EN SALLES – Comment devenir riche (grâce à sa grand-mère) de Pat Boonnitipat

Posté le 16 avril 2025 par

Succès surprise en Thaïlande, phénomène sur TikTok et ayant fait plus d’entrées aux Pays-Bas que les derniers Eastwood et Audiard, Comment devenir riche (grâce à sa grand-mère) arrive maintenant dans nos salles. Réalisé par Pat Boonnitipat, dont c’est le premier long métrage, il raconte l’histoire de M, un jeune streamer qui se rapproche de sa grand-mère malade et et joue au petit-fils modèle pour capter son héritage. Bien entendu, gagner ses faveurs semblera plus compliqué que prévu et l’enjeu du film est l’évolution progressive des relations dans cette famille.

Anomalie dans l’industrie thaïlandaise dont peu de films connaissent un succès hors des frontières du pays, le film est présenté par son titre international comme une comédie noire, jouant sur le cynisme de son protagoniste. Cet aspect n’est pas absent mais, comme son titre original le suggère (simplement un mot qui désigne le lien entre grands-parents et petits-enfants), c’est aussi un film tendre, sur la complexité des liens familiaux. Trois générations sont présentées dans le film : les enfants M et sa cousine Mui, incarnés par deux stars médiatiques, le chanteur et acteur Putthipong Assaratanakul (aussi connu sous le nom de Billkin) et l’actrice et modèle Tontawan Tantivejakul (connue également sous le nom Tu), la génération des parents, campés par les acteurs chevronnés Sarinrat Thomas (vue dans Bad Genius), Pongsatorn Jongwilas et Sanya Kunakorn, et, enfin, la révélation du film Usa Semkhum dans le rôle de Amah , la grand-mère du titre, pour sa première expérience d’actrice à 78 ans.

Si le titre suggère que le film est avant tout comique, l’affiche française précise bien qu’il sera aussi question de « pleurer », et que l’émotion est un des points saillants du film. Le réalisateur assume pleinement le caractère provocateur du titre, notamment dans la séquence d’introduction où la question du rapport à l’argent et à la mort est mise en scène de façon frontale et volontairement grotesque et les premières scènes avec Mui, la cousine, qui joue à se présenter elle-même comme une espèce de monstre de cynisme, qui verrait les gens comme des instruments de sa sécurité financière. Mais ce masque provocateur n’est que superficiel, tant pour le film que pour ses personnages : un prétexte pour pousser les protagonistes à interroger les raisons de leur comportement et ce qui fait une famille. Les archétypes utilisés ne sont pas révolutionnaires : la fille qui se sacrifie pour sa mère et qui n’en voit pas les bénéfices, l’aîné ambitieux, à la vie bien rangée, qui se considère comme l’héritier légitime, le cadet dont la vie part à vau-l’eau mais qui semble pourtant le préféré des parents et, bien sûr, la grand-mère acariâtre et têtue et le petit-fils paresseux, obsédé par ses jeux vidéo. Pourtant, le mélange entre la qualité de l’écriture et la subtilité de certains détails du jeu d’acteurs (bien entendu, il faut saluer la performance de l’actrice principale qui n’avait jamais tourné auparavant) permet de leur donner une vraie épaisseur, en jouant à les complexifier progressivement, au fur et à mesure des péripéties.

Le film aborde des thématiques variées, des difficultés du système hospitalier à la place des femmes dans les familles, et de ce que le mariage veut dire pour leur place dans les familles, en passant par la difficulté à changer de classe sociale. La famille est également sino-thaïlandaise, ce qui complique encore les questions de transmission, et la grand-mère est victime d’un déclassement social. Le film a clairement à cœur de montrer aussi des réalités sociétales. Le réalisateur dit, dans le dossier de presse, que l’un des sujets qui l’intéressait est la façon dont est perçue en Thaïlande la démonstration de son amour par l’argent, avec la peur permanente de paraître peu sincère, alors que dans certaines conditions, c’est pourtant l’une des aides les plus faciles à apporter. A l’inverse, le film observe aussi comment la jalousie face à l’argent est aussi une source de ressentiment, surtout dans une famille où l’on verbalise peu son affection. Sans cesse le film montre des personnages en proie au doute : savent-ils aimer, et comment savoir si les autres les aiment ?

Assez classique dans sa forme, et inégalement imaginatif dans sa mise en scène, le métrage gagne en force dans les nombreuses scènes d’intérieur, entre la mise en avant de la surcharge de la maison envahie par les souvenirs et la focalisation sur les émotions des personnages. La musique peut sembler parfois un peu superfétatoire en surlignant ce que le film fait déjà passer par ailleurs, mais pas au point de distraire de ce qui est raconté. On peut noter que, si l’histoire racontée est universelle, le film est aussi imprégné de sa culture spécifique : les rituels funéraires et le culte des morts, qui sont deux éléments très présents dans la diégèse, ne sont pas expliqués, ce qui peut surprendre un public non initié aux répliques d’objets et de maisons qu’on brûle pour accompagner le défunt. Pour autant, le film reste toujours facile d’accès, et veille à ne s’aliéner aucun public.

Comédie douce amère aux personnages attachants, ce premier long métrage laisse espérer une belle suite de carrière à son réalisateur et à son actrice principale. Si le film est finalement très classique, il remplit parfaitement son contrat et devrait, on l’espère, trouver son public en France.

Florent Dichy

Comment devenir riche (grâce à sa grand-mère) de Pat Boonnitipat. Thaïlande. 2024. En salles le 16/04/2025