Entretien avec Kurosawa Kiyoshi : Festival International du Film de Belfort – EntreVues

Posté le 10 janvier 2015 par

Les 27 et 28 novembre 2014, le réalisateur japonais Kurosawa Kiyoshi était de passage en Franche-Comté pour le Festival de Belfort. Il était invité à présenter quelques films de sa filmographie en parallèle avec des œuvres de l’histoire du cinéma qu’il a choisies, dans une programmation intitulée « Double Features » (lire ici). À cette occasion, le cinéaste présentait son dernier film Seventh Code à la durée peu conventionnelle (60 min.) et déjà primé au Festival de Rome en 2013 (mise en scène et montage). Kurosawa Kiyoshi livre ici les dessous de cette production inédite à sa filmographie, sa sensibilité pour le festival Belfort, les actrices/personnages féminins et le 35mm.

Comment êtes-vous arrivé sur le projet de Seventh code ?

À la base, Atsuko Maeda, l’actrice du film, est très connue au Japon en tant que chanteuse (ndlr elle est une ex-membre du très populaire groupe AKB48) et comme elle a écrit un nouveau morceau, on m’a demandé d’en faire un film promotionnel.

Lorsque vous avez présenté le film, vous avez dit qu’il fallait que vous restiez dans le budget qui vous était accordé, mise à part cela, il y a-t-il eu d’autres contraintes ?

Comme le résultat final n’était pas un clip classique mais plus un bonus vidéo inséré sur un deuxième disque avec l’album, je pouvais donc faire le format que je voulais. L’idée de dérouler l’histoire du personnage d’Atsuko Maeda en dehors du Japon ou dans un endroit qui ne soit pas japonais, vient du producteur. Maeda est très populaire au Japon dans les deux sens du terme : le public la connaît bien, il y a une forme d’intimité entre elle et le public. Pour le producteur, le fait de la mettre en scène hors du Japon l’aiderait à la mettre encore plus en valeur ou de la voir sous une nouvelle lumière. Il fallait donc trouver un endroit mais qui ne soit pas en Asie et aussi qui ne soit pas trop loin puisque le budget était un peu limité. Au fil des discussions, nous nous sommes décidés sur Vladivostok qui est un lieu occidental aux portes de l’Asie.

 Seventh_Code

Quelles difficultés avez-vous rencontrées en tournant là-bas ?

L’une de nos plus grandes difficultés a été que notre équipe n’était jamais allée là-bas et qu’on ne savait pas quel genre d’histoire on pouvait y raconter. Il fallait donc prendre connaissance des lieux. Une fois que le tournage a commencé, tout allait mieux. Vladivostok est une petite ville et il y a un festival de cinéma là-bas dont l’équipe a pu nous aider. Le mélange des équipes russe et japonaise s’est bien passé et ça nous a beaucoup aidés. Je ne sais pas si vous vous rappelez de la dernière séquence du film, Atsuko Maeda monte dans une camionnette ; le conducteur n’est autre que le directeur du festival de Vladivostok (rires).

Seventh Code

En voyant le film, on remarque beaucoup de plans larges, et notamment la dernière séquence sur la route où vous laissez partir l’action tout en faisant un mouvement de grue, cette mise en scène distancée vous est venue sur place ou y pensiez-vous avant de venir en Russie ?

Dès que j’ai su qu’on tournait en Russie, je savais que je trouverai des espaces vastes comme on n’en trouve pas au Japon. Le dernier plan auquel vous faites référence se trouve très loin de Vladivostok. On a dû faire plusieurs heures de voiture pour trouver ce paysage que j’imaginais avant de venir tourner en Russie. Pour tout vous dire, même l’équipe russe fut surprise qu’on ait pu trouver ce paysage éloigné de la ville, à l’intérieur des terres.

Comment avez-vous abordé la question de l’image et du son ?

Une chose était évidente dès le début, c’était que je devais filmer Atsuko Maeda en train de chanter puisqu’il s’agissait d’une sorte de clip/film promotionnel. J’ai toujours gardé cela en tête sur ce projet. Au début, la musique existait mais pas les paroles qui sont arrivées beaucoup plus tard. L’idée que je me faisais en écoutant la musique était quelque chose qui allait de l’avant et comme je l’ai dit lors de la présentation du film, pour les Japonais, Vladivostok est une ville qui est une porte qui permet d’aller vers l’Occident. Je dois avouer que j’ai très peu de culture et de pratique en matière de clip vidéo. J’ai donc procédé de la façon suivante pour la mise en scène : lorsque Atsuko Maeda joue le personnage du film, je la dirige en tant qu’actrice, une fois qu’elle chante, elle redevient la chanteuse que tout le monde connait et je ne la dirigeais pas.

 Kurosawa-itw-portrait

À la vision de Seventh code, on repense aux rôles de femmes fortes de vos derniers films (Shokuzai et Real). Est-ce que c’est un aspect que vous allez approfondir dans vos prochains films ou allez-vous revenir à des rôles prédominants plus masculins ?

