FFCP 2022 – Heaven: To the Land of Happiness d’Im Sang-soo

Posté le 13 novembre 2022 par

Le Festival du Film Coréen à Paris (FFCP) a terminé cette 17ème édition en beauté avec Heaven: To The Land of Happiness, le dernier film du grand Im Sang-soo, invité d’honneur de cette année.

Un prisonnier condamné pour malversation financière s’évade pendant une visite à l’hôpital avec l’aide d’un employé de l’établissement médical. Au passage, ils dérobent malgré eux une voiture pleine d’argent à des types peu recommandables. Les deux fugitifs, qui ne se connaissaient pas quelques heures plus tôt, partent sur les routes avec flics et mafieux à leurs trousses.

Cinéaste engagé, Im Sang-soo a su prendre le pouls d’une génération et de la société coréenne à travers une œuvre audacieuse (Girls Night Out, Une Femme coréenne), volontiers grinçante (The Housemaid ou L‘Ivresse de l’argent) et souvent controversée (The President’s Last Bang lui aurait valu de faire partie des artistes blacklistés sous la présidence de Park Geun-hye). Cette fois, il revient avec un film étonnamment apaisé qui, sans abandonner la critique sociale qui sous-tend son œuvre (on ne change pas l’homme si facilement), va vers une certaine lumière, voire même une forme de douceur pour ses personnages à laquelle nous avions été peu habitués depuis quelques décennies.

Le film est un croisement entre le buddy-movie d’action complètement loufoque et le road-movie méditatif. Autrement dit, deux genres truffés de codes avec lesquels Im Sang-soo s’amuse énormément tout au long de cette cavale en quête de rédemption. Heaven.. effectue un démarrage en trombe et enchaîne les péripéties à marche rapide avant de s’installer dans un rythme plus posé. Si son cinéma a toujours été empreint d’un humour diffus (souvent à tendance bien noir), Heaven… est l’occasion d’y aller franchement : avec son histoire de millions cachés dans un cercueil, le film déroule bon nombre de gags typiques, pas forcément subtils, mais diablement savoureux (le running gag du taser est particulièrement efficace). Avec son duo de mafieux empotés (Jo Han-cheol et Im Ung-jae, délicieusement cabotins), l’héritière débordée (Lee El en panique), et la matriarche carnassière flippante (Yoon Yeo-jeong en mode trashy subclaquante), Im Sang-soo ne semble pas bouder son plaisir à proposer le pendant bouffon de son Ivresse de l’argent, quasiment en parallèle de l’intrigue de ce film-ci qui s’aventure plus ouvertement sur le terrain de la comédie criminelle. Néanmoins, et au-delà de ces amusantes considérations, le postulat de départ est avant tout un prétexte à quelque chose de bien plus profond. Le film ralentit d’ailleurs considérablement dans une seconde partie plus mélancolique, complètement recentrée sur le duo principal.

Il y a du Laurel et Hardy dans la paire que forme Park Hae-il et Choi Min-sik. Si l’association peut sembler incongrue – l’intensité menaçante de Choi Min-sik alliée à la mollesse exquise de Park Hae-il – elle s’avère miraculeuse. Au bonheur de voir ces deux grands comédiens se donner la réplique s’ajoute alors celui de leur alchimie qui prend naturellement afin de créer un rapport à mille nuances et au moins autant de tendresse. Et de la tendresse, le film en est rempli, sans pour autant tomber dans la mièvrerie. Heaven… tire un constat amer de l’existence, et n’est pas si optimiste que ça sur l’avenir, mais il ne cesse de s’appuyer sur les petites touches d’espoir laissées sur la route (un concert de rue, une dernière étreinte, une amitié inattendue, un ultime regard vers la mer), et surtout, sur la jeunesse (avec le personnage de la fille de 203, interprétée par une Lee Jae-in, décidément prometteuse dans une apparition brève mais bouleversante).

A la fin de la masterclass organisé par le FFCP, Im Sang-soo confiait ne plus avoir envie de parler de son pays, préférant désormais céder la place aux jeunes. Par bien des aspects, Heaven… évoque un adieu, du moins la fin de quelque chose. Sous un film à l’apparence mineure, Im Sang-soo baisse la garde et livre une œuvre aussi profondément personnelle qu’elle est généreuse. On se laisse alors volontiers surprendre par l’émotion quand retentissent les premières notes de To the Land of Happiness de l’icône folk Hahn Dae-soo, hymne revendicateur de sa génération, alors qu’il passe le flambeau à une autre, et on profite du voyage, en attendant le prochain chapitre de son cinéma.

Claire Lalaut

Heaven: To the Land of Happiness d’Im Sang-soo. Corée du Sud. 2020. Projeté au FFCP 2022

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