En attendant Cannes : Tout sur Shin Su-won (réalisatrice de Madonna)

Posté le 9 mai 2015 par

Un Certain Regard accueille la jeune réalisatrice coréenne, qui apportera très certainement du sang neuf à à l’édition 2015 du Festival de Cannes avec Madonna. En attendant de découvrir son nouveau film, retour avec la cinéaste sur son précédent opus, le très réussi Suneung sorti en salles le 9 avril 2014.

Suneung de Shin Su-won : la tête dans les étoiles

Avant que tout commence, un message s’inscrit sur l’écran. Les derniers mots d’un lycéen avant son suicide nous contemplent brutalement. Dénonçant froidement un système qui lui met une pression inhumaine afin de réussir sa scolarité et de décrocher une bonne place au Suneung, l’examen qui classe tous les étudiants coréens à la fin de leur scolarité et décide de leur avenir, le texte semble figer le film qui va suivre dans le terrifiant constat qu’il dresse de l’éducation en Corée. Le générique de fin bouclera cette inscription dans le réel le plus brut en présentant des images documentaires du jour du fameux Suneung. Ainsi, le fait divers dont on est parti, médiatisé par le récit fictionnel au cœur du film, résonne dans une réalité plus globale : un constat sans appel sur l’ensemble de la société coréenne, et la manière dont elle sacrifie sa jeunesse sur l’autel d’une réussite sociale illusoire.

Et pourtant, Suneung, malgré ses aspirations de film à charge, n’est pas que ça. Son parcours entre le fait divers et la dénonciation finale, accentué par le fait que sa réalisatrice, Shin Su-won, était elle-même enseignante et a vu par expérience les dérives du monde éducatif coréen, n’est pas une ligne droite, mais emprunte un chemin sinueux, fait d’aspérités, de fausses pistes, de déambulations plus libres. La construction toute en flashbacks, l’enquête nous menant peu à peu vers une résolution dont la première piste est bien évidement fausse, participent à cette ouverture du film, mais c’est surtout une forme de distorsion entre les enjeux réalistes et les aspirations plus métaphysiques de l’œuvre qui le rendent si passionnant.

Dès le début, la réalisatrice nous présente le meurtre d’un étudiant en variant les régimes d’images : celles, volées par le(s) tueur(s)avec leur téléphone portable (degré le plus immédiat de l’image réaliste) se superposent à celles, très soignées, très cadrées d’une fiction policière ou d’un drame scolaire, qui domineront pendant le reste du film. Mais surtout, un plan échappe totalement à l’enracinement réaliste du film : la caméra se rapproche de l’œil de la victime, qui nous livre ses dernières pensées en mettant en image le vide cosmique qui entoure Pluton. Ce court voyage dans le vide de l’espace n’est pas si innocent que cela : les planètes, dont on discute la place centrale, leur mort, dont personne ne perçoit le dernier souffle, font écho aux préoccupations des adolescents qui traversent le film. Eux aussi, malgré eux, sont mis au centre d’un univers, et cette place même les détruit, alors qu’une indifférence généralisée les entoure jusqu’à leur mort. La force du film est, par ces quelques images, d’inscrire des préoccupations purement sociétales dans une perspective universelle aux accents métaphysiques, et d’échapper à son programme de fiction engagée.

Suneung-DVD

Ses protagonistes, à l’inverse, sont condamnés par la mise en scène à un enfermement tragique. Conscient peu à peu que le système coréen ne fait que reproduire les classes sociales dont sont issus les élèves avec une quasi impossibilité d’ascenseur d’un milieu à l’autre, les personnages rêvent d’ailleurs mais voient leur horizon se refermer progressivement. C’est également le sens de cette échappée vers Pluton juste avant la mort : ouvrir des perspectives vers l’infini, contempler un ailleurs, échapper à un avenir qu’on leur a déjà tout tracé. Le film est d’une lucidité et d’un pessimisme sans faille : le personnage principal cherche par tous les moyens à rejoindre l’élite de son école, mais le cadre ne fait que se refermer autour de lui à mesure que ses tentatives échouent. Des plans larges du début du film, des quelques échappées à l’extérieur, il ne reste rien dans un final entre quatre murs, se déroulant entièrement dans une cave, dont la lumière disparaît progressivement à la faveur d’une éclipse. Le soleil ne brille plus, l’écran se fait noir, mais au moins, le spectateur a pu entendre s’éteindre les planètes, en plongeant dans le trou noir qu’est Suneung.

