Un an après Arrietty, le petit monde des chapardeurs, La Colline aux Coquelicots, réalisé par Miyazaki fils, vient relancer la question de l’avenir de Ghibli. Le studio peut-il s’affranchir du poids du passé ? Par Justin Kwedi.
La Colline aux Coquelicots nous arrive tout juste un an après le très mitigé Arriety, le petit monde des chapardeurs. Ce dernier avait contribué à entretenir la question de l’avenir de Ghibli sans Miyazaki père tant son ombre tutélaire imposante avait empêché l’émergence d’un successeur de talent. C’est bien simple, hormis le merveilleux Si tu tends l’oreille/Mimi wo sumaseba de Kondo Yoshifumi (dont on attend toujours une sortie DVD française d’ailleurs), aucune réalisation non signée par les fondateurs Takahata Isao et Miyazaki Hayao ne tenait réellement la route, allant du sympathique Le Royaume des Chats, vraie/fausse suite de Si tu tends l’oreille, au médiocre. Arriety, le petit monde des chapardeurs était significatif de cette impuissance. Yonebayashi Hiromasa n’y montrait aucune personnalité, se contentant de singer sans talent les motifs les plus récurrents du maître. Le passé glorieux de Ghibli et les nombreux chefs d’œuvres qui le symbolisent semblent donc être un sérieux frein pour tout nouveau venu. Cela tombe bien puisque le poids du passé, c’est toute la thématique centrale de La Colline aux Coquelicots.
Miyazaki Goro signe là son deuxième film après le mitigé mais pas inintéressant Les Contes de Terremer. On le sait, les rapports avec son illustre père sont très tendus, ce dernier s’étant violemment opposé à son passage à la réalisation sur le précédent et lui ayant mené la vie dure (le documentaire japonais Futari montrait la véritable guerre que fut la gestion du film) durant la production de La Colline aux Coquelicots. Le scénario de Hayao vu à travers le regard de Goro offre donc une remarquable dualité et ambiguïté sur le rapport à l’Histoire et au passé à travers un récit intimiste et ambitieux. Les élèves d’un lycée entrent en croisade lorsque la décision est prise de détruire le « Quartier Latin », la vieille bâtisse faisant office de foyer au profit d’une autre plus moderne. Parallèlement, un couple se forme entre les élèves Umi et Shun mais qui va se trouver menacé par un secret issu de leur histoire familiale.
On a donc d’un côté un passé symbole de souvenirs attachants avec une histoire à respecter sur le Quartier Latin, et de l’autre, une chape de plomb qui noircit l’avenir d’un joli couple d’adolescents. La période où se déroule le film est significative de ses interrogations. 1963, en pleine préparation des Jeux olympiques de Tokyo qui auront lieu l’année suivante. L’événement doit signifier aux yeux du monde la toute puissance économique désormais acquise par le Japon et effacer le souvenir encore vivace du pays guerrier totalitaire qui mena à la Seconde Guerre mondiale et au drame d’Hiroshima. Les jeunes qui n’ont pas connus cette époque souhaitent donc pour certains préserver les vestiges du passé quand les plus vieux ayant vécus ces heures sombres ne pensent qu’à les effacer. Umi et Shun vont ainsi se trouver entre deux feux lorsque ce même passé qu’ils défendent à travers le Quartier Latin va faire ressurgir un douloureux événement pour eux. On peut bien évidemment y aller de son interprétation sur Miyazaki Goro, écrasé par l’aura de ce père qui ne lui fait aucun cadeau, et c’est justement par cet entre-deux que le film évite un passéisme tout de même assez prononcé dans le scénario de Miyazaki Hayao.
La Colline aux Coquelicots fait partie de la veine intimiste de Ghibli et on pense très fort ici à Souvenirs goutte à goutte de Takahata Isao pour la nostalgie dégagée et Si tu tends l’oreille avec cette timide romance adolescente. Si le fond s’avère plus ambigüe sur ce lien au passé, la forme, elle, le magnifie avec une reconstitution somptueuse des demeures, quartiers et tenues vestimentaire de l’époque ainsi qu’un fétichisme certain dans la description des rituels du quotidien : la cuisine, les courses, le ménage, les repas. Des instants synonyme de partage et de rapprochements discrets. Miyazaki Goro s’avère bien plus inspiré dans cette tonalité sobre que dans Les Contes de Terremer et même s’il peine encore à dégager un style visuel personnel (chose ô combien difficile chez Ghibli) il signe là un bien beau film.
Justin Kwedi.
Verdict :
La Colline aux Coquelicots de Miyazaki Goro, en salles le 11/01/2012.