Okinawa International Movie Festival 2019 – Entretien avec Nakajima Sadao & Kora Kengo

Posté le 11 mai 2019 par

Nakajima Sadao est un cinéaste légendaire des grandes années 60-70 du studio Toei. Maître du chanbara, du film yazuka, mais aussi des productions érotiques de Toei, il compte parmi ceux qui ont fait des réalisations de l’ère Showa une des grandes aventures de l’histoire du cinéma. Kora Kengo, acteur contemporain, a tourné avec Aoyama Shinji, Hiroki Ryuichi, Takahata Isao, Anno Hideaki, Kore-eda Hirokazu. Il est également star de nombreux feuilletons télé au Japon. Rencontre avec Stephen Sarrazin lors de la 11ème édition de l’Okinawa International Movie Festival, où ils venaient présenter Tajuro Jun Aiki / Love’s Twisting Path (lire ici).

Nakajima-san, votre dernier film de fiction remonte à plus de vingt ans. Pourquoi avez-vous souhaité tourner celui-ci ?

N : Vous savez sûrement que le film de chanbara a connu ses débuts à Kyoto, le genre y est né. Les spectacles sur scène existaient déjà, et j’avais travaillé dans cet univers avant le cinéma. Ces spectacles étaient plus stylisés, j’aimais ces histoires mais je me posais déjà la question de comment les rendre plus réalistes, en particulier pour les scènes de combats. J’ai tourné des films de chanbara depuis les années 60 et cette préoccupation se trouve toujours au centre de mes films. Le genre a connu un déclin, traversé des périodes d’exagérations, par exemple le sang qui gicle lorsqu’un coup est porté, ou encore la surenchère esthétique des combats dans les films de Kurosawa Akira… Bref, j’ai voulu faire ce film pour restaurer une part de la mémoire du genre, pour un public actuel.

Connaissiez-vous l’œuvre de ce réalisateur avant d’accepter le rôle ?

K : Il a une œuvre importante, et j’avais vu quelques uns de ses films. Nakajima-san était également le maître d’œuvre d’un livre consacré à ce genre, dans lequel je me suis plongé et qui devint une référence. Le livre retraçait l’histoire du chanbara, les liens avec Kyoto, tout évoquant sa carrière au studio Toei. Ce fut indispensable pour comprendre sa façon de travailler, et sa vision du genre.

Votre filmographie révèle une sélection qui semble fondée sur des envies de tourner avec des cinéastes contemporains précis. Était-ce la première fois que vous tourniez avec un cinéaste de cette génération ?

K : Oui en effet. Nakajima-san est tout d’abord une légende des studios, il y a le poids de cet héritage, mais aussi sa manière de diriger les acteurs, l’équipe, qui est si différente des tournages contemporains. Chaque phrase, chaque mot est investi de ce qu’il compte obtenir. Le même mot n’aurait plus le même sens dans la bouche d’un autre cinéaste.

Ce qui frappe d’emblée en voyant votre film tient à combien il ne ressemble pas à un film contemporain. Votre esthétique y est, on reconnaît votre rythme, vos mouvements de caméra, vos raccords, tout cela est Toei des années 70, y compris la lumière. Le cinéma japonais n’a plus cette facture. Deviez-vous ‘apprendre’ à votre équipe comment en arriver à ce résultat ?

N : Non, je ne cherchais pas à enseigner, mais je donnais des indications précises et je veillais l’ensemble, puis je constatais que l’équipe y arrivait. Après toutes ces années, je sais ce que je veux, je n’ai jamais travaillé avec un storyboard par exemple, je travaille directement avec les gens. C’est l’occasion de nouvelles expériences, à commencer par travailler un acteur contemporain. Au Japon, la télévision produit des feuilletons historiques, des jidai-geki, dont le public est souvent plus âgé. Il y a des cas récents avec des idoles dans les rôles principaux… mais je me disais qu’il fallait à la fois rajeunir et redonner une crédibilité au genre avec un ‘acteur’ actuel.

Étiez-vous influencé par le jeu d’un des acteurs historiques du genre ou n’écoutiez-vous que les consignes du réalisateur ?

K : En préparation pour le film, j’ai regardé de nombreux chanbara et jidai-geki, mais je ne me suis pas appuyé sur le jeu d’un acteur en particulier, je ne voulais pas ‘citer’. Je mesurais cette chance d’être un débutant, de faire un tel film avec un maître du genre, et je m’en tenais à cette position. Etre à Kyoto avec le réalisateur Nakajima était un privilège. J’espère avoir d’autres occasions de tourner dans de tels films.

N : Kengo-san s’est entraîné pendant six semaines afin d’apprendre à manier un sabre, comment se déplacer dans des combats. La fonction principale tenait à comprendre comment donner les coups. Mais ce qui m’a surpris, et touché, de sa part fut sa requête à comprendre également comment recevoir les coups, à la fois avec le corps, mais aussi dans la psychologie du personnage.

Le combat dans la forêt de bambous était splendide et complexe. Elle scelle le destin du héros.

N : Cette séquence avait deux objectifs, tout d’abord d’accentuer le réalisme, nous témoignons de la fatigue de tous les personnages, entre la course et les coups. L’autre était pour le héros de faire durer le combat afin de permettre à la femme qu’il aime et son frère de fuir les hommes du shogun. Je souhaitais que le spectateur puisse comprendre l’effort d’étirer la séquence.

K : Nakajima filme tout cela de façon à exprimer une part de brutalité, d’épuisement. C’est très éloigné de l’élégance des combats que nous pouvons voir chez Kurosawa Akira, moins stoïque.

N : La grande différence tient à désir de ne pas recevoir les coups, à les fuir, plutôt que de les porter.

Propos recueillis par Stephen Sarrazin, Naha, avril 2019. Traduit du japonais par Fujio Matayoshi. 

Merci à Aki Kihara et Shizuka Murakami.

11th Okinawa International Movie Festival, du 18 au 21 avril 2019. Plus d’informations ici. 

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