Après un confinement national décidé abruptement par le gouvernement, des millions d’Indiens se retrouvent sans travail et sans ressources. A Mumbai, plus grande ville du pays, une petite équipe de tournage menée par le réalisateur Mihir Fadnavis suit dès les premières heures les initiatives solidaires qui naissent aux quatre coins de la mégalopole. Jusqu’au jour où un mouvement d’exode sans précédent prend journalistes et autorités au dépourvu. Ce témoignage porte le nom de Lords of Lockdown et a été projeté au New York Indian Film Festival 2022.

Des rues fourmillantes, bruyantes et pleines de vie de Mumbai, il ne reste que des artères vides et un silence oppressant, tandis que sur le front de mer ne résonne plus que le doux clapotis des vagues qui s’écrasent contre les digues. Dans une atmosphère de fin du monde, la caméra du réalisateur Mihir Fadnavis survole lentement les gares désertes et figées dans le temps d’une des plus grandes villes du monde, d’où vont et viennent habituellement plus de 7 millions de personnes.

Le 23 mars 2020, le Premier Ministre indien Narendra Modi annonce le confinement de 80 métropoles et mégalopoles. Le lendemain, c’est tout le pays qui est mis à l’arrêt, et ce qui ne devait durer que trois semaines s’étendra finalement à six mois. Le début d’un calvaire pour les populations les plus démunies de Mumbai, entassés dans des bidonvilles, errant dans les ruelles poussiéreuses le ventre vide, privées de soins et d’aides financières. 

A travers les actions de quatre habitants mobilisés pour leur venir en aide – bénévole, journaliste, docteure et inspecteur général des rails – le réalisateur Mihir Fadnavis dresse le portrait d’un pays en proie aux inégalités et au mépris social face à un gouvernement absent. Présenté en avant-première le 7 mai dernier dans le cadre du New York Indian Film Festival, Lords of Lockdown n’est toutefois pas une enquête fouillée analysant la gestion du confinement et de la crise du Covid-19 par les autorités. Produit par Anurag Kashyap, grand réalisateur connu notamment pour des films comme Dev D (2009) ou Gangs of Wasseypur (2012), le documentaire donne principalement à voir des images prises sur le vif par la seule équipe de tournage présente dès les débuts de la crise.

Des rushs précieux qui permettent notamment de faire la lumière sur la situation dramatique de ceux qu’on appelle les “travailleurs immigrés”, ces ouvriers venus de la campagne dans la grande ville pour effectuer toute sorte de petits boulots. On estime alors leur nombre en 2020 à plus de 2 millions. Quelques semaines après les débuts du confinement, pris au piège de la mégalopole, sans emploi et loin de leur famille, ils décident spontanément de prendre la route à pied pour regagner leurs villages. Un mouvement d’ampleur inédite qui va secouer le pays et entraîner la réouverture en urgence des gares. 

Toujours sur le terrain, les caméras de Mihir Fadnavis suivent en direct ce bouleversement et recueillent les témoignages puissants de ces travailleurs qui se sentent abandonnés par les autorités. Elles filment les visages fatigués et émaciés, tout aussi en colère que déterminés : femmes portant à bout de bras leurs nourrissons, hommes écrasés par le poids de leurs quelques biens, enfants endormis sur des valises qu’on traîne au sol…

Prenant ensuite du recul en interviewant a posteriori ses protagonistes et diverses figures politiques, Lords of Lockdown fait ressortir les contradictions d’un pays qui n’aurait pu survivre sans l’immense solidarité déployée par des milliers de ses citoyens. Avec beaucoup de pudeur, Mihir Fadnavis filme ainsi l’embarquement dans des trains gratuits de travailleurs et de familles à qui des bénévoles tendent chaleureusement et inlassablement de quoi manger et boire pendant les longs trajets qui les attendent à travers l’Inde. Tous portent des masques de fortune, constitués parfois de simples foulards ou de t-shirts ramenés sur le visage. La sécurité sanitaire n’est toutefois pas la première préoccupation de ces populations qui ont le ventre vide.

Malgré son montage parfois un peu confus et sa musique de fond presque omniprésente, qui tend à lasser et à dédramatiser des situations dont le seul tragique se suffit à lui-même, Lords of Lockdown est un documentaire majeur et unique sur un des plus grands confinements nationaux causés par le Covid. Une œuvre qui ne manquera pas de faire date. 

Audrey Dugast

Lords of Lockdown de Mihir Fadnavis. Inde. 2022. Projeté lors du New York Indian Film Festival 2022

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