Après l’excellent Black Test Car, Masumura Yasuzo poursuit sa lecture du film noir, avec The Black Report, disponible depuis l’été dernier grâce à Arrow Video, en nous plongeant dans les méandres du système judiciaire japonais.
Un procureur enquête sur la mort d’un grand industriel de produits alimentaires. Il doit lutter contre un avocat véreux et une avalanche de faux témoignages.
Le succès de Black Test Car (1962) va entraîner pour le studio Daiei la production d’une série de films affiliés de cet intitulé « Black » qui creuse le même sillon croisant le thriller et une certaine dimension sociale. 11 films seront produits entre 1962 et 1964 et Masumura Yasuzo qui avait lancé le mouvement avec l’excellent Black Test Car remet le couvert en réalisant ce Black Report. Au premier abord, le film est moins original que l’haletant récit d’espionnage industriel de Black Test Car, puisqu’il s’agit là d’un « procedural » plus classique. Le jeune procureur Kido (Utsui Ken) enquête sur le meurtre d’un riche industriel, avec en point d’orgue s’il mène l’affaire à bien, une promotion à Tokyo. Très vite, il a la conviction que le crime a été commis par la femme de la victime (Kondo Mieko) et son amant Hitomi (Koyama Shigeru) mais malgré les concordances, l’arrivée de l’avocat véreux de la défense va tout compliquer.
L’un des éléments qui démarque d’emblée The Black Report, c’est sa description des spécificités judiciaires japonaises. Tous les indices, même les plus flagrants, peuvent être contestés et la preuve la plus indiscutable réside dans les aveux du suspect. Pour les obtenir, la police et la justice possèdent des moyens de pression surprenants (arrestation arbitraire, torture psychologique, interrogatoire sans avocat) destinés à faire plier la volonté du suspect quoiqu’il en coûte. L’orientation dramatique du film semble justifier ce système qui permet d’obtenir rapidement des résultats (et de l’avancement) mais le hic réside lorsqu’on tombe sur un adversaire sachant en jouer. Yamamoto (Ozawa Eitaro), avocat corrompu et roublard, va ainsi faire tenir son client pourtant coupable, et siphonner tous les témoignages à charge par la corruption. Le naïf Kido croit en la justice et pense que l’ensemble de ses preuves suffiront, mais sans aveux, tout devient soudainement discutable au mépris de revirement invraisemblable des témoins.
Masumura semble ainsi dans la première partie valider l’instruction agressive et à charge, que ce soit le filmage alerte de l’enquête ou le climat claustrophobe des interrogatoires. Les séquences de procès (où là aussi le système sans jury diffère grandement de la justice occidentale) sont une scène de théâtre où l’on vient jouer sa partition, où la conviction prend le pas sur la logique puisque l’argument intouchable des aveux n’a pas été obtenu. C’est un jeu de dupe où seuls les plus fourbes peuvent gagner, se nourrissant de l’égoïsme et la cupidité de leurs semblables. Dans le système de pouvoir pyramidal japonais, l’avocat véreux qui ne travaille que pour lui-même prend moins de risque à mentir et n’a rien à perdre quand Kido, procureur public pouvait certes espérer une promotion, mais dont la disgrâce sera totale en ayant cru au fonctionnement de sa justice.
Il y a une ironie cinglante mettant en lumière les limites de cette méthode judiciaire japonaise (y compris un élément absent du film, celui de faire avouer et emprisonner un innocent), le pouvoir des apparences pouvant retourner une culpabilité pourtant avérée. On retrouve cette idée vue dans Black Test Car de duel psychologique entre deux visions et deux générations, entre le roublard expérimenté Yamamoto et le vertueux Kido, sauf que ce dernier n’est pas prêt à s’avilir pour gagner. Pas aussi singulier que le film précédent mais très intéressant donc.
Justin Kwedi
The Black Test Report de Masumura Yasuzo. Japon. 1962. Disponible en Blu-Ray le 24/08/2020 chez Arrow Video