VIDEO – The Valiant Ones de King Hu

Posté le 10 août 2024 par

C’était le dernier chef-d’œuvre de l’indispensable filmographie de King Hu à devoir sortir en vidéo : The Valiant Ones, aussi connu en France sous le titre de Pirates et Guerriers lors de son exploitation en salles dans les années 1970, est un fleuron du wu xia pian, le film de sabre chinois, dans lequel s’agrègent toutes les caractéristiques du cinéma du réalisateur chinois, alors à son apogée critique et stylistique. Spectrum Films nous gratifie d’une édition UHD/Blu-ray, accompagnée du film A City Called Dragon.

À l’époque des Ming, sur les côtes chinoises, les pirates japonais exercent leur activité criminelle depuis des siècles. Un procureur est nommé gouverneur des deux provinces les plus touchées et se voit chargé de l’éradication de la piraterie. Accompagné d’un vieil ami, ancien officier de l’armée, il va pousser ces ronins nippons à sortir de leur antre afin de les piéger…

En 1975, King Hu connaît un succès critique jusqu’en Occident, depuis la projection à Cannes de A Touch of Zen, évènement qui suit l’énorme succès populaire en Asie de Dragon Inn à la fin des années 60. The Valiant Ones intervient alors qu’il est à son sommet artistique. Depuis la fin des années 1960 et son désaccord avec les patrons de la Shaw Brothers, il s’établit en partie à Taïwan, territoire dont il peut tirer partie des décors en extérieur plus larges et convaincants qu’à Hong Kong.

The Valiant Ones conte la guerre menée par le pouvoir local aux pirates et malfrats japonais sévissant dans la Chine des Ming. Comme pour ses précédents films, ainsi que les suivants, King Hu ne caractérise pas ses personnages. Ils demeurent des figures fonctionnelles, car selon ses mots, « on ne peut pas portraiturer la psychologie des personnages ayant vécu il y a des siècles » (King Hu in his own words, Roger Garcia). Qu’à cela ne tienne, The Valiant Ones décrit une certaine idée des arts martiaux, comme moyen de règlement des conflits, aussi bien dans la lutte physique que dans son versant diplomatique. Bien que n’occultant pas les coups, notamment les coups mortels et le sang, le film est gracieux à tous les niveaux. D’une part, la dimension stratégique de certains personnages, montrés dans des scènes de réflexion, en train de jouer au weiqi (ou jeu de go) ou user de subterfuges pour tromper des fonctionnaires corrompus et tirer partie de leur double-jeu, fait porter à l’œuvre une dimension intellectuelle, par la valorisation de qualités autres que les purs mouvements martiaux. D’autre part, lorsque les personnages de Pai Ying et Hsu Feng, campant un couple de héros martiaux, parvient au repère des Japonais dans le but de les affronter, il émane une noblesse d’esprit de part et d’autres des protagonistes, qui bien qu’ayant des objectifs inverses – et même n’hésitant pas à masquer leurs intentions et donc tromper comme le fait Pai Ying – s’affrontent en duel avec le respect de l’esprit martial et une politesse diplomatique véritable. King Hu est fidèle à son style de pékinois lettré, plus que jamais peut-être, et propose une œuvre filmée avec beaucoup de recul et de réflexion, mais qui dans ses moments de tension se révèle brillant de par son dynamisme, malgré tout.

Les buts des personnages ont été commentés comme approchant de l’esprit des Sept Samouraïs de Kurosawa Akira. Hara-kiri de Kobayashi Masaki semble avoir aussi infusé The Valiant Ones. Non pas dans son esprit de révolte – car The Valiant Ones est l’histoire de fonctionnaires faisant respecter la loi sur leur territoire face à des bandits, alors que Hara-kiri met en scène un vagabond réclamant vengeance face à l’ordre en place – mais dans la mise en scène de l’affrontement. Les samouraïs du film de Kobayashi avancent et se placent en formation régulière, et dans le film de King Hu, il existe une scène de placement en position d’offensive l’évoquant fortement. À l’image du weiqi auquel jouent les protagonistes, il existe une esthétique de la distance dans The Valiant Ones. Avant de se rentrer dedans, les combattants ménagent, si ce n’est un suspense marqué, une forme d’attente : les pirates japonais qui se positionnent avant d’attaquer, ou bien Pai Ying, Hsu Feng et les chefs pirates interprétés par Han Ying-chieh et Sammo Hung, qui parlementent à distance, parfaitement assis avant d’entamer les hostilités. Il y a comme un relent de L’Art de la guerre de Sun Tzu dans la narration du film, les deux camps ne jouant jamais au grand jamais les têtes brûlées, préférant sonder leurs adversaires pour mieux les comprendre et les vaincre, pour ne surtout pas se lancer tête baissée dans une bataille mal calculée amenant à la défaite.

