L’Étrange Festival 2016 : entretien avec Adam Tsuei pour The Tenants Downstairs

Posté le 1 octobre 2016 par

Cette année à L’Étrange Festival nous avons pu nous entretenir avec Adam Tsuei, une personnalité atypique dans l’industrie du cinéma taïwanais. Ce cinéaste d’une cinquantaine d’années a eu auparavant une autre carrière des plus fructueuses dans l’industrie du disque. Il est le responsable du lancement de carrières de stars de la musique aux succès colossaux tels que Jay Chou (Initial D, The Green Hornet) qui a vendu plus de 30 millions d’albums dans les pays en langue chinoise. D’abord producteur de quelques succès cinématographiques locaux, il est venu à Paris présenter The Tenants Downstairs, son premier long métrage en tant que réalisateur, un film d’horreur teinté d’humour noir qui rappelle les grandes heures de la Category III.

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Vous avez un parcours professionnel des plus atypiques. Pouvez-vous nous dire quelques mots sur vos choix de carrière ? Et qu’est-ce qui vous a conduit vers l’industrie du cinéma ?

Avant de diriger ma propre société de production cinématographique, Amazing Films Studio, j’ai été responsable du territoire chinois pour le groupe Sony Music qui regroupe les territoires de la Chine, Hong Kong et Taïwan. Auparavant, j’ai occupé pour la maison d’édition musicale BMG le poste de directeur des responsables de groupes musicaux. Et avant cela, j’ai travaillé pendant quelques années pour des chaînes de télévision. J’ai toujours officié dans l’industrie du divertissement. Si j’ai quitté mon poste chez Sony Music, c’est en raison du succès inespéré de You are The Apple in my Eye de Giddens Ko dont j’étais le producteur exécutif. Ce film fut le blockbuster n°1 à Taïwan en 2011. Il a eu un énorme succès dans tous les pays en langue chinoise. Il a atteint la somme de 1,4 milliards de dollars taïwanais de bénéfices. A cette époque, toutes les majors musicales telles que EMI Universal, Warner, Sony Music et les autres souffraient de graves problèmes financiers en raison du piratage et de la disparition des supports physiques de lecture. Cela n’intéressait plus le public. Ce sont les deux raisons principales qui m’ont conduit à créer ma société de production. Pour les deux films suivants, j’ai occupé le poste de producteur : Tiny Times (2013) de Guo Jimgming, produit en collaboration avec la Chine et Café, Waiting, Love de Chiang Chin-lin, sorti il y a deux ans. Les trois films ont eu beaucoup de succès en salle en Asie. The Tenants Downstairs est mon premier long-métrage en tant que réalisateur. Autant que je me souvienne, j’ai toujours souhaité devenir cinéaste. Durant les deux dernières décennies, mon travail ne m’a pas laissé le temps de franchir le cap. Une opportunité s’est présentée il y a deux ans de cela et mon emploi du temps me le permettait. The Tenants Downstairs, écrit par Giddens Ko, est le plus gros succès littéraire en Asie de ces dix dernières années. C’est ce qui a motivé mon choix pour réaliser mon premier film.

Depuis vos débuts dans l’industrie cinématographique, vous travaillez régulièrement avec le romancier Giddens Ko dont vous avez produit le premier film et adapté d’autres de ses livres. Comment l’avez-vous découvert et comment est née cette fructueuse collaboration ?

Je dois cette rencontre à l’une de mes collaboratrices, Angie Chai. C’est une productrice de renommée internationale qui travaille à Taïwan et dans les pays sinophones. Je me souviens bien, c’était il y a dix ans de cela, nous étions à la recherche d’un bon scénariste pour un drama télévisé. Giddens Ko nous a proposé d’adapter l’un de ses romans. En le lisant, j’ai tout de suite compris qu’il était très doué. Nous l’avons donc engagé comme scénariste exclusif. Deux ans plus tard, il est venu me voir avec son livre You are the Apple in my Eye, affirmant qu’il souhaitait l’adapter lui-même au cinéma. A cette époque, les budgets étaient en encore raisonnables, cela dépassait à peine le million de dollars. Nous avons décidé d’investir dans ce projet et le retour financier fut énorme en raison de son succès. Cela m’a encouragé à créer non seulement ma société de production et à continuer cette collaboration. Depuis, nous nous connaissons très bien, et c’est quelqu’un de très encourageant. Je vous donne un exemple : il y a deux, je lui ai émis le souhait d’adapter son roman The Tenants Downstairs. Or à cette époque, il était débordé de travail et ne pouvait s’investir dans la transposition de son œuvre sur grand écran. Et quand je lui ai confié que je n’avais pas trouvé de scénariste à la hauteur, il s’est proposé de le faire, par amitié. Son implication dans ce projet est l’autre raison qui m’a poussé à le réaliser. Nous nous soutenons mutuellement.