Entretien avec la réalisatrice Shin Su-won

Pouvez-vous présenter votre parcours aux spectateurs qui découvre votre cinéma avec Suneung ?

J’ai commencé ma carrière en tant qu’enseignante pendant 9 ans. Durant cette période, j’étais spectatrice et je n’imaginais pas du tout réaliser un film. Je m’intéressais davantage à l’écriture. Donc, en 2000, je me suis posée et j’ai consacré mon temps à l’écriture. J’ai alors commencé un cursus pour apprendre à écrire des scénarios. J’ai ensuite tourné un court-métrage qui était très mal réalisé, mais ce tournage a été une très belle expérience et, surtout, un élément déclencheur. J’ai été bluffée par la supériorité de l’image sur le texte dans le cinéma. Cela m’a rappelé la passion que j’avais, petite, pour le dessin et la peinture.

J’ai commencé en tant que scénariste mais j’ai eu du mal à trouver un réalisateur. Donc, au bout d’un moment, j’ai décidé que j’allais mettre en scène mon scénario. J’ai préparé la réalisation pendant 5 ans sans trouver d’investisseur. Du coup, j’ai investi mon propre argent et ai décidé de produire ce qui est devenu mon premier long métrage, Passerby #3 (2009). Heureusement, j’ai par la suite rencontré des producteurs !

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D’où vient l’idée et l’envie de réaliser Suneung ?

J’ai eu cette idée très tôt, en 2000, mais à cette époque, je voulais plutôt publier un roman de science-fiction. Finalement, je me suis dit que réaliser un film sur ce sujet était une bonne idée. J’ai laissé le projet de côté pendant un moment parce que je savais qu’il faudrait beaucoup de moyens pour financer ce film. Après le tournage de Passerby #3, j’ai rencontré des producteurs et ai donc pu réaliser Suneung.

Suneung

Le film commence par une lettre d’un lycée s’étant suicidé et se termine avec des images d’archives du « suneung ». Comment êtes-vous passée d’un projet de science-fiction à quelque chose d’extrêmement ancré dans le réel ? Pourquoi cette inscription réaliste est si importante dans le film ?

Le côté réaliste du film a été influencé par mes propres expériences en tant qu’enseignante. J’ai assisté à la destruction mentale des élèves soumis à une compétition infernale. Ce vécu ne pouvait qu’ancrer mon film dans la réalité. Puis un jour, alors que je marchais dans la rue, quelqu’un m’a parlé de l’éviction de Pluton du système solaire. J’y ai vu un parallèle avec la vie des lycéens.

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Votre expérience d’enseignante dans les années 1990 vous a aidé pour écrire le film. Avez-vous adapté des éléments pour que l’histoire reflète la Corée de 2010 ?

Quand j’enseignais, il n’y avait pas encore ce système de points attribués aux élèves. Maintenant, il ne suffit plus d’avoir de bonnes notes. Certains enseignants proposent de l’assistanat et si on le suit, on a des points supplémentaires. J’ai donc ajouté cet élément.

J’ai aussi rencontré des lycéens très doués dans une discipline mais pas dans d’autres. J’ai ainsi rencontré un lycéen qui a fabriqué lui-même une crème pour l’acné. Mais ces étudiants n’ont pas de bonnes notes et sont ignorés. Pourquoi doit-on être doué dans tout ? Pourquoi ces lycéens qui ont un talent sont forcément ignorés ?

Il y a beaucoup d’éléments dans le film tirés de mon expérience. J’ai enseigné à la fois dans une école d’un quartier pauvre et dans une école d’un quartier bourgeois. J’ai vu des différences très nettes entre ces écoles. Mais ayant démissionné avant de réaliser Suneung, j’ai rencontré beaucoup de monde pour savoir comment se déroulait la vie d’un lycéen d’aujourd’hui. Et c’est comme cela que j’ai découvert le système du « top 10 » des élèves.

Comment le film a-t-il été reçu par les lycéens et par le système éducatif coréen ?

