FFCP 2016 – Dongju – The Portrait of a Poet de Lee Joon-ik: Total Eclipse

Posté le 19 novembre 2016 par

Après le remarquable Hope et l’acclamé The ThroneLee Joon-ik plonge dans une vision lyrique de l’histoire coréenne à travers les dernières années de la vie du poète Yun Dongju. Il nous offre un film épuré mais touchant.

Yun Dongju est un célèbre poète coréen du XXème siècle. Il exerce toujours une fascination sur la jeunesse coréenne. Telle l’aura de nos poètes maudits, celle de Dongju est autant le résultat du contexte de la création de son œuvre que des péripéties intimes du poète qui lient la petite histoire à la grande. Le film montre la vie de l’artiste interprété par Kang Ha-neul (qui brillait l’année dernière dans la comédie Twenty), de son affirmation en tant que poète et son départ pour étudier à l’université jusqu’à sa mort au Japon en 1945. Cela aurait pu être un biopic misérabiliste et nationaliste dans le but de fournir le roman national coréen comme le font les blockbusters actuels, comme The Assassination ou The Age of Shadows, mais Lee Joon-ik permet au film de se distinguer en choisissant l’événement intime au détriment de la grandiloquence de l’histoire. Le film n’idéalise pas plus que la poésie de Dongju l’autorise. Il est même constamment contrasté par la présence d’un personnage qui incarne l’histoire en marche, son cousin Song Mong-gyu (Park Jung-min). Contrairement à Dongju, la présence de Song Mong-gyu ramène la politique et les événements historiques au sein du film. Ainsi, des flashbacks des actions de Song Mong-gyu à Shanghai ou de ses réunions révolutionnaires au Japon injectent au film la violence de l’époque que Dongju refuse d’affronter jusqu’à la subir, impuissant, dans le dernier quart du film.

dongju affiche

Le film se construit à travers ses deux incarnations de la poésie, l’une qui tente de changer le monde par les mots, l’autre qui veut détruire les maux par le changement du monde. Le film oppose une révolution interne et personnelle à une révolution collective, alors que les deux sont nécessairement politiques. Le choix du noir et blanc devient pertinent pour marquer cette opposition cruciale qui définit le parcours des deux personnages qui s’opposent autant qu’ils se complètent. Néanmoins, cette opposition et la violence de l’histoire n’étouffent pas le film dans le chaos et la complexité de la période car même si les deux visions coexistent, c’est celle de Dongju qui berce le film à travers un lyrisme et une épuration esthétique pertinente. Certes, les événements esthétiques ne sont pas légion, il faut l’apprécier comme un grand geste, comme un poème. Le film laisse vivre la poésie et la langue par la sobriété de la mise en scène, et par une prestance bienvenue des acteurs qui font vivre les langues plus qu’ils ne brillent à travers elle.

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C’est l’ensemble de l’image qui s’efface ou se met au service de la langue dans le film. On y parle 3 langues, coréen, japonais et anglais. Les glissements de la poésie d’une langue à une autre et le soin que porte Lee Joon-ik à mettre en valeur la puissance des mots provoquent des moments de flottement et de tendresse voire de grâce. Ces moments sont des échappées lyriques qui expriment brillamment la poésie de Dongju qui repose sur une contemplation de l’éphémère et un goût pour l’insaisissable. Mais ce geste esthétique répond à des événements narratifs qui correspondent également à la compréhension de la poésie de Dongju, ainsi est-il victime de cette contemplation quand les impératifs de son statut de Coréen viennent lui rappeler que nous sommes dans l’une des pires périodes de l’histoire de l’humanité. La violence pour Dongju est en hors-champs, jusqu’à ce que le personnage de Song Mong-gyu et la défaite du Japon le ramènent à la contingence pour une dernière fois.  C’est là que le goût pour le versatile et l’insaisissable de sa poésie influence le film. Le montage qui se construisait sur l’interrogatoire des deux protagonistes par les Japonais et les réminiscences qu’ils avaient à travers leur propos se brouille, le rythme s’accélère, les temporalités s’alternent. Dongju devient comme sa poésie, simple mais indistinct pour celui qui ne prend pas le temps de la contemplation, la fin de son interrogatoire s’oppose à celle de son cousin dans leur loyauté à la poésie. On se rend compte que sa vie est marquée par ce caractère éphémère et mystérieux qui va de ses histoires d’amour et son recueil inachevés, à l’injection inconnue qui a provoqué sa mort dans une prison japonaise.

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Dongju prend l’apparat d’un film classique à travers une épuration juste qui laisse exister la poésie. Ce geste poétique définit la vie des protagonistes, comme les ouvrages politiques définissaient la violence idéologique, pourtant bien physique de l’époque. Les mots de Dongju nous permettent de voir que le courage de la contemplation ne permet peut-être pas de vaincre le chaos du monde, mais au moins celui de l’esprit.

Kephren Montoute.

Dongju – The Portrait of a Poet de Lee Lee Joon-ik, présenté au Festival du Film Coréen à Paris (FFCP) 2016.

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