FFCP 2018 – Entretien avec Jeong Hee-jae pour A Haunting Hitchhike

Posté le 8 novembre 2018 par

Le Festival du Cinéma Coréen à Paris (FFCP) est l’occasion de découvrir les premiers longs-métrages de jeunes cinéastes. C’est le cas avec A Haunting Hitchhike de Jeong Hee-jae, projeté en 2017 au Festival de Busan. Un film initiatique doublé d’un drame familial et social qui ne sombre jamais dans le misérabilisme : Jung-ae, 16 ans, vit seule avec son père. Sa mère les a quittés des années plus tôt. Sa meilleure amie connaît la situation inverse, vivant avec sa mère et ne connaissant pas son père. Les deux adolescentes décident de retrouver ensemble les parents qui les ont abandonnées. A Haunting Hitchhike est l’un des bonnes découvertes du festival !

A Haunting Hitchhike est votre premier long-métrage. Pouvez-vous vous présenter et nous expliquer comment s’est passée la production du film ?

J’ai fait des études à l’Université nationale des arts de Corée et j’ai déjà réalisé trois courts-métrages avant A Haunting Hitchhike. La production du film est indépendante : j’ai pu obtenir des subventions d’organismes nationaux et régionaux.

Comment avez choisi le thème du film, assez sombre, qu’on voit rarement au cinéma ?

J’ai écrit le scénario il y a quatre ans pour deux raisons. Première raison : de nos jours, les Coréens ressentent des difficultés, notamment financières, mais également un manque de quelque chose, difficilement visible à l’oeil nu. La génération de nos parents a connu le pays après la guerre de Corée, complètement détruit et en reconstruction. Quand la génération suivante est née, elle ne manquait de rien : maison, travail, stabilité. Pourtant, les jeunes Coréens ont ce manque de quelque chose.

Seconde raison : ma propre mère m’a raconté qu’à l’âge de quinze ans, elle a voulu retrouver sa mère qui avait quitté le foyer familial. Elle a décidé de la chercher vraiment quand elle aurait une situation plus stable et trouverait le bonheur : après le mariage, après la naissance de son premier enfant, etc… Maintenant elle a 64 ans et se dit qu’elle n’aurait pas dû attendre de trouver le bonheur pour la chercher vraiment.

Comment avez-vous choisi pour le rôle principal ?

Il s’agit de Roh Jeong-eui qui a commencé sa carrière à l’âge de 10 ans. On peut dire qu’elle est plus expérimentée que moi. Nous avons organisé des auditions pendant deux mois et rencontré énormément d’actrices mais sans trouver la bonne personne, jusqu’au jour où j’ai rencontré Roh Jeong-eui. Avant le tournage, nous avons passé un mois à parler du film et du rôle.

Le film fait référence au système de santé en Corée du Sud. Le père de l’héroïne ne peut pas avoir recours à un traitement adéquat car il coûte trop cher. Les soins hospitaliers ne sont pas intégralement remboursés ?

Il existe une sécurité sociale qui couvre les soins mais jusqu’à un certain seuil. Il y a d’ailleurs un débat en Corée pour savoir si la sécurité sociale doit être privatisée ou pas. Si une personne lambda est atteinte d’un cancer, cela peut entraîner de graves conséquences financières pour la famille. On peut avoir recours aux meilleurs soins si l’on est très riche. Dans le film, le père est livreur donc quand on lui annonce qu’il est malade, il ne peut plus travailler, et donc il n’y a plus de salaire pour payer ses soins. C’est un cercle vicieux.

Comment le film a-t-il est distribué en Corée et quelles ont été les réactions du public ?

Mon film a été présenté pour la première l’année dernière au Festival de Busan, dans la section “Korean Cinema Today: Vision”. Il sortira en salles officiellement en Corée au printemps prochain. Comme c’est un film indépendant, la distribution sera soutenue par des subventions. Sachant que la société coréenne est déjà dure, est-ce que les spectateurs auront envie de voir ce genre de film ? Cela dit, mon film parle d’une histoire de famille. De plus en plus de Coréens s’identifient par rapport à leurs relations parentales. Ils ont parfois du mal à tisser des liens familiaux.

Vous sentez-vous des affinités avec d’autres réalisateurs, sud-coréens ou non, par rapport à l’écriture ou à la mise en scène ?

Je suis tombée par hasard à la télévision sur My Childhood de Bill Douglas [sorti en 1972]. Ce film m’avait beaucoup marquée à l’époque. Cela a peut-être influencé A Haunting Hitchhike. Je ne peux pas vraiment dire que j’ai des affinités avec tel ou tel réalisateur, je viens de commencer ma carrière et je ne suis pas non plus certaine de connaître mon propre style. Je teste encore des choses pour trouver ma voie.

Avez-vous d’autres projets en cours ?

J’écris actuellement le scénario de mon deuxième long-métrage. Pour revenir à la question précédente : j’étais étudiante à l’Université nationale des arts de Corée, université dans laquelle des réalisateurs y donnent des cours. Hong Sang-soo y a été enseignant de 1995 à 2001. Ceux qui ont étudié avec lui ont été très influencés par son cinéma. Ils tournaient des scènes de beuverie et des films sur les relations amoureuses. Moi j’ai eu comme enseignant Lee Chang-dong. Il nous disait : « Quand vous tournez un film, ne donnez pas de réponses ou d’indications à vos acteurs ». C’est une manière de travailler très pénible pour les acteurs parce que c’est à eux de trouver l’interprétation correcte. J’ai été influencée par cette méthode et je l’ai utilisée pour A Haunting Hitchhike.

Qu’avez-vous pensé de Burning qui évoque justement le conflit entre les riches et les pauvres en Corée du Sud ?

Officiellement, j’ai beaucoup aimé le film [rires]. Mais de manière plus personnelle… Quand Lee Chang-dong faisait la promotion du film en Corée, il mettait en avant le fait que ce film raconte la jeunesse coréenne révoltée qui essaie de trouver un échappatoire. Quand j’ai vu le film, je n’étais pas forcément d’accord, et beaucoup de personnes de mon entourage non plus : il y a effectivement une lourdeur dans la société actuelle mais de là à tuer quelqu’un ou à faire des actes extrêmes… Je me suis posé la question : pourquoi Lee Chang-dong perçoit-il la jeunesse coréenne de cette manière-là ? Je suis assez mitigée sur le portrait qui est fait de la jeunesse coréenne.

Nous demandons à chaque cinéaste que nous rencontrons de nous parler d’une scène d’un film qui l’a particulièrement touché, fasciné, marqué et de nous la décrire en nous expliquant pourquoi.

Quand j’étais jeune, j’ai vu Les Évadés [de Frank Darabont, avec Tim Robbins et Morgan Freeman] sur une copie VHS de très mauvaise qualité. La cassette s’est arrêtée juste au moment de l’évasion, je n’ai pas pu voir la scène finale. Je me suis demandé pendant très longtemps comment le film se terminait. Quand j’ai eu de l’argent de poche, j’ai couru au magasin de vidéo pour acheter le DVD. J’ai donc pu voir voir la scène finale du film.

Propos recueillis par Marc L’Helgoualc’h à Paris le 03/11/2018.

Traduction : Ah-ram Kim.

Remerciement : Maxime Laurent, Marion Delmas, ainsi que toute l’équipe du FFCP.

A Haunting Hitchhike de Jeong Hee-jae (2017). Projeté lors de la 13e édition du Festival du Cinéma Coréen à Paris.

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