Cela tient beaucoup au hasard et aux rencontres. Il faut savoir que Shokuzai, Real et Seventh code sont des films de commande et dans les trois cas, il s’agissait de personnages féminins déjà établis avant que j’arrive sur ces projets. Real et Shokuzai étaient des adaptations de romans avec des personnages féminins et Seventh code est le clip/film promotionnel d’une chanteuse; si je devais écrire un film prochainement je ne sais pas si les protagonistes seraient plus féminins ou masculins. Je dois avouer que j’apprécie de suivre ce fil de rencontres qui me mène à ces différents projets. D’un point de vue plus personnel, je pense que dans la génération des jeunes acteurs qui ont entre 25 et 30 ans, ce sont les actrices qui ont plus d’ampleur dans leur jeu, plus de force et donc qui sont plus riches.

 Seventh Code

Du coup, est-ce que votre prochain film qui sortira au Japon en 2015, aura un personnage féminin comme protagoniste et est-ce que ce sera un sujet original ou une autre adaptation ?

Ce sera une adaptation et le film sortira fin 2015 au Japon et peut-être qu’il sera présenté en France avant. Tout n’est pas encore décidé. Cette fois, il s’agira d’un couple en tant que « personnage principal » mais si on devait choisir des deux qui est celui qui ressort le plus, je dirais que c’est celui de la femme. (rires)

Puisque le festival de Belfort vous offre la programmation des « Double Features » avec vos propres films, quel film associeriez-vous avec Seventh code ?

C’est très difficile…Jusqu’à la dernière minute, on ne savait pas si on pourrait projeter le film ce qui fait que je n’ai pas eu à penser à un film à projeter en marge de celui-ci. Il faut que je réfléchisse un peu… Ça pourrait être des films comme Alphaville ou Pierrot le fou de Jean-Luc Godard. Dans ces deux films, ce sont des rôles masculins prédominants pourtant… La fin de mon film tiendrait plus de Pierrot le fou, je pense.

 Pierrot le fou

Est-ce que pour les autres films, vous aviez pensé à d’autres œuvres en correspondance aux vôtres ?

Pour les autres films, les choix étaient plus clairs car je n’avais pas d’autres œuvres en tête mais j’ai hésité parfois. Ce qui m’a aidé à choisir au final, c’était la disponibilité des films pour la projection.

Le festival de Belfort a un public assez jeune en général et avec le programme des « Double Features », « Laboratoires sonores » ou des programmes de films de patrimoine, il y a une volonté de transmission de l’histoire du cinéma et de sa mécanique, qu’en pensez-vous ?

J’ai parcouru le catalogue du festival et j’ai été surpris par l’ampleur de cette programmation. Il y a des films très anciens donc oui, je trouve que le festival cherche à enseigner, d’une certaine façon, l’histoire du cinéma. Il y a une évolution également en allant des films anciens aux films plus récents dans une diversité de registres très impressionnante ; il y a des films expérimentaux, anciens, d’animation etc. et je trouve ça extrêmement riche. Je trouve que ce festival n’a rien à envier à d’autres grands festivals comme celui de Cannes. Mais ce qui m’a le plus ému, c’est que Nénette et Boni de Claire Denis et mon film Jellyfish aient été projetés en pellicule 35mm. C’est très très rare aujourd’hui au Japon ou dans le reste du monde de voir des projections argentiques ; c’est une expérience très précieuse surtout pour les jeunes générations de voir des films tournés en 35mm et projetés tels quels sur un grand écran. J’étais ému parce que ça faisait très longtemps que je n’avais pas pu voir un de mes films projeté via son support d’origine ; c’est là aussi la grande force de ce festival.

 Kiyoshi-Kurosawa-seance-seventh-code

Vous déplorez également le fait qu’il est difficile de nos jours de tourner en pellicule ?

Je trouve que c’est dommage mais ça ne veut pas dire pour autant que je n’aime pas le numérique. Je regrette que l’arrivée du numérique chasse la pellicule. Le public devrait pouvoir choisir ainsi que les cinéastes quel(s) support(s) ils préfèrent. Le numérique a des points forts incontestables mais la pellicule en a aussi. L’argentique a une tradition de plus de 100 ans et je trouve très étrange que du jour au lendemain, on nous interdise de tourner en pellicule. J’aurais mieux compris si la transition se passait sur une dizaine ou une vingtaine d’années, cela aurait été plus naturel mais je suis assez choqué de voir que les choses se passent de façon aussi brusque.

Propos recueillis au Festival International du Film de Belfort – EntreVues, le 28/11/2014 par Flavien Bellevue.

Traduction de Eléonore Mahmoudian.

Photos de Kurosawa Kiyoshi par Flavien Bellevue

Merci à Audrey Grimaud et à toute l’équipe du Festival EntreVues.

Plus d’informations ici. 

Lire la critique de Seventh Code ici.

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