Interview de Hanawa Yukinari, réalisateur de My Wife au festival Kinotayo 2011

Posté le 7 décembre 2012 par

C’est un homme d’une grande gentillesse et désireux de parler de son film que nous avons découvert lorsque nous avons rencontré le réalisateur de My Wife, lauréat du Soleil d’or If Télévision lors de l’édition 2011 du Festival Kinotayo. Cela ne nous a pas empêché de titiller Hanawa Yukinari sur les défauts de son film en lui demandant quelques points d’éclaircissement sur ses choix de mise en scène. Avant de se plonger dans notre entretien, un détour par notre critique est ainsi tout indiqué ici ! Par Victor Lopez.

Comment avez-vous découvert l’histoire de My Wife et qu’est-ce qui vous a poussé à en faire un film ?

En fait, je suis tombé par hasard sur le livre dans une librairie. Le titre japonais est assez choquant. Ce n’est pas « My Wife », mais littéralement « Le Voyage avec ma femme mourante ». Lorsque j’ai vu ce titre, j’ai un peu hésité avant de prendre l’ouvrage entre mes mains, mais je l’ai quand même lu. Je l’ai trouvé très dur, l’histoire très forte. Je ne savais pas vraiment qu’en faire, mais j’ai ensuite essayé de le relire du point de vue féminin. Et c’est en me focalisant sur le personnage de l’épouse que je me suis rendu compte que je pouvais en faire une histoire d’amour entre deux époux. J’ai tout de suite proposé l’adaptation, mais les droits n’étaient pas disponibles. C’est trois ans après que j’ai rencontré l’éditeur qui m’a annoncé que les droits étaient libres. J’en ai tout de suite fait l’acquisition.

Est-ce que vous vous êtes beaucoup écarté du récit d’origine de Hisamori ou êtes-vous au contraire resté très proche de son témoignage ?

L’œuvre originale est une sorte d’autobiographie. Je pense avoir réalisé une adaptation fidèle, mais j’ai dû rajouter des dialogues qui étaient absents du livre. J’ai aussi rajouté les scènes plutôt joyeuses du film. Je peux dire qu’environ un tiers du film est fictionnel.

Avez-vous rencontré Hisamori Shimizu et a-t-il joué un rôle dans le tournage du film ?

Je ne l’ai rencontré qu’une seule fois avant le tournage. Je ne voulais pas non plus être trop influencé par lui. Par contre, il est venu deux ou trois fois sur le tournage. Contrairement à moi, les acteurs n’ont pas voulu le rencontrer pendant le tournage, mais ils l’ont vu après.

Souvent, on interprète des personnages réels après leur mort, mais dans ce cas-là, M. Hisamori Shimizu était toujours vivant et c’était quelque chose de délicat pour les acteurs et c’est pour cela qu’ils ont préféré le rencontrer un peu plus tard.

Et qu’a-t-il pensé du film ?

La première fois, il a dû arrêter au bout de dix minutes. Il ne pouvait plus voir le film tellement il pleurait. Il lui a fallu trois projections pour pouvoir aller jusqu’au bout.

Je crois que le film lui a plu. Et même si le personnage du film est une création fictionnelle, il s’est reconnu dedans.

Justement, vous n’hésitez pas à peindre les personnages avec leurs défauts : la femme est une enfant dépendante, et le mari la trompe et on suppose qu’il ne s’est jamais occupé d’elle en 20 ans de mariage. Pensez-vous que le spectateur puisse malgré tout entrer en empathie avec leur destin ?

Oui, je pense que le spectateur peut avoir de la sympathie pour les personnages. J’ai vraiment voulu montrer la réalité : les hommes ont des défauts, un côté sombre, parfois sale. Je n’ai pas voulu mentir sur la nature humaine en faisant un film qui fait juste pleurer. En ce qui concerne le public japonais, je pense avoir réussi à lui donner de l’empathie.

Ce n’est pas la première fois que je montre le film à l’étranger, et ce qui m’amuse est la réaction du public vis-à-vis de la faillite personnelle. Le personnage s’y refuse et beaucoup de spectateurs ne comprennent pas ce choix. C’est en fait très lié à la coutume personnelle : c’est tellement mal vu qu’il devient ensuite presque impossible de vivre dans le même quartier.

Oui, c’est quelque chose que l’on comprend pourtant bien dans le film. J’aimerais revenir sur la relation entre les deux personnages, qui ont presque plus une relation de père-fille que de mari-femme. Cette ambivalence était-elle voulue ?

En effet, le couple réel avait ce genre de relation, car ils ont 11 ans de différence et l’époux traitait l’épouse comme une enfant. Du coup, il ne lui parle pas de la faillite, du licenciement… par contre, au cours de ce voyage, un changement arrive : il commence à la traiter comme une femme. Mais vous savez, au Japon, on se dit rarement « Je t’aime ». Souvent, les époux qui ont des enfants s’appellent « père », « mère ». Dans le film, le moment où l’épouse demande à son mari de l’appeler par son prénom est ainsi particulièrement significatif.

L’action se déroule en 1999 et la situation des seniors au Japon semble déjà déplorable. La situation a-t-elle évolué depuis et auriez-vous réalisé le même film si vous l’aviez situé en 2011 ?

La situation n’a pas vraiment changée. C’est même peut-être encore pire car les plus de 65 ans représentent à peu près un quart de la population japonaise.

Le film peut s’apparenter à un road-movie, genre qui est généralement structuré par des rencontres. My Wife n’en comporte qu’une, le vieux SDF. Pourquoi avoir construit votre film en vase clôt resserré sur le couple ?

Pour pouvoir arriver à la situation finale, il me fallait consacrer du temps à ce couple. Si j’avais mis plus de rencontre, nous n’aurions pas pu approfondir la relation entre ces époux. J’ai fait ce choix pour nous permettre de mieux connaître ce couple.

Avez-vous un dernier mot pour les lecteurs d’East Asia et les spectateurs de Kinotayo ?

Tout d’abord, j’aimerais que My Wife trouve plus d’occasions d’être vu à l’étranger. J’aimerais aussi que chaque spectateur repense à ses proches.

Propos recueillis par Victor Lopez le 25 novembre 2011 à Paris dans le cadre de Kinotayo 2011, le Festival du cinéma japonais contemporain.

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