Queena Li Bipolar

IFFR 2021 – Bipolar de Queena Li

Posté le 15 février 2021 par

Bipolar est le premier long métrage la réalisatrice chinoise Queena Li : le voyage initiatique et l’introspection d’une jeune femme perdue au Tibet et dans le grand Ouest chinois. Un road movie aux accents jarmuschiens qui était visible dans le cadre du Festival International du Film de Rotterdam.

Le postulat du film est simple : une jeune femme aisée, qu’on découvrira chanteuse, arrive à Lhassa, au Tibet. Séjour spirituel ou touristique ? Indécise, la jeune femme, endeuillée par la mort d’un proche, quittera du jour au lendemain son hôtel de luxe après avoir volé un homard supposément « sacré ». Son nouveau but : relâcher le homard dans l’océan. Son périple sera semé de décors pittoresques (les plaines désertes et les lacs sacrés du Tibet, les montagnes du Yunnan et du Guangxi) et des personnages folkloriques, second rôles à la présence éphémère : touristes, moines bouddhistes, chasseurs, patrons de restaurant ou ce groupe d’Américains aux aspirations spirituelles troubles. Une troupe qui donne à ce voyage initiatique une touche absurde et décalée toute jarmuschienne. On pense notamment à la dernière partie de Stranger Than Paradise et à Dead Man.

Queena Li Bipolar

Bipolar est inspiré du roman Hasting Express de Gosha Wen dans lequel le personnage principal traverse le Canada pour relâcher un homard dans l’océan. Queena Li a repris la trame globale du roman en la déplaçant dans l’Ouest chinois, exacerbant l’aspect exubérant de ce voyage en compagnie d’un homard. Trouver un homard au Tibet, quelle drôle d’idée. Encore plus lorsque ce homard est considéré comme un animal sacré, au beau milieu d’un hôtel de luxe de Lhassa, capitale tibétaine filmée comme un Las Vegas purement matériel, expurgée de toute spiritualité. Une certaine vision de la Chine ultra-capitaliste dont l’héroïne est un rejeton : on comprend vite qu’elle est issue d’une famille riche qui n’a manqué de rien mais qui se retrouve démunie quand elle doit se confronter à la mort d’un proche. Pauvre petite fille riche ! Edie Sedgwick chinoise en pleine crise…

Ironiquement, c’est une jeune femme issue de cette classe ultra-privilégiée qui interprète le rôle principal : Leah Dou, chanteuse pop d’une vingtaine d’années, fille de… Faye Wong, chanteuse chinoise la plus célèbre des 30 dernières années, immortalisée en tant qu’actrice dans Chungking Express et 2046 de Wong Kar-wai. À ce titre, Bipolar est un film générationnel qui parle de cette nouvelle jeunesse dorée matérialiste qui peut se déplacer facilement dans les capitales mondiales, de vernissages en boîtes de nuit, dans une perspective hédoniste et nihiliste brett-easton-ellisienne. Dans ce luxe matériel, comment gérer ses états d’âme et ses tourments existentiels ? Comment répondre à la souffrance et au mal être ? Le homard sacré va permettre à l’héroïne de comprendre tout cela : s’évader de sa prison dorée (l’aquarium d’un hôtel de luxe) pour errer librement vers l’océan. Une question revient à plusieurs moments dans les dialogues  : les homards souffrent-ils quand ils sont ébouillantés ? Une question que se posent encore des scientifiques qui ont longtemps estimé que les homards ne ressentaient aucune douleur car leur système nerveux n’était pas assez développé.

Queena Li Bipolar

Tourner un road trip au Tibet ou dans des contrées aussi sublimes est l’assurance de filmer des incroyables plans… mais également le risque de tomber dans des clichés et des scènes vues et revues dans les plaines désertiques ou les montagnes luxuriantes. Queena Li évite cet écueil et en joue même, notamment lors d’une scène où l’héroïne admire une cascade d’eau… avant qu’une équipe de cinéma lui demande de partir pour ne pas gêner le tournage d’un film ! On peut saluer la photographie, dirigée par Yuming Ke : un noir et blanc permanent, sauf le homard, ultra-coloré, comme dans Rusty James de Francis Ford Coppola.

Cette œuvre est un premier long métrage à saluer : un voyage à travers une partie de la Chine (« un voyage au hasard » est la traduction littérale du titre chinois) et un voyage intérieur, comme le signifie le titre international : Bipolar. On espère donc voir à nouveau Queena Li… et Leah Dou, très convaincante en jeune fille perdue.

Marc L’Helgoualc’h

Bipolar de Queena Li. Chine. 2021. Programmé au Festival International du Film de Rotterdam 2021.

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