Le Chat qui fume sort en édition Blu-ray, Running Out of Time, une des plus ludiques et attachantes réalisations de Johnnie To, au carrefour de plusieurs de ses classiques au sein de sa compagnie Milkyway.
Ancien capitaine des forces spéciales placardisé pour ses prises de risques en tant que négociateur, l’inspecteur Ho Sheung-sang est appelé sur le toit d’un immeuble à la suite d’un hold-up s’achevant en prise d’otage. En guise de revendication, le malfaiteur, cancéreux en phase terminale, invite Ho à un jeu durant 72 heures. Un jeu du chat et de la souris fait de manipulations et de faux-semblants dont l’enjeu pourrait bien être la vengeance.
Sans être un opus majeur de cette période, Running Out of Time témoigne clairement de l’ébullition créative de Johnnie To en cette fin des années 90. Placé entre les classiques que le réalisateur aligne à ce moment-là (The Odd One Dies (1997), A Hero Never Dies (1997), Expect the Unexpected (1998), The Longest Nite (1998) qui précèdent, The Mission (1999) à suivre, excusez du peu) Running Out of Time en possède toutes les qualités mais de manière un peu lissée. Comme toujours à Hong Kong, l’argument initial se dilue dans une gestation mouvementée, mais découle malgré tout sur un résultat miraculeusement cohérent.
L’idée de départ est d’avoir la star Andy Lau dans le rôle d’un méchant féru de déguisement et en quête de vengeance. A cela s’ajoute un jeu de chat et de la souris lorgnant sur le Heat de Michael Mann (1995) pour montrer l’opposition et l’alliance fragile entre le gendarme (joué par Lau Ching-wan) et le voleur Andy Lau. Ce dernier semblant faire machine arrière sur la noirceur initiale de son personnage, les Français Julien Carbon et Laurent Courtiaud révisent à plusieurs reprises leur copie au scénario pour un tournage qui s’étalera sur près de 9 mois – en plus de ces atermoiements d’écriture, les tournées d’Andy Lau mettent en pause à plusieurs reprises la production.
Cette improvisation sert en définitive le film dans sa nature longtemps imprévisible quant aux intentions d’Andy Lau. Il semble afficher un plan vengeur au long cours mais nébuleux jouant sur le chaos alors qu’à l’inverse Lau Ching-wan en flic négociateur fait montre d’une psychologie et d’un process le sortant des situations les plus périlleuses. Andy Lau est trahi par son corps car souffrant d’un cancer en phase terminale, et de façon plus triviale Lau Ching-wan l’est lui par sa hiérarchie incompétente n’ayant pas sa rigueur. Les deux professionnels se jaugent, s’affrontent et s’allient face à une menace criminelle plus vaste et composent un des plus fameux duos de la filmographie de Johnnie To. L’action est en définitive assez rare et c’est vraiment l’alchimie des deux acteurs, leur charisme et la caractérisation savoureuse qui fait tout le sel du film. To joue de la répétitivité ludique avec les trois confrontations en voiture se jouant au bluff entre les deux héros, mais installe aussi furtivement une mélancolie et langueur romantiques touchantes lors des rencontres entre Andy Lau et son « otage » jouée par Mung YoYo.
C’est en définitive un beau terrain de jeu narratif et sensoriel pour Johnnie To, tout comme pour un Andy Lau dont la nature transformiste initiale est moins exploitée qu’envisagée, mais offre tout de même son lot de surprises (le travestissement final). La critique et les professionnels ne s’y tromperont pas puisqu’Andy Lau remportera le prix du meilleur acteur lors des Hong Kong Films Awards.
BONUS
Hong Kong Stories (50 min), un documentaire d’Yves Montmayeur datant de 2003 durant lequel on va accompagner Julien Carbon et Laurent Courtiaud. Ces derniers, anciens journalistes cinéma (notamment au sein de la mythique revue HK Magazine), sont à cette période installés depuis quelques années à Hong Kong où ils officient en tant que scénaristes. Ils nous font partager leurs expériences professionnelles, anecdotes et rencontres tout en traversant quelques lieux emblématiques de l’urbanité hongkongaise associés à des souvenirs cinématographiques. C’est l’occasion aussi de croiser quelques personnalités de façon plus intime comme Tsui Hark dans les locaux de la FilmWorshop, Wong Kar-wai, le tout entrecoupé d’extraits de Running Out of Time et de moments de tournage. Un bel instantané des espoirs encore vivaces reposant sur le cinéma hongkongais au début des années 2000 à travers cette balade dans la péninsule.
Une interview (22 min) de Julien Carbon et Laurent Courtiaud également réalisée par Yves Montmayeur qui reviennent plus spécifiquement sur l’écriture et la conception de Running Out of Time. L’occasion d’en savoir plus sur les méthodes de Johnnie To, sur le fonctionnement parfois rocambolesque d’une production de film à Hong Kong, et d’observer le chemin parcouru entre l’argument initial ténu et le résultat final. On regrettera juste la prise son rendant parfois l’ensemble difficilement audible.
Une interview (11 min) d’époque de Johnnie To, revenant sur la conception de Running Out of Time. Il évoque la collaboration avec les deux scénaristes français et le formatage hollywoodien de certaines de leurs idées, avec le besoin de recalibrer cela pour le cinéma hongkongais. Il parle également des aléas d’une production au long cours qui s’est étalée sur près de neuf mois, des spécificités de jeu de ses deux stars Andy Lau et Lau Ching-wan.
Un interview (25 min) avec Lau Ching-wan. Il dépeint son arrivée sur le projet, les rapports assez distants avec Andy Lau en coulisses, mais qui n’empêchaient pas une grande alchimie à l’écran. Il parle de la personnalité de son personnage et revient plus largement sur son travail avec Johnnie To, le fonctionnement de Milkyway, laissant selon lui une grande part à la créativité.
Une interview avec Raymond Wong (27 min), compositeur du film. Il évoque ses débuts dans l’industrie hongkongaise, les différences d’usage des scores entre Tsui Hark (cherchant à ce que la musique supporte l’intrigue et les images) avec lequel il a travaillé sur The Lovers et Johnnie To qui préfère que la musique n’interfère pas, soit plus distanciée. Il revient sur les bande-originales qu’il a signé pour Milkyway comme A Hero Never Dies, The Longest Nite, et les directives de Johnnie To attendant souvent une musique « à la manière de » mais tout en évitant le procès, comme justement The Longest Nite lorgnant sur Midnight Express de Giorgio Moroder. Il rappelle plusieurs fois avec amusement que Johnnie To ne « paie pas beaucoup », et parle également de ses collaborations avec Stephen Chow, notamment sur Shaolin Soccer. Revenant sur la difficulté de trouver en support physique ses bandes originales, Raymond Wong regrette le peu d’importance accordée à la musique dans le cinéma hongkongais, atténuée dès le mixage du film.
Justin Kwedi
Running Out of Time de Johnnie To. 1999. Hong Kong. Disponible en Blu-ray chez Le Chat qui Fume.