A Story Of Life And Death And Love : Critique des courts-métrages d’Eric Dinkian (DVD)

Posté le 13 juin 2013 par

Alors que le tournage de A Story Of Life And Death And Love, premier long-métrage d’Eric Dinkian se prépare, revenons sur les courts métrages de son auteur. En effet, le DVD les regroupant est offert aux souscripteurs d’Ulule, à partir de vingt euros (ici).

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Eric Dinkian est monteur professionnel. Après avoir réalisé quelques clips et modules humoristiques, il s’essaie à la réalisation d’un court-métrage. Il s’agit de Kaojikara qui, remarqué, est ajouté comme bonus à l’excellent Nightmare Detective, de Tsukamoto Shinya.

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Autant le dire tout de suite, Kaojikara n’est pas parfait, la faute à un scénario un peu trop abscons qui transforme le film en exercice de style, et une actrice principale au jeu des plus approximatif. Pourtant, Kaojikara fascine, en se révélant être une fenêtre ouverte sur l’univers – l’âme ? – de son auteur. Tourné en langue japonaise (l’héroïne, Japonaise exilée volontairement à Paris, laisse sa voix off envahir le récit), il démontre immédiatement qu’Eric Dinkian n’a pas peur des difficultés. Forcément fasciné par le Japon et le cinéma japonais, il laisse parler son personnage féminin, qui est venu vivre à Paris pour se sentir différente, unique, même si cela implique être rejetée. Derrière ce propos, on perçoit son auteur, qui déroule un univers unique – même si référentiel – et complexe, prêts à voir son film être rejeté par une partie du public.

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Notre jeune femme découvre un jour son ami, sans visage, qui l’attaque. Elle l’assomme et s’enfuit, mais dehors, les autres êtres humains ont subi la même transformation. A travers cette contamination de fin du monde, elle se met à courir, toujours plus vite, toujours plus loin, poursuivie par une de ces créatures. Très esthétisé, Kaojikara attire l’oeil, avec ses intérieurs chargés et mystérieux, colorés, et ses extérieurs en noir et blanc, aux bâtiments volontairement faux qui plongent le spectateur dans un récit onirique en diable. L’impression est accentuée quand l’héroïne arrive au bout d’une route, qui semble marquer le bout du monde, et est obligée de faire demi-tour – sans même parler du plan final, à l’étrangeté sublime.

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Certes, la séance de danse étrange peut surprendre, et la conclusion peut laisser perplexe, mais Eric Dinkian réussit à mêler ses références cinématographiques et sa personnalité, et le résultat est très intéressant, donnant envie de découvrir la suite de son travail.

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Precut Girl possède des similitudes avec Kaojikara, démontrant qu’Eric Dinkian a certaines obsessions bien précises et que son univers cinématographique est des plus cohérent. Encore une fois, l’héroïne est une jeune Japonaise exilée à l’étranger, et sa voix off – en japonais toujours – envahit le film. Cette fois-ci, si elle s’exile, c’est parce qu’elle n’aime pas le monde dans lequel elle vit, s’y sentant étrangère. Cette solution ne suffisant pas, elle décide de se suicider mais, à chaque tentative, elle se réveille le lendemain dans la décharge publique non loin de chez elle. Devenant fascinée, non plus par la mort, mais par le moment de son décès, elle cherche encore et toujours à atteindre cet instant, et entraîne rapidement une pauvre victime qui va la suivre dans cette spirale destructrice. Les obsessions de l’héroïne renvoient quelques peu à Martyrs, le chef d’oeuvre de Pascal Laugier, mais l’univers d’Eric Dinkian lui est personnel. Encore une fois, il creuse la recherche d’identité, de la différence, et l’élément fantastique du film n’est qu’un ressort dramatique permettant de souligner l’absurdité de la vie et la quête de compréhension du monde qui nous entoure.

