VIDEO – The Longest Nite de Patrick Yau : Guerre des gangs à Macao

Posté le 9 février 2021 par

L’une des premières pierre à l’écurie Milkyway Image, la compagnie de Johnnie To, fut The Longest Nite réalisé en 1998 par Patrick Yau, un proche collaborateur du parrain du cinéma hongkongais. Mettant en scène Tony Leung Chiu-wai et Lau Ching-wan dans un face-à-face mortel, le film porte en lui déjà les germes du cinéma que la ville au port parfumé connaîtra dans les années 2000, l’ère post-rétrocession, et dont To en sera le maître incontesté.

Deux caïds se mènent une guerre des gangs à Macao, si bien qu’ils gênent la tranquillité des affaires du grand chef des triades. Le bruit court qu’il veut les chasser de la colonie portugaise. Craignant de déchaîner sa colère, ils décident d’organiser une trêve. Cependant, un bruit de couloir est lancé comme quoi l’un des caïds a mis à prix la tête de l’autre. Pour désamorcer le conflit, un flic corrompu jusqu’à la moelle est chargé d’apaiser les tensions en remontant l’origine de cette rumeur. Et sur sa route, il croise un étrange homme au crâne rasé qui emmène partout avec lui un sac de sport Adidas…

Johnnie To producteur, Patrick Yau réalisateur ? To producteur-réalisateur et Yau crédité suite à une mésentente sans avoir réalisé la majeure partie du film ? La genèse de cette production Milkyway Image est souvent commentée, mais comme le rappelle très justement Arnaud Lanuque, spécialiste du cinéma hongkongais, trancher la question importe peu. Car en effet, Johnnie To exerce largement son influence créatrice dans The Longest Nite quelque soit son rôle in fine, et le long-métrage s’inscrit naturellement dans l’empreinte qu’il laissera dans les deux décennies à venir.

On reconnaît en effet la patte Johnnie To à tous les étages dans The Longest Nite. Johnnie To s’est fait un nom dans le registre du film de triades, et The Longest Nite n’est pas en reste à travers son ambiance nocturne parsemée d’affrontements entre gangsters. Le face-à-face qui oppose les deux immenses stars n’est pas sans évoquer la mise en valeur des charismes de Simon Yam, Louis Koo, Anthony Wong, Andy Lau que nous verrons dans Fulltime Killer, Exilé, ou Election. À la fin des années 1990, Lau Ching-wan et Tony Leung Chiu-wai se sont illustrés dans le polar et le thriller, Leung chez John Woo et Lau chez Ringo Lam, et composent ainsi un duel psychologique de choix. Le ou les réalisateurs ont su exploiter au maximum le jeu fort et subtil de ces deux acteurs. La séquence la plus mémorable, la plus belle du film sans doute, demeure leur confrontation dans la cellule de prison, scène dans laquelle le temps se suspend, où l’atmosphère semble aussi tendue que lyrique, magnifiée par le soin apporté à la photographie et la lumière. L’essence de ce passage sera reproduit à maintes reprises dans les productions Milkyway Image. Du cinéma que contribuera à forger To dans la décennie suivante, on en croise déjà certains seconds rôles mémorables. Lam Suet, fidèle de chez fidèle de To, est déjà présent, dans un rôle certes mineur. En revanche, il est important de mentionner l’intervention de Maggie Siu dans un rôle chaotique, à l’image du film, et en complet décalage de ce que le spectateur lambda s’attend à voir à propos d’un personnage féminin. Ici, elle campe un personnage trouble, qui est introduit d’une façon tout à fait ridicule, et dont le devenir en laissera plus d’un pantois, une fin si violente qu’elle interpelle forcément. Son écriture contribue à faire régner une ambiance démoniaque dans ce Macao crépusculaire.