Vous avez donc choisi l’un de ses romans comme base pour votre première réalisation. Qu’est-ce qui vous a séduit dans cette histoire ?

Je pense sincèrement que ce qui m’a séduit dans le roman de Giddens Ko est qu’il a mis beaucoup de lui-même dans cette histoire. Chaque personnage a deux dimensions, l’être et le paraître. Tout comme moi en ce moment, je vous montre mon visage public, je me comporte bien, je fais bonne impression. Une fois seul dans ma chambre, à l’abri des regards, je peux laisser libre court à ma personnalité. Vous n’avez aucune idée de la personne que je suis en réalité. Le personnage interprété par Simon Yam observe la vie intime de ses locataires au travers des écrans de télévision. C’est une source d’histoires passionnante. Tous les êtres humains, vous comme moi, désirons assister à des choses que les autres ne peuvent pas voir. C’est selon moi l’essence même du roman.

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Comment vous y êtes-vous pris pour transposer cette histoire à l’écran ?

Si vous comparez le livre originel et mon film, tous les éléments de base sont présents. Le personnage du propriétaire des lieux et les locataires, ils sont tous là, et sont sensiblement les mêmes. La seule partie que j’ai retirée par rapport à l’original a été motivée en raison du pouvoir de suggestion des images. Dans le film, l’impression est plus directe que dans un roman. Si vous vous souvenez bien du film, il y a le locataire M. Wang et sa petite fille. Dans le roman il va jusqu’au bout de ses fantasmes. Quand j’ai réalisé le film, j’ai décidé de ne pas en montrer autant. Je pense que le public, et plus particulièrement le public sinophile, aurait eu beaucoup de mal à accepter de voir une scène si choquante. J’ai préféré la suggérer.

Vous êtes-vous inspiré de films de Category III et du genre Ero guro ? Si oui, quelles ont été vos influences ?

Pour être tout à fait honnête, je ne me suis inspiré d’aucuns films japonais. Les histoires décrites le sont d’après mes propres observations et ma sensibilité propre.

Pourtant, en voyant votre film, on ne peut s’empêcher de penser à Audition de Miike Takashi, et de la similarité entre les deux personnages féminins.

C’est vrai ? On a en effet comparé mon film avec d’autres, mais je n’ai pas utilisé de films comme références pour réaliser le mien.

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Est-ce que ce genre de films est populaire à Taïwan ? Et fut-il difficile à produire ?

Oui, en effet, c’est compliqué de produire de tels films à Taïwan, et ils sont très rares. J’ai eu beaucoup de problèmes avec l’équipe du film à Taipei. Il est très difficile pour eux de s’adapter à ce type de production. Ils tentaient à me dissuader de tourner certaines scènes qu’ils jugeaient trop choquantes et qui les mettaient mal à l’aise.

Avez-vous eu des problèmes avec la censure ?

Je n’ai pas eu de problème à Taïwan ni à Hong-Kong, il n’y a pas de problèmes de censure là-bas. Les films sont juste classés suivant leurs contenus. En revanche, j’ai eu des problèmes en Malaisie et en Chine. Nous avons monté une version soft pour le public chinois. En Malaisie par contre, nous avons dû retirer certaines scènes.

L’introduction du film est limpide. Vous décrivez la topographie du bâtiment comme les entrailles d’un personnage. Quelles étaient les difficultés pour représenter ce lieu à l’écran ?

