FFCP 2025 – The Final Semester de Lee Ran-hee

Posté le 5 novembre 2025 par

Le réalisateur de A Leave, présenté au Festival du Film Coréen à Paris (FFCP) en 2021, était de retour pour cette 20e édition avec un nouveau film social, The Final Semester, récompensé à Busan. A la croisée de Work to Do et de Next Sohee, le nouveau film de Lee Ran-hee nous entraîne dans le quotidien d’un lycéen qui accepte de passer son dernier semestre avant le diplôme à l’usine, dans l’espoir d’une place à l’université et d’une exemption de service militaire. Bien entendu, la réalité qu’il découvre est plus compliquée que ce qu’on lui avait annoncé…

C’est un film sobre, dont tout le déroulé dépend de l’écoulement de ce semestre (le titre coréen signifie 3e année, 2e semestre). On suit le jeune Chang-woo, de sa décision de participer à ce stage à sa conclusion, de ses premières hésitations à son intégration compliquée dans ce monde du travail incroyablement violent. Les acteurs sont excellents, notamment le jeune Yoo Lee-ha dans le rôle principal, tout à fait crédible en adolescent ordinaire, obligé de s’adapter à des situations qui ne devraient pas être ordinaires. Bien sûr, le film s’attaque aux thématiques propres au genre : les « formateurs » qui connaissent le métier mais n’ont jamais appris à le transmettre, les raccourcis de sécurité pour faire des économies et gagner en vitesse, les arrangements avec la législation du travail présentée comme une preuve de loyauté envers ses collègues… Et bien, sûr, planant sur tout le film, et avec différents niveaux de gravité, la question des accidents de travail.

Le film évoluant en vase clos ; on se prend vite d’empathie pour le lycéen et ses condisciples, entre le stagiaire modèle taiseux dont ont découvre au fur et à mesure la profondeur, la camarade employée dans les bureaux confrontée à d’autres problématiques, et l’ami qui est venu là par défaut, et que le poids des humiliations écrase. Autour d’eux, on rencontre un patron au sourire tellement faux qu’il en devient inquiétant, un « formateur » d’autant plus brutal qu’il est en fait totalement dépassé par la situation et une soudeuse affligée de ce qu’elle voit. Les stagiaires occupent littéralement la même place que la main d’œuvre immigrée dans ce film, le prolétariat payé le moins possible, exploité et mis en danger en échange de promesses pouvant être chimériques (il n’y a qu’une seule exemption de service militaire pour laquelle les garçons doivent entrer en concurrence, et l’entrée à l’université est conditionnée à l’embauche dans l’entreprise, ce qui rend impossible toute mutinerie contre les dysfonctionnements…). A l’extérieur, il y a la famille monoparentale de notre antihéros, avec une mère qui n’arrive pas bien à subvenir aux besoins de la famille seule, un petit frère et un frère plus proche en âge pour lequel toute la famille se sacrifie, puisqu’il vise des études plus prestigieuses. Le film joue d’ailleurs littéralement sur l’opposition entre la surprotection du frère et les cicatrices qui apparaissent sur les bras du protagoniste, qu’il cache mais d’une façon dont personne n’est dupe, une partie de la relation familiale étant éclairée par la façon dont ses proches regardent et cachent ses bras pendant son sommeil. Les conséquences de son travail sont littéralement inscrites dans sa chair.

Ce n’est pas un film roboratif. Sans atteindre le degré de noirceur de Next Sohee, la situation dépeinte et l’ambiance générale font penser à Work to Do. L’absence du père et certains rappels dans le film servent à pointer la dangerosité potentiellement létale du monde du travail, en particulier dans une petite usine, où la dimension « familiale » peut côtoyer le chantage affectif et la mise en danger des personnels… L’un des aspects glaçants du film est que, quoiqu’il arrive, les choses restent présentées de façon neutre, comme faisant partie de la vie. Seuls deux personnages essayant vraiment de s’y soustraire. L’inspection du travail et l’enseignant encadrant le stage, qui devraient être garants de la sécurité, sont présentés comme lointain et souvent aveugles à ce qui se passe juste sous leurs yeux, à tel point qu’on se demande parfois s’il s’agit d’indifférence ou de complicité active. C’est un film social influencé par Ken Loach, tellement réaliste qu’on lorgne sur la reconstitution documentaire, conçu pour faire réfléchir sur ce qu’on est capable d’accepter pour son entreprise et pour gagner sa vie. Chang-woo se persuade qu’il y trouve son compte, mais comme le spectateur, quand le film s’achève, il a l’air de porter sur les épaules la pesanteur du monde, avec son regard éternellement fatigué. Ce n’est pas un film agréable, mais c’est un film courageux…

Florent Dichy

The Final Semester de Lee Ran-hee. Corée. 2024. Projeté au FFCP 2025