Bilan Kinotayo 2014 : un état du cinéma japonais

Posté le 16 janvier 2015 par

Du 25 novembre au 20 décembre 2014, le 9ème festival du film japonais contemporain de Kinotayo s’est tenu à Paris avant de parcourir la France pendant tout le mois de janvier. Retour sur une année en demi-teinte, à l’image du cinéma japonais d’aujourd’hui.

Un mauvais élève : le cinéma japonais (suite)

Ce n’est un secret pour personne : le cinéma japonais ne se porte pas très bien. Sous sa bonne santé économique, les signes de son essoufflement artistique ont commencé à se faire sentir dans tous les festivals de cette année, à commencer par le Tokyo Filmex 2014, dans lequel notre correspondant Nicolas Debarle évoquait le Japon comme le « mauvais élève » (lire ici). En ce début d’année 2015, les sélectionneurs du Black Movie de Genève ou du FICA de Vesoul nous confiaient n’avoir pu trouver ne serait-ce qu’un bon film japonais pour leur sélection. Logiquement, les marques de ce déclin étaient plus voyantes encore au festival de Kinotayo, qui présente chaque année une dizaine de films sortis au Japon dans les 18 derniers mois. Non seulement, cette mauvaise santé était discutée, notamment lors de la table ronde autour de la Nouvelle Vague, au cours de laquelle Stephen Sarrazin, auteur de Réponses du cinéma japonais contemporain, affirmait que depuis 2004, le Japon n’avait pas enfanté un seul nouveau grand auteur, après l’âge d’or du tournant des années 90 et 2000, ou par les cinéastes eux-mêmes, à l’image de Sakaki Hideo, réalisateur de Disregarded People, nous confiant que « la situation n’est pas très bonne pour le cinéma japonais » (lire ici), mais elle était aussi palpable sur l’écran.

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Le cimetière du cinéma japonais ?

On ne peut donc pas vraiment blâmer le festival, qui s’est attelé à construire une sélection équilibrée entre documentaires et fictions, cinéastes confirmés et jeunes auteurs, de la qualité moyenne de cette édition, tant elle reflète au fond la crise artistique que traverse le Japon en ce moment. On peut même affirmer que les 9 films en compétition, agrémentés de belles surprises hors compétition (l’avant-première de Souvenirs de Marnie, le dernier Ghibli ; deux « films d’observation » de l’essentiel Sôda Kazuhiro ; l’excellent Japanscope, un Cinéma de notre temps très réussi de Philippe-Emmanuel Sorlin, mais aussi et surtout des débats et des tables rondes avec les nombreux réalisateurs invités) étaient représentatifs de ce que l’on peut découvrir de mieux au Japon aujourd’hui. Et pourtant, on ne peut s’empêcher d’être tout de même perplexe devant un ensemble d’où peine à émerger une œuvre vraiment forte et une découverte absolument marquante.

Kinotayo 2014

Débat eastasien à l’ouverture de Kinotayo

Les grands noms surtout ont déçu. Kurosawa Kiyoshi (lire son interview ici) se contente de faire ses gammes dans les deux petits films de commandes présentés : le clip pour Maeda Atsuko Seventh Code et son court essai de film d’art martiaux Beautiful New Bay Area Project. Deux œuvres dispensables en forme d’amuse-bouche en attendant le prochain vrai film du réalisateur ayant connu une juste résurrection artistique avec Shokuzai et qui demande maintenant à être véritablement actualisée au cinéma. De même, si le talent formel de Aoyama Shinji transparaît dans son Backwater, il semble un peu vain et à l’étroit dans cet hommage trop appliqué au Pinku Eiga. Enfin, si l’on reconnait une certaine idée du grand cinéma japonais classique dans La Maison au toit rouge, le dernier mélodrame de la Shochiku signé par l’inusable Yamada Yôji, celle-ci semble déjà être embaumé dans une époque révolue, et ressort aujourd’hui comme momifiée.

Kurosawa

Le grand Kurosawa était présent à Kinotayo

À ce compte-là, la jeunesse s’en sort beaucoup mieux et navigue dans des eaux moins formatées, même si le prix à payer est parfois assez fort. Il a fallu à Sakamota Ayumi (lire son interview ici) 6 ans pour arriver à bout de FORMA. Mais le résultat, sans concession et assez unique dans la production japonaise contemporaine, vaut largement cette attente. Ce sont aussi par des chemins de traverse qu’existent les œuvres de Sakaki Hideo, qui alterne une carrière d’acteur à succès dans les films de Kitamura Ryûhei et une autre comme réalisateur et producteur de films indépendants et marginaux, dont Disregarded People était cet année un bel exemple.