Vous avez raison, je souhaitais montrer au public où se situait le bâtiment. C’est un élément primordial pour comprendre l’une des scènes du film. A un moment, on voit le propriétaire interprété par Simon Yam avoir une longue discussion sur le toit avec l’une de ses locataires. On distingue l’océan dans le fond de l’image. On devine alors que cette scène se passe dans l’imaginaire du personnage, elle est fantasmée, et que le personnage se parle à lui-même.

Le bâtiment en lui-même peut apparaître un peu étrange. Il est important, quand on réalise ce genre de film, de créer une atmosphère mystérieuse. On peut considérer ce lieu tel un personnage à part entière dans le récit.

Vous avez un casting de premier choix. Simon Yam dans le rôle principal était-il évident pour vous ? Comment s’est déroulée votre collaboration ?

Je connais Simon depuis plus de 10 ans déjà, c’est un ami proche. Il était mon choix idéal, et ce, dès le début du projet. Et je n’imagine pas un acteur meilleur dans ce rôle. C’est un acteur très talentueux, de première classe !

Comment êtes-vous parvenu à mélanger les scènes d’horreur, d’érotisme et d’humour noir ?

Apporter des éléments comiques est très important dans le cinéma asiatique, et cela compte beaucoup pour le public taïwanais. L’une des forces du scénario adapté par Giddens Ko est de ponctuer la violence avec des dialogues teintés d’humour. Et j’ai fait en sorte de bien les restituer à l’écran. J’ai dit à mon scénariste que je souhaitais traiter l’histoire sous un angle personnel, me comporter comme un vilain garçon. Je voulais créer des ambiances narratives originales. Je ne voulais pas m’enfermer dans les carcans du genre horrifique. J’ai cherché à alterner les scènes d’horreur, le sexe et les ruptures comiques. Je ne souhaitais pas limiter le public à la simple émotion de peur et de tension devant le film. J’ai essayé de trouver le juste équilibre entre ces trois éléments.

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Le personnage de Chang Ying-ru est perturbant. Avez-vous pris des libertés sur le personnage par rapport au roman ? Quelles étaient vos exigences aux moment des auditions, et comment s’est passée votre collaboration avec son interprète Ivy Shao ?

Le personnage de Ying-ru était déjà tout aussi angoissant dans le roman, et dans le scénario adapté par Giddens Ko, et elle était aussi importante dans le récit que le personnage du propriétaire. Pour le film, je voulais qu’elle soit à la fois terrifiante et assez mignonne. Je voulais que le public masculin ressente une forme d’attirance pour elle. C’est la raison pour laquelle j’ai choisi cette actrice Ivy Shao. Je trouve qu’elle a cette particularité d’être à la fois extrêmement charmante et effrayante. Je l’ai dirigée pour toutes ces scènes de tortures en lui indiquant qu’elle devait opérer comme si elle pratiquait une cérémonie. Peu importe l’aspect religieux, je voulais qu’elle ait cette forme de solennité. Par exemple, quand elle s’apprête à tuer les victimes, elle se déshabille et enfile cet imperméable blanc transparent. Je voulais créer ce sentiment ambigu d’un personnage à la fois sexy et monstrueux, et que les spectateurs se sentent partagés entre attirance et effroi.

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N’aurait-il pas été préférable d’être moins explicite dans la résolution de l’intrigue ?

Cela a été une très longue discussion de savoir si l’on devait ajouter ou pas ces plans. Je savais que pour les spectateurs occidentaux et de festivals, nous n’avions pas besoin d’être si précis. Je ne voulais pas que les versions taïwanaise et internationale soient trop différentes. J’ai retiré une partie de la résolution qui est dans le montage d’origine, mais j’ai souhaité conserver quelques plans de flashbacks. Les spectateurs du monde chinois et les Taïwanais en particulier aiment voir des films très clairs à la fin desquels on a tout compris. Le montage est donc plus long.

Quels sont vos futurs projets ?

J’espère dans l’avenir réaliser un film tous les deux, trois ans.

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Propos recueillis par Martin Debat à l’Étrange Festival 2016.

Crédits photos : © Fred Ambroisine

Un grand merci à l’interprète Wafa Ghermani et aux attachés de presse du festival, Xavier Fayet et Estelle Lacaud pour leur disponibilité et leur patience.

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