Après la première séance, un lycéen de 1ère est venu me voir en pleurs et m’a dit que c’était son histoire ! Il m’a expliqué qu’il était dans une école où il y avait une classe pour les 10 premiers élèves et que les élèves moins bons ne pouvaient plus travailler à l’internat à partir de minuit puisque la lumière était éteinte. J’en ai été très étonnée car, pour moi, cet élément était purement fictif !

J’ai reçu beaucoup de témoignages, souvent plus extrêmes que ce qui se passe dans Suneung. Par exemple, des écoles où les meilleurs élèves mangent en premier, avant tous les autres.

Le film bifurque aussi vers le cinéma de genre, notamment vers le thriller et l’enquête policière. Est-ce que le film de genre vous semblait être un vecteur intéressant et important pour faire passer votre message sur le système éducatif coréen ?

On me demande souvent cela. C’est vrai que je regarde beaucoup de films de genre. Par contre, je n’avais pas envie de réaliser un banal film de genre mais plutôt de mélanger réalisme et film de genre. Les deux se sont croisés naturellement.

Puisque vous avez vu beaucoup de films de genre, en avez-vous vu qui traitent de la violence du système éducatif afin de préparer votre film ?

J’ai été inspirée par Orange Mécanique de Stanley Kubrick et Elephant de Gus Van Sant car ils illustrent l’aptitude des jeunes à sombrer dans le mal. Quand j’enseignais, je sentais le potentiel de violence et de cruauté chez les élèves et je voulais le montrer.

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Hier, on a vu Han Gong-ju (A Cappella) qui traite de thématiques assez proches. L’avez-vous vu ?

Ce film traite d’une histoire très grave puisqu’il s’agit d’un viol collectif. Mais, pour moi, ce n’est pas très choquant parce que j’ai déjà entendu ce genre d’histoire et surtout, j’ai vu ces actes quand j’enseignais. Dans une classe, il y a toujours un souffre-douleur. Une fois, j’ai entendu qu’un garçon, qui était le souffre-douleur de sa classe, a été amené dans un endroit isolé et a du se masturber devant les autres.

J’ai beaucoup aimé l’actrice principale (Chun Woo-hee) de Han Gong-ju, qui joue très bien. J’ai été très touchée par la fin du film.

Comment avez-vous choisi les acteurs qui jouent les lycées dans Suneung et comment les avez-vous dirigés ?

J’avais beaucoup aimé David Lee dans son rôle dans Poetry de Lee Chang-dong. Je ne voulais pas choisir un acteur débutant pour le rôle principal, celui de Kim Joon, dans Suneung donc j’ai choisi David Lee. Pour le rôle de Yoo-jin, j’ai choisi Sung Joon car j’aimais beaucoup son visage qui est à la fois sombre et mélancolique.

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Pour les autres rôles, j’ai organisé une audition. Aucun acteur n’est un adolescent, sauf David Lee (Kim Joon dans le film) qui est en classe de terminale. Puisque tous les autres acteurs étaient débutants, je les ai choisi par rapport à leur image. Les diriger à été un peu compliqué puisqu’ils n’avaient pas beaucoup d’expérience. Mais, en même temps, puisqu’ils étaient débutants, ils avaient de la personnalité, apprenaient très vite et absorbaient tout ce que je leur disais. Par contre, ils n’étaient pas habitués à être devant une caméra et avaient du mal à tourner des scènes courtes. Donc je laissais tourner la caméra pendant longtemps pour qu’ils s’habituent.

Il y a une différence entre le montage coréen et le montage français. Quelles sont les coupes que vous avez effectuées et pourquoi ?

La seule grande différence, c’est le début du film. Il y a des images d’archives dans l’épilogue de la version française qui se trouvent dans le prologue de la version coréenne. Certaines scènes ont aussi été un peu raccourcies. Dans la version originale, il y a davantage de passages entre les scènes au présent et les flashbacks.

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Interview réalisée par Victor Lopez le 8 mars 2014 et retranscrite par Elvire Rémand.

Merci à Céline Petit et Clément Rebillat, ainsi qu’à toute l’équipe du Public Système Cinéma pour l’organisation de l’entretien.

Suneung de Shin Su-won, disponible en DVD chez Dissidenz Films.

Madonna sera présenté à Cannes 2015 dans la sélection Un Certain Regard.

Victor Lopez.