Forma Poster

Si l’on est moins convaincu par The Light Shines Only There de Mipo Ô, on peut lui reconnaître un certain courage, surtout en sachant que ce film, loin d’être aussi consensuel que l’on pourrait le penser, est pré-selectioné par le Japon pour le représenter aux Oscars 2015 ou par Tamako in Moratorium, avec la trop kawaï Maema Atsuko. On sait aussi que ce projet plus mainstream permet à son réalisateur Yamashita Nobuhiro (lire son interview ici) des tentatives plus personnelles comme The Drudgery Train, que l’on avait pu découvrir lors de la précédente édition de Kinotayo.

Kingdom of Loss and Despair

Mais ce qui semble réunir ces générations de cinéastes est une inquiétude partagée face à l’avenir. Yamada (né en 1931) se réfugie comme à son habitude dans le passé en évoquant dans La Maison au toit rouge des événements de la Seconde Guerre Mondiale, mais relie cette époque de privation de liberté à la nôtre, soulignant le danger d’un conformisme trop grand et pernicieux dans le Japon d’aujourd’hui. Miyazaki Hayao, à peu près de la même génération et au centre de The Kingdom of Dreams and Madness, le sublime documentaire que consacre Sunada Mami au Studio Ghibli, partage la même lassitude face à une époque dans laquelle il ne se reconnait plus, mais dont il pointe surtout les dangers politiques (il évoque la censure dont ses œuvres peuvent être victimes), sociales et écologiques. L’ombre de Fukushima plane sur l’ensemble des œuvres, où les thèmes de la contaminations, de la pollution et du nucléaire irriguent des scénarios d’un pessimisme obsédant : Seventh Code et son climat de guerre froide, Backwater et son déterminisme malsain, FORMA et son mal-être social, sans parler des violences sexuelles et de l’impression de lassitude face à la vie que laissent The Light Shines Only There et Disregarded People, jusqu’au pourtant coloré Tamako In Moratorium qui voit son personnage s’exclamer, abattu à chaque fois qu’il regarde les informations à la télévision : « ce pays n’a aucun avenir ». Le 11 mars a laissé un pays résigné, paralysé politiquement et socialement, conscient de ses impasses et n’ayant plus rien à offrir à ses futures générations. L’intérêt et la force des films de cette édition de Kinotayo était de regarder ces problèmes droits dans les yeux et de nous les livrer tels quels.

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Portrait du Japon d’aujourd’hui via Tamako

Ce constat était encore plus grand dans les documentaires proposés, qui constituaient la grande force esthétique du festival, si l’on met de côté le catastrophique The End of The Special Time We Were Allowed, exercice de style nombriliste et amateur ayant au moins l’intérêt, dans sa vacuité, de mettre en lumière un certain mal être adolescent à travers le suicide de son protagoniste. Outre The Horses of Fukushima, dans lequel le très instinctif Matsubayashi Yôju témoigne de l’après Fukushima à travers les chevaux qui y ont été laissés, les deux meilleurs films de Kinotayo 2014 étaient en effet les films de Sunada Mami, qui confirme après le sublime Death of a Japanese Salesman son talent d’observatrice, et les 2 volets de Campaign de Sôda Kazuhiro, témoignage hallucinant sur l’état de délabrement du débat politique japonais, résumé à des slogans publicitaire. La parole publique y est montrée comme incapable de prendre en charge les préoccupations et les inquiétudes des Japonais, restant muette aussi bien sur les questions les plus importantes comme le nucléaire après Fukushima, que sur les soucis plus quotidiens. C’est alors le cinéma qui prend le relais en se faisant témoin et porte-parole d’un mal-être qui semble partout présent, mais comme invisible et impalpable dans une société privilégiant le non-dit plutôt que la mise en lumière de ses soucis.

Justin Kinotayo

Le prix de la presse remis à M. Sakaki pour Disregarded People (avec un eastasien en chemise bleu)

On ne peut alors que souligner et applaudir la volonté de Kinotayo de présenter des films donnant la paroles à ces « disregarded people », pour reprendre le titre du long-métrage de Sakaki, des œuvres indépendantes et contestataires au pessimisme salutaire, là où le cinéma commercial, et son entrain forcé, préfère se voiler la face à la réalité. On se souvient qu’il y a peu, de gros succès comme Railways ou The Last Ronin étaient encore présentés à Kinotayo, qui s’éloigne radicalement du formatage télévisuel du cinéma commercial dominé par les grandes marques et la télévision. Si la renaissance du cinéma japonais n’est certainement pas pour demain, c’est en soutenant ce genre d’œuvres et de créateurs iconoclastes qu’elle pourra subvenir et irriguer à terme un cinéma plus normé. On espère en attendant que l’édition anniversaire des 10 ans fin 2015 fera mentir la citation liminaire de Stephen Sarazin, en nous prouvant que des grands cinéastes de demain ont éclos à Kinotayo ces 10 dernières années et dans les 10 ans à venir.

Victor Lopez.

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