VIDEO – Second Life de Park Young-ju

Posté le 16 août 2025 par

Variation sur le thème du mal-être adolescent, Second Life propose un regard à la fois sensible et âpre sur le sujet à travers le parcours d’une jeune fille en quête d’identité, au sens propre comme au figuré. Premier long-métrage de Park Young-ju, il a été présenté au Festival du Film Coréen à Paris en 2019 et on peut désormais le retrouver en Blu-ray chez l’éditeur Badlands. Film par Claire Lalaut ; Bonus par Elvire Rémand.

Le film suit Sun-hee, une adolescente introvertie que personne ne remarque dans son lycée. Aisés, ses parents eux aussi se désintéressent d’elle, trop occupés par leurs activités professionnelles et leurs problèmes de couple. Après un drame, la jeune fille décide de s’enfuir et de commencer une nouvelle vie, différente, sous un nouveau nom.

Second Life s’ouvre sur le personnage principal, jeune lycéenne qui regarde des camarades de classe apporter un gâteau d’anniversaire à leur amie. Le groupe rit aux éclats lors cette petite fête improvisée tandis que Sun-hee regarde la scène, invisible malgré la faible distance qui la sépare des autres jeunes filles. Le moment, a priori anodin, prend toute la place dans l’esprit de Sun-hee, tant il la renvoie à sa propre solitude. En une scène, Park Young-ju installe l’atmosphère d’un long-métrage qui, tout du long, frappe par sa précision et sa concision dans le traitement de l’histoire racontée. Il n’est pas rare que les premiers films pèchent par la tentation de trop vouloir en dire et en faire : avec un film d’une toute petite durée (1h10), la jeune réalisatrice résiste à toutes fioritures éventuelles et va droit au but sans pour autant sacrifier quoi que ce soit en poésie ou en contemplation. L’émotion que l’on ressent alors devant le parcours de cette adolescente en manque d’amour, qui ne semble pas trouver d’issue à son mal-être et court sans cesse après ce qu’elle souhaiterait être, est alors immédiate et brute.

Au-delà de ces qualités indéniables, le film comporte plusieurs défauts. D’une part, la forme, consciemment très sobre et minimaliste, tire encore un peu trop vers le court-métrage. Il y a une certaine frilosité dans la mise en scène là où elle aurait nécessité davantage d’ampleur et d’un style plus affirmé. D’autre part, les adultes de l’histoire sont un peu trop caricaturaux, entre les riches parents négligents et la modeste directrice bienveillante. Les événements se déroulant du seul point de vue de l’adolescente, le choix est compréhensible mais il enlève un niveau d’ambiguïté entre le réel et le perçu qu’il aurait été intéressant d’explorer. Ceci est d’autant plus dommage que ce motif dispose d’un excellent traitement dans le cadre des rapports amicaux de la jeune fille dans chacune de ses « deux vies ». On pardonne néanmoins aisément ces quelques maladresses, la réalisatrice faisant par ailleurs preuve d’une sensibilité et d’une maturité tout à fait remarquables pour sa première tentative.

De La Frappe de Yoon Sung-hyun à After my Death de Kim Ui-seok, le thème du mal-être adolescent est un des sujets de prédilection du cinéma indépendant coréen. De prime abord,  Second Life semble suivre les traces de ses prédécesseurs en mettant la cellule familiale et l’école au centre du malaise du personnage. Le film prendrait alors la forme de chronique ordinaire d’une adolescente se débattant avec les circonstances de son milieu et les attentes académiques et sociales qui pèsent sur elle, si ce n’est pour le désespoir subtilement malaisant instillé dès les premières séquences. Rapidement, et à la faveur d’un retournement scénaristique finement amené et d’une grande violence,  le film sort de son cadre de départ. Au lieu de subir ses circonstances, l’adolescente choisit de clairement les rejeter pour recommencer sur de nouvelles bases. Par désespoir, lâcheté ou crainte, ceci ne sera jamais réellement éclairci et le film maintient d’ailleurs une certaine ambiguïté sur l’état psychique réel de la jeune fille pour laisser le spectateur libre d’interpréter les décisions de Sun-hee comme il le ressent. Récit de dés-apprentissage, le film devient alors un conte tragique sur la réinvention et son impossibilité.

