VIDEO – La Brigade des 800 de Guan Hu

Posté le 24 juin 2021 par

En 2020, dans les salles chinoises sortait sans doute l’un des films de guerre les plus aboutis, grandioses et épiques jamais réalisés en Chine. La Brigade des 800 de Guan Hu, plus gros succès au box-office du pays en 2020, est disponible en DVD/Blu-Ray en France depuis le 22 juin 2021 chez les éditions The Jokers.

1937 : Shanghai est encerclé par l’armée japonaise. Huit cents soldats chinois se sont retranchés dans un entrepôt en plein cœur de la ville, et refusent d’abandonner la position. Commence alors le combat de leur vie, eux qui devinrent les héros d’une nation…

Terre d’autant de drames intimes et de films en costumes que de fresques guerrières, la Chine, dont l’industrie cinématographique en plein essor s’accoutume aujourd’hui à la manufacture de super-productions, ne manque pas d’exploiter les avantages du grand écran à des fins historiques et mémorielles. C’est en tout cas ce que l’on constate localement depuis quelques décennies, avec des portraits sur la Seconde Guerre mondiale et la guerre sino-japonaise tels que Les Démons à ma porte (2000) de Jiang Wen, City of Life and Death (2009) de Lu Chuan, ou Sacrifices of War (2011) de Zhang Yimou. De la même manière que certains blockbusters sud-coréens, Battleship Island (2017) de Ryoo Seung-wan en tête de liste, tous ont les yeux rivés sur les horreurs perpétrées par l’Armée impériale japonaise lors de ses invasions. Sorti tout juste l’année dernière, en 2020, le fleuron de ces films d’action centrés sur un épisode historique majeur du XXe siècle pourrait bien être La Brigade des 800 de Guan Hu, tant il semble animé d’un insatiable désir de conjuguer le spectaculaire à l’identité nationale chinoise.

Digne des trois cents spartiates se tenant face à l’armée perse de Xerxès, La Brigade des 800 dépeint un épisode important de l’histoire chinoise moderne, celui de la Défense de l’entrepôt Sihang à Shanghai en 1937 par l’Armée nationale révolutionnaire du Kuomintang. Ce ne sont pas moins de 423 soldats (connus comme les « huit cents héros » depuis que l’on sait que le général Xie Jinyuan cachait leur infériorité numérique à l’ennemi) qui formèrent un bastion de résistance pour freiner l’avancée des forces impériales japonaises, juste en face des concessions étrangères de la ville, spectatrices de ce combat acharné, ce qui permit à l’évènement d’être largement médiatisé et aux troupes chinoises d’être érigées en martyrs sur le champ d’honneur. Il ne faut en effet pas se leurrer, ce film suinte le nationalisme de toute part, et difficile de ne pas y voir une tentative propagandiste ou du moins idéologique du pouvoir en place actuel, quand bien même le régime soit différent de celui de l’époque (« La restauration du peuple Han attend la nouvelle génération » confie un soldat, certainement à nos contemporains). Ces hommes sont les héros de la nation, incarnant la ténacité chinoise envers et contre tous, ce qui a bien entendu de quoi rappeler le patriotisme américain au cinéma. Mais passé ces appréhensions, relevant de la sensibilité de chacun et de chacune, se dessine l’un des films de guerre les plus immersifs, à couper le souffle, et glorieux que la Chine ait pu nous offrir, et celui de tous les records. Plus d’un an aux décors pour être construits, plus d’un an aux acteurs pour être entraînés, 80 millions de dollars de budget, des VFX à la pointe, et pour la première fois dans une production chinoise, des caméras IMAX.