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Precut Girl fascine ainsi, jusqu’à sa conclusion, aussi déstabilisante que marquante par son nihilisme. Le jeu des acteurs se révèle bien meilleur que dans Kaojikara, ce qui est agréable et empêche de se distancier du récit. De même, l’onirisme pur disparaît, au profit d’une horreur plus brutale, sanglante. Eric Dinkian calme quelque peu ses recherches esthétiques, bien que les paysages urbains restent tristes, gris et vides, accentuant encore la solitude désespérée qui coule de l’écran pour étreindre les spectateurs. Le jeu des taches de sang rendent les morts de l’héroïne poétique, mais pourtant, la brutalité demeure. Eric Dinkian joue ainsi sur le fil du rasoir, entre poésie, horreur, brutalité et désespoir, qui fascine d’un bout à l’autre. Un excellent film confirmant le talent de son réalisateur.

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Dans ce paysage, Yukiko semble de prime abord un peu incongru. Abandonnant le fantastique et la voix off en japonais, ce court-métrage paraît assez classique sur le papier. Il raconte en effet l’histoire d’un homme, un chirurgien, qui se fait violemment poignarder et, tout en fuyant son agresseur, repense à l’abominable faute qu’il a commise.

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Si Eric Dinkian abandonne une grande partie de sa fascination pour le Japon (bien que l’agresseur est une Japonaise et qu’un court dialogue est énoncé dans cette langue) et oublie, pour un temps, sa recherche de compréhension des différences et son sentiment de déracinement, on retrouve encore son obsession pour la mort et pour ce moment de passage. De même, son goût pour l’ultra-violence – les coups de couteaux sont sauvages – et pour la poésie marquent durablement les esprits. Entre une scène d’amour avec deux femmes aux corps recouverts de dessins, et le plan final, d’une sombre beauté absolument tétanisante, Eric Dinkian sait soigner ses ambiances. Et, s’il raconte une histoire plus prévisible, il la construit et la déconstruit, entre flash-back, fantasmes et visions, d’une manière des plus intéressante. Yukiko est ainsi un excellent film, difficilement oubliable après le générique de fin.

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Kore, de son côté, renoue avec le côté onirique et l’étrangeté de son premier court-métrage. A nouveau, l’héroïne est asiatique, mais ses paroles en voix off, au lieu d’envahir l’image, ne font que présenter Kore, avant que le film ne devienne sans dialogue, plongeant le spectateur, démuni et sans clé, dans l’univers d’Eric Dinkian. Toujours fasciné par le corps, l’urbanisation à outrance et la culture japonaise, il abandonne cependant la violence. Son personnage, fasciné par la nature et sa représentation, la spirale, erre dans des paysages urbains désincarnés, vides, à la recherche d’une spirale qu’elle percevra en mettant son oreille sur les murs et le sol. Ensuite, elle la fait apparaître, avec des bombes de peintures, qui laissent des marques tout autant sur son corps que sur le béton.

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Kore est onirique et poétique. Eric Dinkian nous plonge dans un récit court et abscons, mais sa maestria ne peut que marquer. Les paysages urbains écrasent le spectateur, la musique envahit l’écran par moment, et l’esthétique du film (en particulier cette scène de douche en contre-jour entrecoupée de visions des spirales que la jeune femme a dessinées partout) marque durablement l’oeil est l’esprit.

 Yannik Vanesse

Verdict : A travers ses courts-métrages, Eric Dinkian s’est évertué à tracer un paysage cinématographique cohérent, peuplé d’obsessions passionnantes, et découvrir ce que donnera son long-métrage, relecture du vampirisme, esthétisé et plein des fascinantes interrogations de Precut Girl, ne peut que donner envie.

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Precut Girl : 928100Goodcopier

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Kore : 928100Goodcopier

Les courts métrages d’Eric Dinkian sont disponibles pour les souscripteurs de A Story Of Life And Death And Love exclusivement.

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