INÉDIT – In Flames de Zarrar Kahn : chroniques d’une ultraviolence

Posté le 26 juin 2023 par

Le cinéma pakistanais connaît une véritable renaissance à Cannes. Un an après Joyland (Saim Sadiq, 2022), prix du jury Un certain regard, c’est au tour d’un nouveau premier film d’être mis à l’honneur par la croisette. Sélectionné à la Quinzaine des cinéastes, In Flames de Zarrar Kahn fait le récit anxieux et puissant d’un Pakistan qui écrase et aliène ses femmes. 

Au son de l’écho du métal qu’on frappe, des ombres se dessinent le long d’un mur tandis que des cris de douleur s’échappent d’un homme qui semble agoniser. Dans l’entrebâillement d’une porte, les grands yeux noirs d’une jeune fille observent la scène.

C’est dans la violence et la mort hors-cadre que débute In Flames. De la scène d’ouverture mystérieuse à l’introduction des personnages qui font le deuil de leur patriarche, un spectre menaçant plane sans jamais montrer son visage. Très vite cependant, ce mal rampant s’incarne dans le bras haineux et agressif d’un homme qui brise la vitre d’une voiture conduite par une femme. 

Mariam (Ramesha Nawal) est une étudiante pakistanaise en médecine qui se rend alors à l’université pour réviser. Elle porte un voile coloré, qui laisse apparaître quelques cheveux. Elle écoute de la pop locale. Le bras irascible de l’homme qui cherche à l’atteindre à travers le verre cassé ressemble au membre désarticulé d’un revenant.

Dans une approche qui emprunte aux codes de l’horreur et de l’épouvante commence alors le récit d’une ultraviolence. Au sein d’un pays patriarcal et profondément religieux, les femmes sont scrutées et la brutalité masculine s’exerce autant physiquement que symboliquement. 

S’éloignant d’un portrait néo-réaliste de la société pakistanaise discriminante, dont le magnifique Joyland s’était déjà fait le miroir l’an passé, le réalisateur Zarrar Kahn choisit pour son premier long-métrage de construire une intrigue sibylline, presque mystique, et floute les frontières entre le réel et l’illusion. Les yeux vitreux des hommes morts qui hantent Mariam et sa mère (Bakhtawar Mazhar) sont-ils un simple mirage, ou le reflet pathologique d’une paranoïa fatidique, d’une folie à laquelle sont condamnées des femmes abandonnées par leur pays ?

Face à la violence permanente, l’aliénation semble inévitable. Dans ses hallucinations, Mariam franchit des portes qui la replongent dans son passé, entre regret, nostalgie et traumatisme. Comme prisonnière de sa propre cage, elle tourne en rond et ses rêves se transforment rapidement en cauchemars incontrôlables qui viennent se briser sur les affres de la réalité. 

Pourtant, Zarrar Kahn s’abstient souvent de montrer la violence frontalement. Sa caméra se concentre sur les visages expressifs et angoissés de ses héroïnes, alternant adroitement ellipse et hors-cadre. Le réalisateur refuse de choquer pour le plaisir et se désintéresse d’un voyeurisme malsain qui habite pourtant beaucoup les films de cette région quand il est question de la violence faite aux femmes. Par des voies détournées, et grâce à l’interprétation exceptionnelle de ses deux actrices principales, Zarrar Kahn force ses spectateurs à ressentir l’horreur et la malédiction d’être femme au Pakistan sans jamais se complaire dans la simple illustration, et livre un premier long-métrage tout aussi insolite que splendide. 

Audrey Dugast 

In Flames de Zarrar Kahn. Pakistan. 2023. Projeté lors de la reprise du Festival de Cannes 2023.

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