LE FILM DE LA SEMAINE – The Cloud in Her Room de Zheng Lu Xinyuan

Posté le 22 décembre 2021 par

Après un passage réussi au Festival Allers-Retours 2021, The Cloud in Her Room de la réalisatrice chinoise Zheng Lu Xinyuan arrive sur grand écran. Nourrie de l’expérience de plusieurs courts sélectionnés en festivals, la jeune cinéaste se démarque au diapason des essais stylistiques et narratifs du cinéma chinois contemporain avec cette première réalisation.

L’ancien appartement des parents de Muzi existe encore. Un lit, une chaise vide, une fenêtre cassée, un monde matériel qui porte les réminiscences des âmes ayant vécu sur place, avant de partir. Son père a commencé une nouvelle vie, sa mère cherche à en amorcer une meilleure. Seule Muzi semble attachée à cet endroit, partagée entre passé et présent, entre la fuite et l’éternel retour.

Depuis les années 2010, l’on remarque que le nouveau cinéma d’auteur de Chine continentale semble privilégier l’esthétisation à l’écriture des enjeux dramatiques. Tout est bon pour expérimenter les formes, transmuter le fond en images, et ainsi permettre un dialogue inédit entre le réel et la fiction, afin de ne pas s’appesantir de ce qui est somme toute négligeable dans la narration d’un film. C’est l’approche minimaliste que choisit la jeune réalisatrice Zheng Lu Xinyuan, par le prisme d’une autobiographie romancée de sa jeunesse, en collision avec celle inventée de son héroïne Muzi, interprétée par la toute aussi talentueuse Jin Jing que l’on avait déjà pu apercevoir dans le Buddha Mountain (2010) de Li Yu. Comme si les deux êtres s’influençaient l’un l’autre, The Cloud in Her Room fait office de ciment friable entre l’impermanence des souvenirs et le refus d’oublier, que transcrit l’errance émotionnelle du personnage parmi les rues chargées de Hangzhou.

Le premier choix esthétique fort de The Cloud in Her Room est de baigner la ville dans un noir et blanc éternel, de laisser les lampadaires baver leurs lumières et les ombres prendre le dessus. Précisément, la solitude de l’héroïne, déconnectée de sa famille, a un lieu, une matière, une mémoire, aussi rattachés au réel qu’embrouillés dans la brume. De cette austérité pesante, et parfois de ces défauts, naît la structure d’un récit construit de manière impressionniste, où l’on déambule en récitant l’éloge du rien. Plus d’une fois, le style de Zheng Lu Xinyuan s’apparente à celui de Bi Gan, notamment Kaili Blues (2015) en ce qui concerne la trace et l’expérience sensorielle des souvenirs. Se perçoivent aussi bien des fragments du cinéma de Tsai Ming-liang, fait de textures et de toute sorte d’imageries sensibles enrobant le film d’un amas de matériaux vétustes, de corps engourdis et d’objets obstrués.

Hangzhou est ici sujette à l’examen de sa constante évolution et des relations qui en émanent, comme le carrefour de plusieurs existences bâties sur une multitude de réalités physiques en vue de consolider l’être et son environnement urbain (chose que Le Terroriste (1986) d’Edward Yang ou 24 City (2008) de Jia Zhang-ke admettaient à merveille). Mais tout comme Muzi, l’espace et le temps sont en conflit, se disloquent et créent une forme de narration en blocs de temporalités distinctes sans lien tangible, rendant le monde aussi incompréhensible que tout le reste. Alors à quoi bon ? Parce que la Chine est un pays en constante mutation, où l’identité de ses habitants est continuellement réévaluée, et que Hamid Naficy définirait le cinéma de Zheng Lu Xinyuan comme sporadique, The Cloud in Her Room témoigne en son cœur du motif de l’artiste en exil, comme ce fut le cas pour Zheng ayant écrit son film aux Etats-Unis avant de retourner sur sa terre natale.

The Cloud in Her Room capture donc avec brio la façon dont nous voyons et expérimentons le monde qui nous entoure. Ses qualités méta-discursives laissent transparaître une réflexion sur le cinéma en tant qu’expression visible et auditive des propres perceptions du spectateur, qui participe de lui-même à l’insertion d’un film dans une certaine réalité, tout en partageant l’activité fictionnelle (ou non) des protagonistes. Une parfaite observation subjective (et pourtant universelle) des relations au sein d’une ville moderne, dont la moindre parcelle d’émotion est essorée par la caméra de Zheng Lu Xinyuan, jusqu’à composer des images en négatif, et un baiser en infrarouge.

Auparavant couronné au Festival de Rotterdam, l’objet fascinant qu’est The Cloud in Her Room permet à Zheng Lu Xinyuan de nous conquérir pleinement, et de prouver l’étendue de son talent. Encore une réalisatrice à suivre de très près.

Richard Guerry.

The Cloud in Her Room de Zheng Lu Xinyuan. Chine. 2020. En salles le 22/12/2021