VIDEO – Nuits félines à Shinjuku de Tanaka Noburo

Posté le 25 janvier 2020 par

Le 17 décembre est sorti chez Elephant Films le magnifique coffret Roman Porno 1971-2016 – Une histoire érotique du Japon. Tous les films sont passés à la loupe eastasienne. C’est au tour de Nuits félines à Shinjuku réalisé par Tanaka Noburo !

Nuits félines à Shinjuku de Tanaka Noburo est le film le plus ancien contenu dans le coffret. Sorti en 1972, il comporte de nombreux éléments qui en font un récit aussi tranche-de-vie que porteur d’un regard sur les marginalisés.

Dans les salons de massages érotiques comme dans les petites chambres de bonne, Shinjuku est un lieu où l’on peut assouvir ses désirs. Nous suivons ainsi quelques travailleuses du sexe de l’établissement des bains turcs, et l’ami de l’une d’elle, qui essaie de montrer à un jeune prostitué bisexuel comment faire l’amour à une femme, la femme qu’il aime.

Nuits félines à Shinjuku est une œuvre faisant intervenir plusieurs personnages selon plusieurs axes scénaristiques. Il existe un trio de rôles principaux : la masseuse, son ami et le prostitué bisexuel, qui déploie l’intrigue majeure, à fort potentiel dramatique. En effet, à travers ce pan scénaristique, Tanaka construit des personnages complexes, animés par l’amour plus que par le désir, ce qui peut paraître étonnant pour un récit érotique. L’ami semble éprouver des sentiments pour le prostitué, et par abnégation, il l’aide dans la conquête de la femme qu’il aime. Comme le prostitué est plus habitué aux rapports avec des hommes, il est bloqué sexuellement vis-à-vis de sa dulcinée. C’est là qu’intervient la masseuse : par égard, ou par amour pour son ami, elle accepte de coucher avec le prostitué afin qu’il vainque son angoisse. Vous l’aurez constaté, il y a des interprétations quant à ce qui définit les personnages de ce film, car Tanaka a opté pour les non-dits dans les dialogues de ses acteurs. Il reste la mise en scène pour essayer de les comprendre, à l’instar de cette scène où l’ami contemple les ébats du prostitués et son amante, un verre d’alcool à la main qu’il fait flamber. Son regard est intense, et laisse deviner les contractions qui l’habitent, cet amour qui l’oblige à la fois à renoncer au cœur du prostitué et à l’aider dans sa quête. À partir de ce passage, l’œuvre entre dans le registre de la mélancolie. Sans en raconter les tenants et aboutissants, cet axe du scénario finit dans le sang ; l’alliance d’une mise en scène élégante qui laisse les acteurs exprimer leur potentiel et d’une intrigue correctement ficelée, qui tisse des liens profonds et ambiguë entre les personnages, permet alors à cette histoire de faire forte impression au spectateur.

À côté de cela, le film suit quelques autres personnages qui apportent une touche de tranche-de-vie. Il s’agit principalement de deux autres masseuses et leurs clients respectifs ; pour l’une, un jeune banquier d’abord intéressé pour qu’elle règle ses dettes avant de devenir un habitué de l’établissement, pour l’autre, un salaryman japonais de la cinquantaine, bedonnant, comme la fiction japonaise s’amuse à en représenter depuis des lustres. Leurs interactions sont légères et cocasses, et aèrent le film vis-à-vis de l’intensité dramatique de l’axe principal. L’intervention de ces protagonistes permet tout simplement au film de gagner en épaisseur : en ne se contentant pas seulement d’une histoire principale tragique, il devient le portrait d’une galerie de personnages, dans leur diversité, sociale et sexuelle, comme une photographie du quartier de Shinjuku en 1972. En cela, Tanaka permet au film de n’être bien plus qu’un film érotique, comme permis par la Nikkatsu qui n’avait imposé que la contrainte de 8 scènes d’ébats, le reste étant laissé à la volonté du réalisateur pour déployer son intention.

Les scènes d’amour, justement, concordent avec tous ces principes, la volonté du studio et l’objectif poursuivi par le réalisateur. Lorsque ce sont les intrigues avec le banquier ou le salaryman qui sont montrées à l’écran, un joli humour est de mise, presque bon enfant. Quand il s’agit des personnages principaux, la palette d’émotion des personnages est parfaitement perceptible, que ce soit la légère gêne lors de la séquence voyeuriste au début du film, comme la libération ou la frustration lors des suivantes. S’il y a besoin de préciser, les romans pornos portent mal leur nom : aucune pénétration n’est visible à l’écran, la Nikkatsu (et la censure) ayant formellement indiqué aux réalisateurs de ne pas montrer le bas des corps. Il demeure un nu du plus bel effet, un érotisme léger et délicat, pour ce film réalisé par Tanaka Noburo.

Derrière son apparente légèreté, Nuits félines à Shinjuku parle donc des hommes, des femmes et d’amour, d’une manière pure, quasi-cristalline. La mise en scène est légère lorsqu’il s’agit de faire une détour auprès de protagonistes amusants. Elle reste doucereuse lorsque l’intrigue s’enfonce dans le drame, et laisse la part belle à l’acting, parfaitement dirigé dans le but de dresser le portrait, en fin de compte, de la solitude des êtres, pour ce qu’ils sont. Le roman porno de Tanaka Noburo est étonnant, car derrière sa légèreté ambiante, il s’immisce dans ce que l’humain a de plus beau et dramatique à la fois. Il n’oublie toutefois pas quelques effets de styles, des « vues mentales », comme cette hallucination dans laquelle la masseuse perce le cœur du prostitué avec un parapluie. La violence de la scène demeure élégante, comme quoi le film est tenu d’une main de maître par son metteur en scène.

Maxime Bauer.

Nuits félines à Shinjuku de Tanaka Noburo. Japon. 1972. Inclus dans le coffret Roman Porno 1971-2016 – Une histoire érotique du Japon chez Elephant Films le 17/12/2019.

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