A l’occasion de la 16ème édition du festival Kinotayo, nous avons la chance de pouvoir nous entretenir avec Pierre Földes sur son film Saules aveugles, femme endormie qui faisait la clôture. L’occasion de revenir sur son parcours, sa rencontre avec l’Œuvre de Murakami Haruki, les techniques d’animation développées pour son film, ainsi que son rapport à l’inspiration. Une première mise en bouche avant de retrouver son long-métrage d’animation en salles le 23 mars 2023.
Lorsque l’on s’intéresse à votre parcours, on voit que vous êtes compositeur, de formation pianiste. Qu’est-ce qui vous a amené à l’animation ?
Oui en effet je suis compositeur mais mon père était animateur. Mon père Peter Földes était un pionnier de l’animation sur ordinateur, quelqu’un de très connu dans le milieu. Moi j’étais baigné là-dedans. J’ai toujours fait du dessin mais je suis parti vers la musique. J’ai travaillé la composition plutôt aux Etats-Unis. Ensuite, je suis revenu en Europe, je me suis installé à Budapest pendant quelques années et là, j’ai commencé à me remettre au dessin, à la peinture, et de fil en aiguille à faire des films. Des courts métrages en prises de vue réelle mais aussi en animation. Cela m’a rattrapé en quelque sorte. Et assez rapidement, après avoir fait des courts métrages en animation, ou avec des techniques mélangées, je me suis lancé dans ce projet. Mes origines m’ont donc rattrapées.
Sur le plan littéraire, quelle a été votre rencontre avec Murakami Haruki et quelle relation entretenez-vous avec cet auteur ?
En fait quand j’étais aux États-Unis, une amie m’a offert un bouquin de Murakami, comme ça, puis j’ai adoré. Ça s’appelait L’Eléphant s’évapore. J’ai adoré. Moi, j’ai un intérêt pour ce genre. Quand je faisais mes courts métrages en animation, j’étais très attiré par l’observation de la solitude urbaine mais avec un regard très particulier. Effectivement, quand j’ai voulu adapter Murakami, je lui ai fait parvenir mon projet ainsi que mes courts métrages. Je pense qu’il a été sensible à ça. Il y a quelque chose dans les univers qui se rejoignent. J’ai voulu adapter Murakami et par chance, ce projet lui a plu. Ensuite, ça a été très compliqué à mettre en œuvre mais au départ ça lui a plu, ça m’a permis de déclencher mon projet et d’aller de l’avant.
Qu’est-ce qui vous a finalement poussé à l’adaptation ?
C’est-à-dire que c’est une opportunité aussi. Voilà, moi je faisais des films. J’ai rencontré un agent, il m’a dit: “C’est super, qu’est-ce que tu veux faire maintenant ?”. Je lui ai dit que j’étais inspiré pour adapter Murakami en un film principalement d’animation. Au départ, je ne voulais pas faire que de l’animation et mélanger un peu les techniques. Donc c’est vraiment l’inspiration, parce que quelque chose m’habite et m’attire. Je savais que je pouvais faire quelque chose avec ça. C’est très inspirant.
Quand vous dites que ça vous habite : il y a une longue période de temps entre la découverte de l’auteur et le projet ? Il vous marque durablement ?
Oui. Quand je commence à lire Murakami, à New York, je me dis que c’est génial, il a un style nouveau, il raconte différemment. Il a vraiment un univers et un regard unique. Ce n’est pas juste une histoire qu’il raconte, ça projette tout un monde, tout un univers. J’ai lu tout ce que je pouvais lire de Murakami, pas en une traite, mais j’ai lu tout Murakami. Ensuite quand j’ai voulu l’adapter, j’étais très attiré par les nouvelles. J’ai demandé si je pouvais adapter les nouvelles. Il m’a donné une liste de toutes celles que je pouvais adapter pour en choisir. Lui, il pensait que je n’allais adapter qu’une nouvelle, mais non j’en ai choisi plusieurs sans savoir du tout ce que j’allais en faire.
