lutte d’égaux, transforment ce camp d’entrainement en une boucherie autodestructrice. Le film capte alors le processus de lavage de cerveau extrémiste, et la transformation d’idéaux en folie meurtrière et en fanatisme avec justesse et réalisme. On se retrouve lors de cette seconde partie dans un saisissant huit-clos horrifique, dont quelques images d’une froide cruauté restent gravée dans la mémoire du spectateur.

La troisième partie du film se concentre sur la prise d’otage de quatre survivants du massacre, poursuivis par la police. Événement capital dans l’histoire du japon, « l’incident du chalet d’Asama » fut le premier à être retransmis en direct pendant 10 jours à la télévision et eu pour conséquence d’affaiblir la gauche japonaise, qui ne s’en est toujours pas relevée. Très réussie dans sa description du jusqu’au-boutisme de ces jeunes radicaux, qui retrouvent dans cet événement l’humanité qu’ils avaient perdus dans la partie précédente, cette fin achève de faire du film, malgré ses inégalités et les défauts de sa construction monstrueuse, une œuvre importante et essentielle.

Victor Lopez.

Les films de Wakamatsu sont édités en DVD par Blaq Out.

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