KINOTAYO 2019 – AND YOUR BIRD CAN SING de MIYAKE SHO

Posté le 21 décembre 2019 par

Présenté en ouverture de la 14ème édition du festival Kinotayo, And Your Bird Can Sing de Miyake Sho chronique une génération coincée entre angoisse existentielle et jouissance de l’instant présent, à travers un étrange trio amical et amoureux.

Le personnage principal sans nom « Je » travaille dans une petite librairie dans la ban-lieue de Hakodate dans le nord du Japon et partage un appartement avec son ami Shizuo. Sachiko, sa collègue est en couple avec le gérant, plus âgé qu’elle. Cependant elle se découvre des sentiments pour « Je » et décide de rompre avec son patron. Quand Shizuo rencontre Sachiko, lui aussi commence à éprouver de l’affection pour elle.

Adapté d’un roman de Sato Yasushi publié en 1982, le film se passe de nos jours et l’action est transposée de Tokyo à la ville de Hakodate. Ce dernier choix est particulièrement pertinent tant la ville agit en miroir des questionnements et des errances des personnages. A la fois métropolitaine et provinciale, urbaine et résidentielle, distincte par certains aspects et quelconque par d’autres, Miyake Sho tire complètement parti de ces paradoxes dans sa mise en scène en faisant évoluer les personnages dans cette ville sur laquelle le temps ne semble pas avoir de prise et s’étire en jours et en nuits se répétant à l’infini. Malgré tout, le film dégage une volonté farouche de modernité, propre au cinéma de Miyake, et à beaucoup de réalisateurs de sa génération, qui se ressent dans chaque plan. Une détermination à montrer la jeunesse japonaise sous la lumière la plus réaliste, voire la plus crue possible. Dans ces meilleurs moments, And Your Bird can Sing séduit par son naturalisme prononcé et l’espèce de « vivante inertie » qui s’en dégage. Hélas, le film peine à sortir de l’anecdote et à prendre son envol comme si, à l’image de ses personnages, il déroulait des journées sans conviction en attendant la prochaine errance nocturne.

Miyake Sho sait parfaitement créer une atmosphère : le film baigne dans une ambiance indolente dont les effets sont maîtrisés de bout en bout, et se maintient sur toutes les ruptures de ton et tous les lieux de l’intrigue (alternant entre l’appartement des deux hommes et les bars clos d’un côté et entre la librairie sans âme dans laquelle travaille « Je » et les rues de la ville de l’autre). Dans sa scène d’ouverture, le film a des allures de conte moderne à la temporalité incertaine, avec la narration en voix-off de ce héros sans nom et l’échange entre l’homme et la femme annonçant le début d’une histoire. Les scènes suivantes démentent rapidement cette première impression en nous montrant à voir une réalité bien plus décevante et une figure principale bien loin d’être romanesque. Le cinéaste ne cesse de jouer entre ces différentes visions, les évasions alcooliques et musicales propices au lâcher prise, à la complicité et à la spontanéité ; et la réalité de journées mornes, répétitives, voire hagardes, porteuses de toutes les petites insatisfactions ou déceptions (familiales, professionnelles, amoureuses) que l’on aimerait oublier. Le récit se déroule cependant dans une parenthèse, un instant de bascule dans lequel les deux univers commencent à se rejoindre, inévitablement, et les attentes de chacun à se distendre. Si le film est assez maladroit et dispersé dans son traitement des enjeux de cette réalité (les pistes lancées sur les rivalités professionnelles de « Je » ou les conflits familiaux de Shizuo ne mènent nulle part), il est assez fort en ce qu’il montre le dérèglement de la dynamique d’un trio forcément amené à se déséquilibrer ainsi que dans le malaise grandissant face à ces longues scènes de beuverie, de moins en moins vivantes et de plus en plus désespérées.

Le dispositif est passionnant et, quand cela fonctionne, le choix  d’un montage quasi-inexistant, reposant sur l’étirement des séquences et le naturel des comédiens dans leurs gestes et leurs réactions embarque totalement, interroge et engage sincèrement dans le film. La scène centrale de la boîte de nuit, certainement la meilleure scène, est un bon exemple de cet effet de fascination que le film va pouvoir générer par son dynamisme. Par ces instants de douceur et de vulnérabilité injectés entre le bruit de la musique et les néons fluorescents. C’est néanmoins également la grande limite d’un film qui, à force de ne jamais se décider sur ce qu’il veut être, ne décolle jamais vraiment et finit par lasser. Tour à tour chronique déprimée, marivaudage et drame réaliste, And Your Bird Can Sing multiplie les ouvertures scénaristiques et les occasions de montée en tension sans jamais les exploiter. De la même manière, le trio de personnages demeure désespérément opaque. L’effet recherché est certainement celui de faire ressentir leur indécision mais provoque davantage le sentiment d’une immobilité vaine, malgré toutes les promesses installées dans la première partie (l’instabilité sentimentale revendiquée de Sachiko, les accès de violence de « Je », la possible mythomanie de Shizuo, etc). Les séquences s’enchaînent alors dans un rythme étrange et un montage aléatoire confus qui frustre et laisse finalement le spectateur en dehors quand il aurait pu/dû être bouleversé. Miyake Sho se rattrape un peu dans une scène finale très forte, où enfin quelque chose explose dans un calme teinté de désespoir. Il est malheureusement trop tard, pour le spectateur comme pour le personnage d’ailleurs, alors que le dénouement semble encapsuler tout ce que le cinéaste souhaitait dire mais n’a pas réussi à transmettre.

Si le film demeure une déception, il a cependant la grande qualité de ses comédiens, et particulièrement une formidable Ishibashi Shizuka. Le talent de ses deux partenaires, Emoto Tasuku et Sometani Shpta, n’est plus à prouver et ils tirent le maximum de leurs personnages (losers plus ou moins attachants que l’un et l’autre ont déjà joués maintes fois) dans un scénario qui leur laisse un champ hélas assez limité. Dans le rôle de Sachiko, Ishibashi Shikuza propose une partition à la fois envoûtante, complexe et charmante, gardant toujours un équilibre entre liberté et intégrité qui évite de rendre le personnage agaçant ou frivole dans ses émotions. Par un regard ou un geste, elle parvient à créer les quelques moments de grâce du film et est indéniablement son point fort et son ancre justifiant à elle-seule son visionnage.

C’est bien parce qu’il est loin d’être totalement dénué de qualités que And Your Bird Can Sing est profondément frustrant. Empli d’un potentiel inabouti et de promesses inachevées, il semble être le squelette d’une oeuvre plus forte et plus percutante que l’on attend et qui ne semble venir que juste avant le générique de fin. Si Miyake Sho réalise un jour le film que l’on imagine, tout sera pardonné.

Claire Lalaut

And Your Bird Can Sing, de Miyake Sho. Japon, 2018. Projeté lors de la 14ème édition du Festival Kinotayo.

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