Pourquoi les nouvelles ? Et pourquoi celles-ci en particulier ?
Pourquoi les nouvelles ? Déjà, si cela avaient été des romans, je ne pense pas qu’il aurait accepté. C’est difficile de céder les droits d’un roman. Et en même temps ce qui est intéressant dans les nouvelles, c’est que ça laisse plus de place pour développer. Je ne suis pas le premier, il y a plein de réalisateurs qui ont adapté des nouvelles. C’est un matériau qui se prête bien à l’adaptation cinématographique. Bien sûr, on peut prendre un roman mais un roman c’est terriblement long et donc forcément on va en prendre qu’une partie. Dans une nouvelle, il y a un histoire, peut-être une petite histoire mais il y a toute une atmosphère qui va avec. Souvent, même dans les nouvelles de Murakami par exemple, il y a un début et une fin qui sont assez disons… il n’y a pas une fin précise, il y a quelque chose comme ça qui reste, qui s’éteint doucement. C’est ça aussi qui m’attirait parce que ça laisse une place à quelque chose d’infini. Ce ne sont pas des choses déterminées, ce sont des choses assez ouvertes. En prenant plusieurs nouvelles… j’ai juste choisi des nouvelles qui m’attiraient, qui m’inspiraient. Comme je vous le disais tout à l’heure, je n’avais aucune idée de ce que j’allais faire. Je me suis jeté dedans et puis on se retrouve comme au fond de l’eau mais subitement on se dit : “Tiens ! On peut respirer au fond de cette eau. Qu’est-ce que je pourrais en faire ?”. Et voilà ! Peu à peu, des idées apparaissent, une histoire se forme.
Au final, vous avez emprunté à plusieurs nouvelles et vous êtes arrivé à entre-chasser les récits plutôt que de les raconter un à un comme dans un film à sketches. Comment s’est faite cette construction ?
C’est un long travail. D’abord, j’adore les films à sketches. Ce n’est pas un truc qui se fait beaucoup, mais ça s’est fait beaucoup dans le passé, dans les années 70. Il y avait un film à sketches de Jim Jarmusch que j’aime beaucoup. Là, on m’a dit que le dernier film de Hamaguchi est à sketches je crois. Je ne l’ai pas vu mais c’est super ! Effectivement au début je pensais faire un film à sketches tout simplement. Je pensais faire des histoires comme ça qui allaient être entrecoupées par une des histoires que j’aurais découpé en bouts et qui servirait d’intermède entre les autres. Ca fonctionnait très bien mais peu à peu, au fil du temps, en retravaillant le scénario, j’en ai fait une seule histoire. Ça vient naturellement. Si le temps pour monter le film avait été plus court, hop, ce serait devenu un film à sketches. Le temps étant très long, plus long que ce que j’imaginais pour faire un film comme ça. “Est-ce que ce personnage dans cette histoire ne pourrait pas être une autre facette de ce personnage dans celle-là ? Tiens oui mais pour que ça fonctionne, il faudrait qu’il soit marié à cette femme. Est-ce qu’elle ne pourrait pas avoir fait ce vœu ?”. De fil en aiguille, il y a des choses qui surviennent en suivant son instinct. Forcément, en suivant son instinct, on s’exprime par des choses profondes, on laisse faire l’instinct plutôt que la raison. On cherche des liens, et cette histoire se forme comme ça de manière instinctive. Après, dans une troisième phase d’écriture de scénario, j’ai recréé des parties, des chapitres, qui ne correspondaient pas aux nouvelles mais qui essayaient de récupérer un peu cette ambiance de nouvelle. Comme je le disais tout à l’heure, cette notion d’avoir un début pas forcément très net et une fin qui tient la note pour que toutes ces notes puissent commencer doucement et terminer avec une autre. Moi j’aime beaucoup cette idée de chapitrage… C’est une narration un peu particulière. Une des choses qui m’attirait était de chercher un autre mode de narration que celui qu’on nous impose dans tous les ouvrages de scénario. Quand on analyse les films, on dit qu’il y a une introduction, trois parties, puis un épilogue. Et puis, attention aux enjeux des personnages ! Dans la partie deux, le problème doit devenir encore plus grand, etc. Donc, tout ça, ce sont des techniques efficaces mais l’efficacité n’est pas du tout ce qui m’intéresse. Ce qui me parle, c’est de raconter quelque chose de très profond qu’on arrive pas à raconter autrement qu’avec des images et un film. C’est ça que j’ai eu envie de transmettre.
