FESTIVAL DE LA CINEMATHEQUE – Priest of Darkness de Yamanaka Sadao

Posté le 9 avril 2024 par

Lors de cette édition du Festival de la Cinémathèque était à découvrir la copie de Priest of Darkness du très rare Yamanaka Sadao, récemment restaurée et prochainement distribuée par BAC Films. Souvent, qui dit vieux film japonais de 1936 « préservé » par la Nikkatsu, dit copie probablement presque inexploitable. D’où une certaine attente lorsque certains films de patrimoine japonais refont surface et sont diffusés sur grand écran en salles : ces films, en plus d’être rares, sont la plupart du temps perdus, incomplets ou en très mauvais état. Yamanaka Sadao faisant en plus partie des cinéastes japonais ayant fortement marqué le cinéma nippon, mais dont la filmographie est quasiment entièrement perdue, cette restauration 4K de Priest of Darkness ne pouvait qu’attiser notre curiosité.

Un jeune garçon, Hirotaro, vole le petit poignard d’un samouraï, qui se révèle être une véritable relique shogunale. De ce vol découlera un enchaînement d’événements de plus en plus dramatiques pour Hirotaro et sa sœur Onami.

Cette restauration 4K supervisée par la Nikkatsu, bien que regardable, souffre tout de même des conditions de sauvegarde du patrimoine cinématographique japonais d’avant-guerre. Si le film ne semble pas subir de coupes importantes (comme, par exemple, la copie restaurée d’Une Page folle de 1926 qui serait amputée d’un bon tiers), l’image est tout de même assez floue et, à la longue, fatigue un peu l’œil. Au contraire, la piste sonore du film est dans un état bien plus agréable et permet de profiter tant des dialogues que de l’ambiance sonore très charmante. La principale force du film réside avant tout dans sa capacité à nous faire oublier la faiblesse de la copie que nous avons devant nos yeux, pour y préférer la rareté de celle-ci ainsi que les qualités innombrables du long-métrage de Yamanaka.

Adaptation vraisemblablement très libre d’une pièce de kabuki, Priest of Darkness est une spirale éreintante et sans fin vers le pire. Le film fonctionne ainsi : une situation en entraîne une autre, mettant toujours les personnages soit dans une impasse, soit face à un choix qu’ils doivent prendre (et ils prendront systématiquement le mauvais). Le côté très théâtral du film se ressent énormément sur l’écriture : on y voit assez clairement les rouages bien huilés d’une narration plus que maîtrisée, ce qui n’est pas forcément un défaut pour un film présentant un tel chaos ambiant et constant. Malgré l’important nombre de personnages, il est très simple de se retrouver dans la narration et malgré l’éboulement de situations plus incongrues les unes des autres, il est assez facile d’y voir la chaîne de cause à effet à l’œuvre. Derrière son aspect de tragédie classique se cache aussi une comédie noire furieuse. Le chaos à l’œuvre, moteur même du film, n’est jamais binaire et uniquement au service du drame. Il peut l’être, et ce de manière efficace, notamment lorsque les actions de Hirotaro vont mener à la mort de sa bien-aimée (mort par ailleurs aussi dramatique qu’humoristique, agissant presque comme parodie du double suicide amoureux qui tombe à l’eau). Mais ce chaos est aussi bien fécond en quiproquos comiques, amitiés impromptues et autres drôleries désenchantées.

Couplé à cette écriture incisive, le film ne manque pas de vivacité formelle. Loin de l’image très fausse que l’on se fait d’un cinéma japonais d’avant-guerre lent, aux plans fixes et au ton « zen », Priest of Darkness est un éminent représentant du pendant inverse, très populaire et surtout très japonais, qui n’est que très rarement montré chez nous lorsqu’il s’agit de films de patrimoine. Dans le sillage d’un Ito Daisuke (bien que le cinéaste soit souvent rapproché, à raison, d’Ozu Yasujiro), ce film nous donne à voir un cinéma populaire vivace, où l’image est souvent saturée de mouvements, jusque dans ses transitions volets renforçant la rythmique effrénée de cette spirale chaotique qui s’abat sur ses personnages.

Priest of Darkness est une sortie patrimoine plus que réjouissante. Petite fenêtre sur un cinéma qui, de base bien compliqué à voir, l’est d’autant plus en dehors du Japon, celle-ci nous donne par la même occasion à voir un autre cinéma japonais. Un cinéma japonais d’avant-guerre formellement très divers, loin de cette image figée du film lent au plan long (bien que cet archétype puise dans une réalité historique, lié notamment, aux pauses laissées pendant les plans afin que les benshi puissent narrer le film). Il s’agit à la fois du témoignage d’un certain cinéma populaire historique, mais aussi d’un cinéma à visée révolutionnaire (politiquement et formellement), puisque Yamanaka Sadao a fait ce film en étroite collaboration avec la troupe Zenshin-za, ayant pour objectif de moderniser le jeu kabuki. Plus que cet aspect historique très précieux, Priest of Darkness est aussi un divertissement savamment mis en scène, ainsi qu’un petit brulot nihiliste tapageur sous ses airs de comédie noire burlesque.

Thibaut Das Neves

Priest of Darkness de Yamanaka Sadao. Japon. 1936. Projeté à La Cinémathèque française.

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