Retour sur Nameless Gangster, à l’occasion de sa projection le vendredi 23 novembre au Centre Culturel Coréen de Bruxelles qui accueille en ce moment la 4e édition du Festival du Film Coréen et les raisons pour lesquelles il ne faut pas rater ce polar coréen en clôture.
Dès le début du métrage, ce dernier déploie des thématiques prouvant les inquiétudes de la Corée du Sud envers la criminalité. Tout comme dans L’Ivresse de l’argent ou encore New World, pour ne citer qu’eux, les médias s’inquiètent de la montée en puissance de la corruption et du crime organisé. Ces deux problèmes dressent un panorama effrayant du pays. La police décide donc de lancer un énorme coup de filet pour arrêter un des plus puissants gangsters de la ville, incarné par Choi Min-sik.
Nameless Gangster déploie alors sa narration déstructurée, pour nous présenter ce personnage, et le résultat s’avère déstabilisant. Choi Min-sik, immense acteur, fait montre ici d’un très grand talent à dépeindre ce personnage au-delà du bien et du mal, ce gangster qui n’en est pas un. Car, au début de cette fresque, versant dans un humour un peu grotesque qui colle bien aux personnages pathétiques, le protagoniste principal n’est qu’un petit agent des douanes corrompus. Licencié, il tombe par hasard sur un gros stock de drogue, et décide de s’associer à un gangster pour l’écouler.
C’est alors que la thématique la plus importante du métrage se livre aux yeux du spectateur, l’importance de la famille, des contacts. Les protagonistes tiennent pour importantes les branches de la famille, les lignées, et notre petit héros va parvenir à gravir les échelons et à devenir un personnage puissant, dangereux et arrogant, grâce aux membres de sa famille étendue, et à ses contacts. Du côté des gangsters, le spectateur découvre l’importance de l’honneur, des règles. Ainsi, le gangster allié à Choi Min-sik ne peut agir contre un ancien acolyte que s’il a un très bon prétexte, car il irait à l’encontre des règles. Yun Jong-bin, réalisateur et scénariste de ce film, s’attelle à confronter les deux, à les faire évoluer côte à côte jusqu’à un fatal point de rupture. Car Choi Min-sik incarne une version moderne d’Icare, qui à s’élever dans un monde dont il ne connaît pas les codes mais auquel il pense pouvoir appliquer les siens, finira par se brûler les ailes.
Nameless Gangster est aussi un instantané des années 80. Recréée assez fidèlement, l’époque effraie par sa manière de ne pas gérer une corruption devenue tellement importante qu’il n’est même plus nécessaire de la dissimuler, ou par le comportement des forces de l’ordre, tellement similaire aux gangsters qu’il est presque difficile de déterminer qui est qui. Ainsi, le procureur acharné est presque plus violent que le gangster allié aux yakuzas. Cela permet aussi au réalisateur/scénariste de parler d’émeutes, qui servent le propos du film en accentuant l’insécurité de l’époque. Dans ce panorama, le réalisateur nous conte – avec une caméra des plus neutre, se refusant de juger son personnage – l’évolution de ce « chacal », comme il est appelé car il n’est ni un honnête homme, ni un criminel, qui finit par se comporter comme dans un film de Martin Scorsese, la caméra provoquant un ralenti sur la démarche de Choi Min-sik et de ses compagnons criminels, musique entraînante en sus. Mais ce n’est pas tant pour « coolifier » le hors-la-lois que pour souligner l’état d’esprit du personnage principal, qui refusera de comprendre les avertissements donnés par les diverses personnes qu’il côtoie quant au retour de bâton qu’il risque.
Si le film n’est pas très sanglant dans l’ensemble, c’est pour mieux surprendre le spectateur par des éclairs d’une violence sèche, sauvage, qui tétanisent, rappelant que, bien que détendu et calmes, les criminels sont des êtres dangereux. Cela permet aussi au réalisateur d’insister sur la différence entre le chacal, qui se croit toujours supérieur, s’énerve et insulte facilement – tel un petit chien devant aboyer pour être impressionnant – et les véritables criminels qui ne réagissent que quand c’est nécessaire, déployant une violence aussi intense que le calme qui l’a précédé.
Nameless Gangster est un film fascinant, à la réalisation toujours juste, qui dépeint une époque trouble, et un parrain du crime des plus atypique. Le réalisateur ne fait aucune concession, n’excuse jamais ses personnages, et ce jusqu’au dernier plan, d’une justesse thématique des plus fascinante.
Nameless Gangster de Yun Jong-bin. Corée. 2012. Présenté dans le cadre de la 4e édition du Festival du Film Coréen (Centre Culturel Coréen de Bruxelles) le 23/09/2016.