Le seul élément qui de prime abord nous éloigne du cinéma de Johnnie To est d’ailleurs le décor de cette ville, et non pas celui de Hong Kong, alors que Johnnie To est le cinéaste le plus emblématique dans la peinture de Hong Kong. Macao, de par son statut d’ancienne colonie européenne, est un miroir de Hong Kong, d’autant que la rétrocession y a eu lieu en 1999, soit un an après la sortie de The Longest Nite. Là où Full Alert de Ringo Lam, et Made in Hong Kong de Fruit Chan jaugent la température socio-politique l’année même de la rétrocession hongkongaise en 1997, et forment un commentaire autour de ce virage politique radical, The Longest Nite prolonge le sentiment de décadence autour du sujet, à travers la peinture d’une atmosphère de nuit totale, dans laquelle les sursauts de violence et de mort surgissent de partout. The Longest Nite est à l’image de son titre international, une figure de style en elle-même, dont le noir et la désolation éclatent à la figure sans aucun remède possible. The Longest Nite est l’idée formelle que la nuit est toujours devant nous et infinie. La lumière du jour, nous la verrons dans les grands espaces de Drug War, production chinoise de Johnnie To, dont on ne perd ni le style de réalisation, ni la conclusion dans le couperet de la mort.

Bonus

Présentation du film par Arnaud Lanuque (10 minutes). Arnaud Lanuque déploie avec toujours autant de clarté et d’érudition le contexte de sortie du film, en revenant spécifiquement sur sa paternité et en quoi Johnnie To a de toute manière le dernier mot sur les productions Milkyway Image. Les détails de l’affaire sont rigoureusement expliqués. Il décrit également la carrière assez courte de Patrick Yau et ses liens avec Johnnie To. Enfin, il argumente sur la dimension apocalyptique de The Longest Nite et sa métaphore de la rétrocession.

Interview de Johnnie To (11 minutes). Cette entrevue a été réalisée en 2005 pour les éditions vidéo des films de Johnnie To dans la collection HK de Metropolitan Films. Les informations sont assez foutraques mais demeurent un témoignage intéressant du réalisateur phare de Hong Kong. Il revient sur son goût pour le film de triades et comment il conçoit le genre et les thématiques qui l’inspirent. Ironiquement, il considère qu’un producteur doit intervenir peu dans la réalisation pour ne pas bloquer le processus créatif, en n’omettant pas de préciser qu’il est lui-même un très mauvais exemple.

Milkyway Image par Arnaud Lanuque (13 minutes). Arnaud Lanuque approfondit l’univers de Johnnie To en faisant d’une part le portrait de la carrière de To dans les années 80 à la télévision et comme yes man au cinéma, puis d’autre part en explicitant  le contexte à la fois défavorable et d’opportunité de la fin des années 90 qui a conduit Johnnie To et son plus proche collaborateur Wai Ka-fai à créer la Milkyway Image. Enfin, il décrit les phases artistiques du studios : les cinq premières années de diversification, le resserrage autour de To et de ses plus proches collaborateurs, puis l’inévitable collaboration avec la Chine continentale. Ce bonus est limpide et fourni en informations, nous ressortons avec une belle vue d’ensemble du sujet.

Discussion avec Yannick Dahan – partie 3 (16 minutes). Le critique de cinéma et réalisateur Yannick Dahan nous livre son avis tranché sur la carrière de To. Ce bonus est étonnamment critique envers le film dont il parle. Si plusieurs réflexions sont pertinentes, l’avis de Dahan paraît trop peu nuancé. Il regrette par exemple le pas que prend la conceptualisation d’une idée cinématographique chez Milkyway Image au détriment du cinéma lui-même. C’est oublier que le cinéma est un art de toutes formes, même si sans doute To a-t-il été porté par des velléité de succès (commercial et critique), comme tout cinéaste. Toujours est-il que To a su tester sans cesse des mécaniques cinématographiques, plus ou moins heureuses, mais toujours portées par des formes et des couleurs diverses, et que les échecs dus à une industrie trop pressée ne datent certainement pas de l’époque de Johnnie To à Hong Kong.

Introduction de Panos Kotzathanasis (5 minutes). Habitué des bonus Spectrum Films, le rédacteur à Asian Movie Pulse parvient en peu en temps à balayer avec pertinence le contexte économique de Hong Kong à la sortie de The Longest Nite, toutes les qualités intrinsèques du film, comme les mésententes pendant la production et en quoi il crée cette impression vertueuse de chaos et de rythme effréné.

Maxime Bauer.

The Longest Nite de Patrick Yau. Hong Kong. 1998. Disponible en combo DVD/Bluray chez Spectrum Films en janvier 2021.

Imprimer


Laissez un commentaire


*