 

Chose plutôt rare pour les films de siège du genre, où la mise en place d’une stratégie est au demeurant primordiale, il n’y a presque aucun temps mort pendant près de 2h30. Les potentielles discussions politiques et militaires sont délaissées au profit des affrontements et des assauts des forces japonaises, comme si les Chinois eux-mêmes étaient acculés au point de ne jamais pouvoir se poser pour réfléchir à la contre-attaque. L’entrepôt est le seul lieu du long-métrage (avec les concessions sur la rive d’en face), mais la caméra n’est aucunement enfermée sur place et du point de vue seul des soldats. Celui des spectateurs est souvent montré pour sa valeur du hors-champ, comme lorsque les Japonais tendent un piège, que l’on ne voit l’attaque et que l’on n’entende les balles fuser que depuis l’extérieur (d’autant plus surprenant qu’il s’agit du premier fait d’armes des Chinois, la maigre victoire n’est donc pas immédiatement glorifiée). De nombreuses idées de mise en scène fourmillent ainsi, apportant richesse et consistance aux innombrables scènes d’action, à l’utilisation fréquente du plan séquence, à la tension et à l’immersion visuelle autant que sonore (sur ce point, aux petits oignons est le sound design). Aux antipodes de la sobriété, et habité de démesure, c’est pour sa violence graphique impressionnante que La Brigade des 800 tient en haleine sans faiblir. On peut de ce fait lui reprocher d’être tape à l’œil, la photographie, bien que très belle, va dans ce sens avec son filtre jaunâtre en extérieur et ce, de jour comme de nuit.

D’autres idées, qui auraient pu être bonnes, s’avèrent moins concluantes. La diabolisation des Japonais laisse un arrière-goût peu agréable, et l’on peut se demander si elle ne sert qu’à mettre les efforts guerriers chinois en avant. Ils sont totalement déshumanisés dans l’ensemble du film, on ne les voit qu’au travers d’une lunette de sniper ou lors des tactiques militaires et des charges peu scrupuleuses pour ne pas dire fourbes. Aussi l’idée de la sous-intrigue d’un journaliste sur les lieux ne parvient pas à s’émanciper d’une certaine artificialité (il y a de courtes séquences en noir et blanc et en 1:1 laissant penser qu’il s’agit d’archives. Ce n’est pas le cas). Un autre problème pourrait être que la caractérisation des soldats se fasse toujours dans la mort en tant que preuve de leur abnégation pour la patrie, ce qui ne laisse pas beaucoup de place à leur caractère individuel, aux dilemmes moraux et à l’esprit de groupe qui se forme peu à peu. Il y a également plusieurs séquences oniriques d’un cavalier (époque médiévale ?) se tenant seul face à une armée, comme pour tisser un lien avec la grandeur militaire de la Chine d’antan qui ne faiblit jamais en infériorité numérique, mais tout cela n’a pas grand sens vis-à-vis du contexte (et les décors en CGI ne sont franchement pas réussis, contrairement au Shanghai reconstitué). Enfin, on peut se questionner une nouvelle fois sur les apports et les inconvénients de ce nationalisme aveugle, aucunement remis en question, et pouvant ternir à l’émotion de certaines scènes (sans doute de notre regard occidental). Le politiquement incorrect est monnaie courante dans le cinéma chinois, des voix se sont même élevées pour critiquer la glorification extrême de l’Armée nationale révolutionnaire, de la part d’organisations non-gouvernementales, au point d’annuler la projection au Festival international du film de Shanghai (Jia Zhang-ke a de son côté défendu l’expression libre). La scène du drapeau soulevé par les Chinois sous le feu des avions japonais est cela dit un point d’orgue absolument grandiose qui se permet de convoquer (ironiquement ?) l’imaginaire du monument militaire américain USMC War Memorial.

La Brigade des 800 porte à bout de bras la mémoire des héros sacrifiés de toute une nation, en oublie parfois la subtilité et la sagesse du message, mais livre un spectacle tout bonnement époustouflant qui annonce une nouvelle ère pour le cinéma de guerre et les blockbusters chinois.

Richard Guerry.

La Brigade des 800 de Guan Hu. Chine. 2020. Disponible en DVD/Blu-Ray le 22/06/2021 chez The Jokers.

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