The Valiant Ones est un film respectueux de la tradition littéraire chinoise. King Hu a eu le souci de montrer des combats, et leurs préludes, au plus proche des grands récits militaires chinois. Son esthétique va de pair, ne montrant aucune outrance comme ce fut souvent le cas à la Shaw Brothers dans les années 1970 – au contraire, l’appartenance du personnage de Hsu Feng à l’ethnie Miao est visible mais sans emphase ; tout y est pensé de manière fluide et naturelle. Les combats ne manquent tout de même pas de sauts, comme King Hu nous y a habitués dans ses précédents films avec son goût pour la tradition de l’Opéra de Pékin. Ainsi, le combat final culmine dans une sorte de ballet de sabres des plus plaisants, et s’achève comme un souffle retenu qu’on relâche. Ce septième long-métrage du réalisateur, longtemps invisible dans nos contrées, rappelle qu’il est le « Roi du wuxia » (d’après le titre du documentaire fleuve consacré à Hu en 2022).

BONUS

L’édition Spectrum Films de The Valiant Ones comporte, comme d’accoutumée pour les films sinophones et d’arts martiaux, une présentation d’Arnaud Lanuque (13 min), qui explique où en est King Hu en 1975, notamment qu’il connaît quelques difficultés liées à son processus artistique qui allonge les durées de tournage. Arnaud Lanuque revient longuement sur les pirates japonais wako, protagonistes majeurs du film mais peu fidèles à la réalité, King Hu ayant plutôt voulu portraiturer ces guerriers nippons comme les soldats de la Seconde Guerre mondiale.

Quatre interviews agrémentent l’édition. Deux ont été réalisées récemment par Arnaud Lanuque à Hong Kong, avec le cascadeur Billy Chan (18 min) d’une part et l’acteur et collaborateur proche du réalisateur, Ng Ming-choi (23 min) d’autre part (concernant ce dernier, il s’agit d’une session différente des précédentes éditions Spectrum liées à King Hu). Par leur deux témoignages, nous revivons les tournages particuliers de King Hu, particuliers car son approche artistique était unique à l’époque à Hong Kong et à Taïwan. Tous deux évoquent un homme précis et rigoureux, mais qui faisait figure de mentor voire de père. Bien que certains pans de ces interviews révèlent de l’affect personnelle des intervenants, ces modules brossent le portrait d’une certaine industrie à une époque donnée.

Les deux suivantes sont des montages d’archive de Frédéric Ambroisine : Hsu Feng en 2003 (15 min), évoquant sa bascule d’actrice à productrice dans le milieux taïwanais et chinois, et Christophe Champclaux en 2004 (9 min), qui figure parmi les précurseurs en France pour ce qui a été de distribuer King Hu dans les salles et qui évoque la réception des films d’arts martiaux en France dans les années 70 et 80, « qui n’étaient pas mieux considérés que le porno » selon ses propres mots. Si l’interview de Hsu Feng se révèle convenue l’expérience, le franc-parler et le charisme de Christophe Champclaux rendent le bonus passionnant.

Outre la traditionnelle présence d’une bande-annonce, l’édition est accompagnée d’un livret reproduisant pour partie le dossier de presse du film de 1975, qui amuse rétrospectivement pour le mépris qu’il manifeste pour « le cinéma chinois » en étant censé en vendre un morceau (King Hu serait bien évidemment au-dessus de la mêlée) et qui dans sa deuxième partie montre des photogrammes du film.

Maxime Bauer.

The Valiant Ones de King Hu. Taïwan/Hong Kong. 1975. Disponible en coffret UHD/Blu-ray avec le film A City Called Dragon chez Spectrum Films le 16/07/2024.