VIDEO – A Hero Never Dies de Johnnie To

Posté le 13 mars 2021 par

La société de production hongkongaise Milkyway Image fut fondée en 1996, et bien que l’on associe parfois le Odd One Dies (1997) de Patrick Yau à Johnnie To, la première production officielle de ce dernier est bien A Hero Never Dies (1998). Ce renouveau de l’heroic bloodshed devenu culte est disponible en DVD/Blu-Ray chez Spectrum Films depuis le 14 janvier 2021.

Jack et Martin font le même métier mais appartiennent à deux gangs rivaux. En concurrence mais loyaux, ils évitent que les trajectoires de leurs balles ne se télescopent. En mission en Thaïlande, les deux hommes sont grièvement blessés et abandonnés à leur sort.

Une chose est sûre, Johnnie To réalise A Hero Never Dies au pire moment possible. La rétrocession vient de s’abattre sur les habitants de l’ex-colonie, la production cinématographique est en crise autant que le système boursier. Et pourtant, tel le dernier colosse du bastion de résistance, le cinéaste campe sur ses positions et dessine l’avenir d’une industrie incertaine. Pari risqué puisqu’une grande partie des talents de l’époque s’est exilée à Hollywood, ou ailleurs dans le monde, sûrement par peur d’être brimée par les autorités chinoises.

C’est ainsi qu’on lui doit, à lui comme à d’autres (Ringo Lam), la réminiscence d’un cinéma qui n’avait plus la cote depuis de nombreuses années : le polar et plus précisément l’heroic bloodshed, ce sous-genre de gangsters vs cops fondé sur l’honneur, la fraternité, la rédemption, le tout nourri d’élans mélodramatiques et d’une chaleur humaine au milieu du chaos. John Woo en est bien sûr le fervent représentant des années 1980, avec Le Syndicat du crime ou The Killer, mais conscient d’arriver après tout le monde et de devoir surpasser les attentes, Johnnie To réinvente le film de gangster en laissant l’ironie envahir la narration. Dans toute sa filmographie, il a su naviguer entre les genres et passer du tragicomique à la pure expérimentation plastique des phases d’action sans aucune rupture (un mélange de registres que maîtrisent par ailleurs parfaitement les cinéastes sud-coréens). Le style To est certes référencé, puisant aussi bien dans le western spaghetti que le Nouvel Hollywood ou le yakuza-eiga, mais il s’est doté d’une patte indéniablement personnelle.

Les personnages interprétés par Leon Lai et Lau Ching-wan ont tout d’un film de gangsters néo-noir signé Johnnie To. L’ironie dont nous parlions se trouve d’abord dans ces archétypes et les scènes de gunfight : Jack et Martin en prennent plein la tronche pendant 1h30, leurs corps et ceux de leurs coéquipiers sont criblés d’un nombre ridicule de balles sans plier le genou. L’amitié virile, que souligne Arnaud Lanuque lors de la présentation du film, rend ces personnalités antinomiques plus qu’attachantes, à l’image d’Andy Lau et de Lau Ching-wan dans Running Out of Time sorti un an après. Il y a presque toujours une scène de repas et une bonne bouteille de vin chez Johnnie To, et A Hero Never Dies ne déroge pas à la règle. Ces instants sont privilégiés et sonnent à la fois comme un lien tangible entre les deux rivaux et un moment de paix avant l’explosion. En plus de quelques membres de la clique habituelle à Johnnie To (Lam Suet, Sato Keiji…), s’ajoutent au duo les actrices Yoyo Mung et Fiona Leung, « Jack and Martin’s girlfriends », que l’on pourrait interpréter comme miroirs de la société d’apparence hongkongaise (pour des raisons qui gâcheraient le film si elles étaient révélées !).

Les phases de gunplay sont quant à elle férocement chorégraphiées, jouant sur les perspectives labyrinthiques, les fameuses impasses mexicaines, et disposant ses acteurs comme sur un échiquier géant (on pensera à ce propos au génial affrontement en Thaïlande). To est toujours en quête d’une terre d’évasion pour le cadre de ses films, nous sommes donc en Thaïlande pour A Hero Never Dies comme Johnny Halliday sera à Macao pour Vengeance. Il s’agit là d’un des films les plus stylisés du réalisateur, notamment grâce à la photographie de l’illustre Cheng Siu-keung que l’on retrouve sur Drug War, Election, Exilé, Judo, Sparrow, PTU, toutes les pièces maîtresses de Johnnie To. Les amateurs de néons et d’esthétiques polychromes en auront pour leur argent.

Tant d’artifices de mise en scène grisants qui ont fait et feront la fierté du cinéma de Hong Kong post-moderne. Un cinéma d’action sulfureux en guise d’exutoire face à l’anxiété du retour à la mère patrie, poussant l’expérimentation formelle à son maximum, c’est la promesse de Johnnie To dans A Hero Never Dies. Le DVD/Blu-Ray de Spectrum Films propose un master HD remarquable, avec beaucoup de grain sur l’image mais sans perdre le rendu des couleurs, et plusieurs bonus : présentation du film et retour sur le studio Milkyway par Arnaud Lanuque (duquel nous vous recommandons le livre Police vs Syndicats du Crime paru en 2017 aux éditions Gope), Milkyway Image par Yannick Dahan et la bande-annonce du film. Plusieurs Johnnie To seront édités chez Spectrum dans les mois qui viennent, de quoi redécouvrir idéalement ce baron du cinéma de Hong Kong contemporain.

Richard Guerry.

A Hero Never Dies de Johnnie To. 1998. Hong Kong. Disponible en DVD/Blu-Ray le 14/01/2021 chez Spectrum Films.

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