LIVRE – King Hu par Roger Garcia : King Hu en ses propres mots

Posté le 30 avril 2021 par

En 2013, le Far East Film Festival d’Udine en Italie rend hommage à King Hu et publie un ouvrage baptisé King Hu in his own words. La publication, menée par le directeur de la Hong Kong International Film Festival Society, Roger Garcia, a pour vocation de traduire en anglais les dires de King Hu, qu’il a laissés lors de conférences ou qu’il a écrit pour divers journaux et revues. En ce début de 2021, Spectrum Films traduit le livre en français, sous le sobre titre King Hu, pour son coffret dédié au metteur en scène chinois. Voici la troisième et dernière chronique concernant cette édition collector, après les critiques des films Raining in the Mountain et All the King’s Men qui la composent.

Le livre King Hu de Roger Garcia a quelque chose de frustrant, qui est démystifié dès son préambule. À l’origine, ce travail consiste à rendre accessible dans une langue internationale, l’anglais, la parole de King Hu, alors que le réalisateur pékinois a produit quantités de textes en langues chinoises. Il est tout de suite annoncé que nous y perdrons en « qualité » de langage, car non seulement les langues chinoises sont extrêmement complexes et traduisent un état d’esprit différent du reste du monde, mais en plus, King Hu s’est révélé les manier avec dextérité et musicalité. Forcément, le sens aigu de ses phrases ne sera pas rendu à l’exacte reproduction, et encore moins avec la double traduction en français. Dans le commentaire audio de Raining in the Mountain, Tony Rayns rapproche judicieusement Kurosawa Akira de King Hu aux yeux de l’Occident, lorsqu’il évoque les difficultés des deux réalisateurs est-asiatiques à se faire financer à domicile. Il ajoute que King Hu n’a pas eu la chance de connaître le même traitement que Kurosawa Akira, lui financé depuis les États-Unis et la France, parce que Hu était notamment moins connu. L’ouvrage nous donne la clé des raisons à cela : King Hu est traversé par les différentes composantes de la culture chinoise, il y a donné toute sa vie, y compris dans ses activités extra-cinématographiques, et c’est pour cela qu’il a toujours pensé réaliser des films chinois, pour le marché chinois. King Hu a mis une barrière avec le reste du monde, malgré l’intérêt que l’Europe et les États-Unis lui ont porté et les honneurs qu’il a reçus et acceptés ; sans doute est-ce l’origine du besoin d’existence de ce livre : compiler ses dires pour nous, le public occidental, qui l’apprécions beaucoup et encore plus aujourd’hui, d’autant plus après la diffusion fructueuse des copies restaurées de ses œuvres majeurs sur le marché vidéo.

En cela, l’ouvrage se révèle d’une belle exhaustivité. Des années 1950 à 1990, King Hu parle de son parcours, son arrivée à Hong Kong et ses débuts dans le cinéma, sa vision du cinéma et de la culture chinoise, ses expériences de tournage… Le livre complète les différents bonus du coffret de Spectrum Films et parfois, la sensation de pénétrer le quotidien de Hu dans la seconde moitié du XXème siècle se fait sentir, lorsqu’il évoque le besoin de se rendre à une université américaine pour consulter des ouvrages chinois conservés, ou lorsqu’il témoigne à Taïwan devant une assemblée d’étudiants. Ainsi, l’ouvrage rappelle une chose : King Hu était reconnu (à défaut d’être très connu) en son temps, tant il était invité dans les festivals de par le monde, et même dans les universités. Les inclinations faites aux réalisateurs reconnus et appréciés ne semblent pas plus différentes aujourd’hui qu’il y a 50 ans, alors que le cinéma était un art plus jeune. En creux, les textes débordent du cinéma, pour évoquer l’écrivain Lao She – à qui King Hu a dédié une publication qu’il introduit en toute modestie malgré son énorme compréhension de la culture chinoise classique –, la recherche en milieu universitaire, les travaux de relecture (un travail qu’il exercé à son arrivée à Hong Kong dans les années 50) ainsi que le dessin – quelques reproductions de ses croquis sont présentes et c’est bienvenu.

Que les dires de King Hu nous laissent-ils comme impression et comme informations ? Il est régulièrement fait allusion à Li Han-hsiang, cinéaste continental comme lui débarqué à Hong Kong au milieu du XXème siècle. Son influence sur son travail est majeure, d’autant que Hu l’a de nombreuses fois assisté dans sa carrière. Ce cinéaste spécialisé dans les Opéras Huangmei, et dont on a parfois considéré que le genre a influencé le wu xia pian de King Hu, a toujours été invisible en Occident et sans doute, la première leçon du livre est de réexaminer son œuvre et la diffuser. Ensuite, King Hu fait régulièrement état de ses recherches historiques sur les traditions chinoises pour ses films, et témoigne, malheureusement, de la grande difficulté d’accéder à leur compréhension lorsque l’on en est étranger – y compris pour un Chinois d’une autre région. King Hu ne semble pas tenir en estime particulière le cinéma « arts et essai », qui selon l’angle adopté peut se révéler bien plus facile à exécuter qu’une production commerciale, dont la mécanique doit être pensée pour plaire au plus large public possible. Enfin, King Hu a une réflexion intéressante sur ce qu’il appelle « la curiosité » des publics occidentaux pour le cinéma chinois. Cet intérêt doit selon lui être source de méfiance pour les artistes chinois, au risque de voir leurs œuvres mal comprises et probablement prises à la légère par des spectateurs en quête d’exotisme. Bien que les cinéastes japonais se trouvaient déjà confrontés à la même époque au problème (les productions de jidai-geki étaient parfois favorisées pour les marchés internationaux, qui en sont amateurs), la problématique semble très actuelle, 25 ans après la disparition de King Hu.

Maxime Bauer.

King Hu par Roger Garcia. Ouvrage édité à l’origine en anglais en 2013. Disponible en français dans le coffret King Hu de Spectrum Films en janvier 2021.

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