D’un point de vue technique, vous utilisez un style d’animation particulier. Vous pouvez nous en dire plus sur la technique et les choix ?
Il y a plusieurs choses dans votre question. En premier, il y a la partie graphique, le look général de l’image qui est donc une question purement esthétique. Et d’autre part la technique d’animation. Tout ça vient naturellement d’un désir stylistique. La résultante de tout ça, c’est de créer des techniques pour satisfaire un désir esthétique de ce que l’on veut raconter. A la base, j’ai une approche d’artiste, je n’arrive pas à imaginer comment raconter une histoire avec un style déjà existant. J’ai besoin de créer ma technique car je raconte quelque chose avec un style particulier, jusqu’à la création d’une animation particulière que j’appelle “live animation”… D’abord, je crée un storyboard, ensuite je tourne avec des acteurs, en studio. On commence alors à faire des posing avec ça, on imite les poses qu’a pris l’acteur. Après, je sculpte des têtes 3D des acteurs, inexpressives, qui ne peuvent pas parler. Elles servent à faciliter le travail de l’animateur. Elles oscillent, elles peuvent bouger, etc. L’animateur vient animer ces têtes 3D, faire des posing, et transposer les expressions dans la référence vidéo à notre personnage qui ne ressemble absolument pas à l’acteur. “Tiens ! L’acteur hausse les sourcils, l’acteur sourit. Comment est-ce qu’on va transcrire ça à notre personnage ?”… Moi, j’avais créé tout un tas de dessins pour définir les limites des expressions des personnages à faire en animation classique. L’animateur termine en faisant tous les dessins intermédiaires et voilà ! Sinon au niveau des décors, il faut créer tout un univers. Créer des transparences, des lignes avec des couleurs inversées parfois. C’est à la fois un pur souci esthétique mais aussi une manière de donner des porosités à l’image. Une manière d’entrer dans cet univers pour que ce ne soit pas quelque chose de glacé, fermé, parfait. Donc j’aime bien l’idée d’une image qui est assez terminée quand même mais qui nous laisse rentrer dedans. Après il y a par exemple souvent des lignes qui sont inversées, en quelque sorte. C’est-à-dire que l’on voit les contours, qui sont marqués comme en cartoon, comme en bande dessinée, donc les contours des personnages sont marqués, mais quelquefois, quand l’image est sombre, les couleurs sont inversées pour pouvoir continuer à les voir. Pour pouvoir continuer de comprendre ce qui est devant, ce qui est derrière, donner du volume aux dessins en 2D.
Quand on lit les œuvres de Murakami, il y a une forte charge symbolique (notamment à travers de nombreuses apparitions, comme dans votre film) qui ouvre la porte à l’interprétation. Est-ce vous pouvez nous en donner une piste à propos de votre film ? Sans trop en dire bien entendu.
Ce n’est pas facile comme question. Ce que je peux faire, c’est dire quel est mon souhait. Je suis inspiré par des choses. Je les intègre. Mon objectif, si j’en ai un, ce n’est pas d’être efficace, ni d’affirmer quelque chose. C’est d’ouvrir des fenêtres et d’inspirer, d’inspirer quelqu’un. Transmettre quelque chose qui m’a inspiré. Voilà, ça peut être de la musique, ça peut être un tableau, ça peut être une conversation… Par mon activité artistique, j’essaye de transmettre de manière inspirée et inspirante.
Propos recueillis par Rohan Geslouin le 16/12/2022 à Paris.
Remerciements à toute l’équipe de Kinotayo.