La mise en scène atmosphérique accompagne ce virage par des changements de lumière et de texture. Ainsi, la première partie du film dispose d’une lumière naturelle assez froide avec des dominantes de tons noirs et bleus. En comparaison, une lumière plus solaire éclaire la seconde partie dans laquelle des couleurs plus vives sont introduites (rouge de la parka de l’héroïne). La scène de transition entre les deux mondes, dans laquelle l’héroïne s’avance dans un lac comme pour mettre fin à ses jours, est filmée d’une manière quasi-fantasmatique qui fonctionne bien avec la touche de symbolisme (le personnage renaît littéralement et métaphoriquement) et de poésie (ce qu’elle trouve est comme un rêve devenu réalité) qu’induit ce passage de Sun-hee à Seul-ki. Vissé au regard et aux perceptions visuelles et émotionnelles de la jeune fille, Second Life s’impose comme une observation des successions de moments qui vont influer sur ce qu’on est et ce qu’on choisit d’être. Or, à un âge où chaque difficulté semble plus insurmontable et chaque joie plus intense, cette somme de petits détails crée des séismes et peut mener aux actions les plus extrêmes et aux blessures les plus profondes. Dans cette recherche effrénée d’une vie de substitution, une « seconde vie », l’éclosion est de courte durée et, si le personnage se nourrit de de cette période d’épanouissement, elle se heurte à l’implacable constat que l’on ne peut effacer ce qu’on est, pas plus que les erreurs commises et les expériences vécues. Si Second Life laisse brièvement espérer un dénouement heureux pour la jeune protagoniste, la mélancolie lancinante reprend le dessus et la réalité ses droits. Le film s’y confronte frontalement, sans pathos ni minimisation, dans une scène finale poignante qui voit la protagoniste fuir vers ce qui sera peut-être sa troisième vie. La troisième parmi des milliers d’autres peut-être.

Un long-métrage aussi dépendant de la force de son personnage nécessitait une interprète capable de retranscrire toutes les étapes émotionnelles traversant le récit. La toute jeune Jung Da-eun se révèle plus qu’à la hauteur de la tâche et propose une composition formidable pour ses 18 printemps. S’adaptant à chaque situation avec une grande précision de jeu, elle nous présente une Sun-hee recroquevillée sur elle-même, dont chacun des regards semble se raccrocher à la moindre attention. Inversement, elle se métamorphose dans la seconde partie, s’illumine totalement, affirme son regard et sa posture, semble devenir femme quand on voyait jusqu’ici une petite fille. De l’ombre à la lumière, la palette d’émotion déployée par la jeune comédienne dans ce rôle, qui oscille constamment entre innocence et vulnérabilité d’un côté, et immaturité revancharde de l’autre, sublime de nombreuses scènes. Malgré un casting secondaire sans faute, elle est la raison majeure de la réussite du film qui tient sur ses frêles épaules.

Second Life est le film de fin d’études de Park Young-ju, fraîchement diplômée de la Korea National University of Arts. La réalisatrice est depuis un des espoirs de la nouvelle vague du cinéma coréen qui voit de plus en plus de films mis en scène par des femmes.

BONUS

L’édition Blu-ray comprend un court livret rédigé par le spécialiste du cinéma coréen Bastian Meiresonne, qui prend la forme d’un court essai analytique, avec le didactisme qu’on lui connaît. Il y amène ses connaissances de la Corée pour que le spectateur français puisse bien saisir les enjeux du film. Une lecture indispensable pour comprendre ce film profondément ancré dans la culture coréenne.

La Corée au féminin (22min) : dans ce bonus vidéo, Bastian Meiresonne réalise un focus sur la vague des femmes cinéastes coréennes. Il rappelle que le cinéma coréen, bien que né en 1919, a dû attendre 1955 pour voir le 1er film réalisé par une femme, qui sera alors décrié et soutenu par à peu près… personne. D’autres femmes tenteront de se lancer dans la réalisation comme Choi Eun-hee, également actrice, soutenue par son mari Shin Sang-ok. Il faut véritablement attendre la fin des années 90 pour assister à l’émergence d’une vague de cinéastes coréennes mais ces dernières sont souvent cantonnées à des rôles subalternes ou ne réalisent qu’un seul film. Ce phénomène est soulevé par la réalisatrice Shin Su-won ; elle dénonce le manque de budget pour les femmes cinéastes. Dans la seconde moitié des années 2010, certains films de fin d’étude et des courts métrages, de très bon niveau et réalisés par des étudiantes, parviennent à faire le tour des festivals. La réalisatrice de Second Life, Park Young-ju, s’est justement faite remarquer par ses courts métrages. Et c’est en décrochant une bourse qu’elle a pu réaliser ce 1er long-métrage. Meiresonne revient également sur la thématique du harcèlement scolaire, traité dans beaucoup de films indépendants coréens au milieu des années 2010. Second Life le traite à la marge mais se base sur le milieu scolaire pour développer son propos. Le film s’intéresse plutôt au façonnement identitaire chez les adolescents, autre thème à la vogue dans les années 2010, car lié aux bouleversements de la société coréenne qui cherche elle-même sa propre identité.

La bande-annonce du film

Second Life de Park Young-ju. Corée. 2019. Disponible en Blu-ray chez Badlands