Semaine spéciale Nakata Hideo : Dossier – Master of (J-) Horror

Posté le 3 juin 2014 par

En deux films majeurs, Ring et Dark Water, Nakata Hideo s’est imposé comme le maître de l’horreur japonaise. Retour sur le parcours du réalisateur de Monsterz, à l’occasion de la sortie au Japon de son dernier film le 30 mai 2014.

La sortie groupée de trois films de fantômes japonais commandés par le producteur culte Ichise Takashige, a permis en 2008 de resituer précisément Nakata Hideo parmi les cinéastes de sa génération. Si Shimizu optait avec Reincarnation pour cloner ad vitam son succès The Grugde, et Kurosawa de continuer avec Retribution d’imposer son regard critique sur le Japon – qu’il arrive aussi bien à déployer dans l’horreur que dans les drames intimistes qui constituent la dernière partie de son oeuvre  (Tokyo Sonata, Shokuzai, Real) -, Nakata choisissait avec Kaidan de revenir aux sources de son cinéma, en livrant un hommage sincère aux films de fantômes traditionnels, affirmant son classicisme malgré l’apparente modernité de ses films.

Le cercle vicieux

Étudiant en journalisme et cinéphile curieux (son premier travail est un documentaire sur Losey, manifestant déjà son intérêt pour le cinéma anglo-saxon et annonçant sa carrière internationale), Nakata commence à tourner des films d’horreur pour le marché de la vidéo dès le début des années 90. C’est cependant avec Ring, produit par Ichise, que sa carrière va réellement décoller. Développant un concept malin (une cassette vidéo qui a la propriété de tuer au bout d’une semaine quiconque la regarde), doublé d’une maîtrise formelle d’une sidérante efficacité, le film relance le J-Horror et crée un engouement mondial pour le film de fantôme japonais. La grande idée du métrage réside dans le fait que les peurs ancestrales (ici les fantômes) se terrent aujourd’hui au plus près de notre modernité : dans une VHS ou dans nos portables. Ce dépoussiérage des codes du genre dans un pays à la fois traditionnel et à la pointe de la modernité technologique ne manque pas de créer un effet de mode au Japon. On retrouve alors un peu partout des dizaines de films avec des fillettes aux cheveux longs et crades mimant la gestuelle saccadée de Sadako.

 Ring

Nakata signe lui-même une bien étrange suite, presque kamikaze dans sa volonté de s’extraire des codes qu’il a lui-même créés en filmant des délires scientifico-surréalistes dans un bordel bien loin de la maîtrise qui fait l’intérêt de son cinéma. Il refuse alors de signer un bien médiocre Ring 0, mais répond quand même présent à l’appel d’Hollywood qui lui demande de réaliser une suite au remake américain de Ring avec Naomi Watts. S’il fait (à peine) mieux que Gore Verbinsky, la formule sent déjà le réchauffé, d’autant plus que le cinéaste est déjà passé à autre chose avec Dark Water.

En eaux troubles

Autre jalon essentiel de sa filmographie, Dark Water finit d’imposer le style classique de Nakata et rassure sur son talent à créer durablement une impression de terreur à partir de rien ou presque.

Ici, c’est la frontière entre l’eau et l’au-delà qui disparaît, au point de traumatiser le spectateur qui se retrouve incapable de prendre un bain longtemps après la vision du film. Il est alors regrettable que Nakata gâche son talent en acceptant des commandes faciles, dans lequel son style ne peut s’exprimer (de The Ring Two à Monsterz en passant par le manga live L change the world, difficile en effet de distinguer la patte du maître de celle du tâcheron…), d’autant plus qu’il est loin d’être aussi prolifique qu’un Miike ou qu’un Kurosawa.

chatroom redimensionné

Chatroulette russe

Et pourtant, même si ses films récents n’atteignent en rien les deux sommets de sa filmographie, quelques plans de ses dernières oeuvres valent tout de même que l’on s’y penche. Chatroom fait ainsi preuve d’une mise en scène inventive et précise, qui s’exprime en se promenant de manière assez surprenante dans le scénario d’Enda Walsh (qui adapte sa pièce de théâtre, après avoir signé le scénario du brutal Hunger de Steve McQueen).

Le film vaut surtout pour une fascinante inscription de thématiques japonaises dans un cadre britannique tout à fait crédible, qui universalise le beau propos du film sur le désespoir adolescent. On y retrouve par exemple dans ce quartier de Londres la figure toute nippone de l’otaku, qui s’extrait du monde pour n’en retenir que son image virtuelle à travers l’informatique, ou encore la thématique très japonaise du suicide d’adolescents solitaires qui passe par la virtualité d’Internet – figures qui marquaient déjà très métaphoriquement L change the world

La musique, reflétant ce crossover réussi, mélange harmonieusement les compositions de l’habituel Kawai Kenji (Ghost in the shell) avec une B.O. compilant de l’électro-pop britannique (XX, The Klaxons, etc.). Le seul vrai bémol est que le film opte pour un final en forme de thriller virtuel, s’obligeant à une résolution un peu attendue misant sur une efficacité narrative peu nécessaire, comme si l’auteur perdait tout à coup confiance en ses thématiques.

Mais peu importe ces défauts avant tout d’ordre scénaristique, tant la mise en scène de Nakata arrive à faire oublier le didactisme un peu forcé de l’écriture d’Enda Walsh par mille et une trouvailles visuelles réjouissantes. Loin du théâtre filmé que l’on aurait pu craindre, le film offre une mise en image inventive, donnant vie aux discussions virtuelles par un mouvement de caméra incessant mais toujours lisible et justifié par les dialogues. Preuve encore que la rigueur du cinéaste est capable de s’allier aux formes les plus contemporaines d’images.

Hideo Nakata Monsterz

Tatsuya Fujiwara et Takayuki Yamada dans Monsterz

Làs, de retour au Japon, Nakata se perd avec The Incite Mill, fait un peu mieux avec The Complex,passe par la case télé, et prouve finalement avec Monsterz la difficulté pour un artiste de trouver un espace d’expression dans une industrie cinématographique japonaise de plus en plus formatée et asseptisée. En interview, le réalisateur se montre d’ailleurs tout à fait conscient de cette situation : il semble résigné à accepter les commandes et les franchises en artisant appliqué. Il est d’ailleurs frappant de voir sa passion revenir, non quand il parle de son dernier long métrage de fiction, mais de son documentaire sur le tsunami au Japon. Le cinéaste classique que l’on apprécie peut alors revenir par un biais inatendu, et l’on attendra maintenant sans doute avec plus de curiosité ses oeuvres documentaires que ses fictions.  On vous parle donc aujourd’hui de Monsterz, mais nous reviendrons certainement très vite sur Living in the Wake of 3/11.

Victor Lopez.

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