ETRANGE FESTIVAL 2024 – Makamisa: Phantasm of Revenge de Khavn

Posté le 18 septembre 2024 par

Dans le cadre de L’Etrange Festival 2024 a été projeté au Forum des images le nouveau film du réalisateur expérimental philippin Khavn : Makamisa: Phantasm of Revenge.

Le film suit les histoires croisées de trois personnages principaux : un prêtre corrompu (interprété par le réalisateur), le poète écrivain du livre dont l’histoire est adaptée et Sisa Bracken, une femme américaine que les deux hommes convoitent tandis qu’elle cherche inlassablement ses enfants disparus.

Si Khavn est majoritairement connu pour des films plus accessibles tels que Ruined Heart ou Alipato, comprenant tout de même des séquences et éléments expérimentaux, il propose ici un film bien plus dense en la matière. Il adapte le roman éponyme inachevé du poète révolutionnaire José Rizal avec des techniques cinématographiques qui renvoient au cinéma des premiers temps. Il gratte la pellicule et colorise ses rushs tournés en 35mm et les actions des personnages sont annoncées par des panneaux-textes tandis que le film ne contient aucune parole de ses interprètes. Néanmoins, il ne s’agit pas là que d’un travail purement formel, son approche du dispositif cinématographique permet de mettre en valeur le récit de Rizal dans son sous-texte politique comme dans ses motifs surnaturels qui se mêlent à l’intrigue.

En situant son récit durant la période de cession des Philippines du pouvoir colonial espagnol à celui des Etats-Unis, ainsi qu’en racontant cette histoire de rivalité amoureuse, le réalisateur introduit une réflexion sur l’héritage colonial de son pays et ce qui en a découlé, mais également sur la domination sociale au sens large. Khavn se penche en effet en filigrane sur la corruption qu’induit le pouvoir, a fortiori religieux, au travers de son personnage du prêtre, protagoniste du récit. Le réalisateur n’en est pas à son coup d’essai en la matière de questionner les faux prophètes, comme on pouvait déjà le constater dans son documentaire co-réalisé avec Michael Noer, Son of God. Or, ici, les liens avec la société philippine ne sont pas établis via une approche naturaliste mais bien spécifiquement par ses expérimentations formelles. Khavn se saisit des techniques du passé pour faire émerger le passé de son film mais également pour montrer sa persistance dans le présent et le futur. En créant une esthétique si évocatrice du cinéma des premiers temps et en superposant des couches matérielles à ses images, en passant par la manipulation de la pellicule, il aboutit sur un monde visuel où humains et esprits sont mis sur le même plan. Les personnages que l’on voit évoluer au présent sont contaminés par ces figures du passé au point de les en rendre indiscernables. L’univers qui nous est présenté existe donc dans un cadre où la temporalité est multiple ; ce qui dresse un constat assez noir en arrière-plan de l’histoire qui nous est comptée : si ces personnages subissent ainsi le poids du passé historique, le fait de présenter ce récit au passé questionne par extension inévitablement sur notre présent actuel.

Si le parti pris de Khavn en ce sens est assez identifiable, cela ne signifie pas pour autant que le film ne fonctionne que par ses propos induits. L’histoire des personnages se tient également en elle-même dans son cadre fictionnel, même si elle aurait peut-être mérité davantage de développement pour éviter quelques ellipses parfois abruptes. Les panneaux-textes, tout en participant à la logique anachronique du film, aident à suivre l’intrigue avec davantage de facilité, mais elle demeure parfois trop dense pour le rythme de l’oeuvre Les saynètes successives aux allures de conte, toutes travaillées avec énormément de précision dans la mise en scène, capturent toutefois l’attention, quand bien même on ne serait pas familier de l’histoire géopolitique des Philippines. De même, le travail de la colorisation de la pellicule donne naissance à des images aussi singulières qu’hypnotiques et le visuel du film vaut à lui seul le détour.

 Makamisa: Phantasm of Revenge n’est ainsi peut-être pas l’œuvre la plus accessible de son réalisateur mais elle captive suffisamment par sa recherche esthétique et son récit fictionnel pour s’ouvrir à la proposition. Khavn continue de diversifier sa filmographie et ses démarches expérimentales et prouve sa polyvalence avec ce film singulier.

Elie Gardel.

Makamisa: Phantasm of Revenge de Khavn. 2024. Philippines. Projeté à L’Etrange Festival 2024

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