Sorti discrètement sur les écrans français l’année dernière, La Saveur des ramens d’Eric Khoo n’aura pas forcément connu le même succès que Les Délices de Tokyo, autre poème visuel et culinaire proposé par Kawase Naomi. S’il n’en a pas la même force évocatrice et les mêmes ambitions, il n’en demeure pas moins un film rempli de bonnes intentions qui mélange culture, cuisine, héritage historique et relations familiales compliquées. La sortie du film en DVD simple et en édition collector peut être une excellente façon de (re)plonger dans les effluves et senteurs d’un bon Bak Kut Teh, dégusté devant une belle et émouvante affaire de famille.
Après le surprenant et coloré Hotel Singapura, Khoo redescend sur terre et propose un voyage, initiatique et culinaire, entre le Japon et Singapour avec un jeune homme à la situation familiale que l’on peut qualifier de complexe et passablement déprimante, entre une mère décédée et un père qui ne s’en est jamais remis et qui va finir par la rejoindre. À la suite de ces drames, Masato, notre héros, va partir en quête de ses origines, et faire de nouvelle rencontres.
Le film aurait pu être d’une tristesse sans fin et bercé par ce sentiment de regret ou d’amertume qui étreint les proches d’un disparu à qui l’on regrette de ne pas avoir tout dit, et dont on liste les choses qu’il ne verra jamais. Heureusement, le long-métrage se positionne aux antipodes de la dépression et Khoo fait le choix de transformer cette double épreuve en tremplin pour Masato qui entreprend, par amour et mémoire pour ses parents, de ramener de Singapour au Japon une recette particulière des ramen, que sa mère lui préparait lorsqu’il était petit. Seul souci, la famille singapourienne lui est soit totalement inconnue (l’oncle jovial) soit vraiment hostile (sa grand-mère). Masato ne va pas pour autant se décourager et entreprend de régler ses problèmes familiaux dont il ne comprend pas forcément les tenants et les aboutissants mais qui vont le pousser à se dépasser et l’amener à rencontrer des individus remplis d’amour et de générosité.
C’est exactement dans ces moments-là que le film d’ Eric Khoo se révèle terriblement touchant et humain. Parce que l’on ne va jamais loin en étant seul, Masato va apprendre à rencontrer les gens, les écouter et évoluer à leur côté, qu’ils soient des blogueurs qui aiment partager leur passion pour la gastronomie, ou un oncle à la générosité et à la fibre familiale qui cache de tristes secrets de famille. Masato va découvrir une vie qu’il aurait pu avoir si tout s’était passé normalement au Japon et si l’Histoire, celle avec un grand H, ne s’en était pas mêlée.
Car à travers le personnage de la grand-mère, c’est une partie plus méconnue de l’histoire du Japon qui est mentionnée ici, celle qui a opposé le pays à la Chine et qui a vu de nombreux Chinois se faire massacrer par des soldats japonais, et nombre de familles en payer le prix, entre parents assassinés et lignées familiales brisées. Autant être honnête, si ces événements sont essentiels à l’intrigue, ce n’est pas là que le film se montre le plus efficace, et de toute manière, ce n’est pas du tout le sujet du long-métrage. Mais ça ne coûte rien d’en parler, surtout pour un film qui traite de l’héritage culturel.
Et qui dit culture d’un pays dit gastronomie, et à ce niveau, le film tient toutes ses promesses. Festival de saveurs asiatiques, le métrage est une ode à la gastronomie justement, de celle qui transforme chaque repas en cérémonie, en moment de fête. Le repas est donc festif, mais ici il est vecteur de rencontres (la blogueuse et sa cellule familiale de substitution pour Masato), de rapprochement inter-générationnel, et peut aussi servir à renouer des liens qui ne demandaient qu’à être resserrés. Pour rester dans la comparaison avec le film de Kawase Naomi, ce dernier se montrait plus subtil et poétique dans son mélange des sens et des émotions, alors que la vision de Khoo est plus concrète et moins contemplative, parfois plus maladroite, mais ça n’empêche pas pour autant les émotions et les sentiments, surtout dans la dernière partie du film, qui arrivent à émouvoir de la plus simple et désarmante des façons, autour d’un plat de ramen.
Souvent tendre, parfois naïf et simple dans son récit, La Saveur des ramen n’en demeure pas moins une douce et touchante chronique familiale, où se télescopent héritage culturel et familial, amour et deuil impossible.
Les bonus :
En entrée, le DVD nous propose les interviews du réalisateur, du comédien Saito Takumi et de la comédienne Jeanette Aw. Nous n’y apprenons rien de nouveau, et l’ensemble baigne dans la même légèreté que le film, entre anecdotes sur un tournage en multi-langues et une volonté de faire de la cuisine un point de ralliement entre différentes cultures. On notera que les questions posées n’oublient pas, à l’image du film, que l’histoire a son importance dans les relations qu’ont pu entretenir Singapour et le Japon, et l’influence qu’a pu avoir ce conflit dans le destin de leurs habitants.
En accompagnement, on trouvera également deux scènes coupées qui développent un peu plus le background du personnage principal ainsi que celui de la jeune femme qu’il rencontre à Singapour, et qui va lui raconter sa vie au détour d’un instant de complicité.
On pourra également profiter du commentaire audio du réalisateur sur les scènes de cuisine, un bonus surprenant et ludique qui permet de s’immerger complètement dans le film.
Mais le plus intéressant se trouve dans un petit extra offert avec le DVD du film, dans l’édition collector. En effet, en plat de résistance, l’éditeur a eu la bonne idée d’inclure un petit livret de recettes qui permet au spectateur de prolonger le plaisir procuré par le film et le bonheur communicatif qu’on éprouve à voir nos protagonistes préparer leurs petits plats. Accompagné d’une préface du réalisateur, le livre de recettes permet aux plus gourmands de préparer des plats classés par catégories propres au film. On commence par les plats de grand-mère tels que le poulet au curry, les crevettes sautées ou bien encore les œufs braisés au soja. Les plus aguerris se lanceront dans la cuisine de Singapour avec le fameux Bak Kut Teh, le Laksa ou bien encore le chili de crabe. Une très bonne initiative aussi ludique qu’originale.
Romain Leclercq.
La Saveur des ramen d’Eric Khoo. France-Japon-Singapour. 2018. En DVD et édition collector (DVD + livre de recettes) chez KMBO le 02/04/2019.