CANNES 2025 – Entretien avec Lee Sang-il pour Le Maître du Kabuki

Posté le 26 mai 2025 par

Nous avons rencontré Lee Sang-il à l’occasion de la sélection du Maître du Kabuki à la Quinzaine des cinéastes du Festival de Cannes 2025. L’occasion d’en savoir plus sur les thèmes et la conception de cette superbe fresque sur l’art et l’amitié.

Quelle a été votre motivation à réaliser ce film ? Était-ce par passion pour le kabuki ou alors pour l’histoire du roman de Yoshida Shuichi, auteur que vous aviez déjà adapté avec Akunin (2010) ?

Disons que la réponse serait un peu des deux. L’idée est partie de moi ; je voulais réaliser un film autour du kabuki après avoir finalisé Akunin. J’en ai discuté avec M. Yoshida mais il y avait des différences entre ce que j’avais en tête et ce qu’il a écrit, hormis le fait de raconter la biographie d’un Onnagata (ndlr : acteur masculin interprétant un rôle féminin). J’ai eu un projet initial qui n’a pas pu aboutir, tandis que M. Yoshida a écrit un roman de son côté. C’est un aller-retour entre les deux.

Donc c’est presque vous qui avez suggéré l’idée à Yoshida Shuichi d’écrire un roman sur le kabuki (le roman étant sorti en 2018), roman que vous avez adapté après l’échec de votre premier projet ?

Il y a un peu de ça même s’il s’est écoulé un peu de temps avant que M. Yoshida sorte son roman. Mais sans doute que notre conversation initiale l’a inspiré pour attaquer ce sujet.

Comment avez-vous trouvé l’équilibre entre marquer le respect pour la tradition du kabuki à l’écran, tout en le rendant accessible à un jeune public japonais voire international ?

C’est vrai qu’aller voir du kabuki est une chose qui se fait de moins en moins au Japon. Il a cette image d’art traditionnel pompeux et complexe, mais il ne faut pas oublier que dans l’envers du décor, il y a beaucoup de drames humains qui permettent de raconter des récits universels permettant de transmettre des émotions.

L’élément le plus déterminant du récit repose sur l’amitié des deux jeunes apprentis kabuki. Cela m’a beaucoup rappelé, dans la fougue et l’énergie, l’adaptation que vous aviez signé du roman 69 de Murakami Ryu. Cela constituait-il la porte d’entrée principale à cette histoire pour le public ?

Oui, cette relation d’amitié est très importante, et investir du temps sur leur enfance permet à l’âge adulte de parler de thèmes plus profonds comme la famille et l’héritage. Cette mise en place construit l’empathie pour les deux personnages, pour les comprendre et voir qu’il n’y a ni bon ni mauvais dans leurs choix futurs.

Le maître kabuki

En alternance avec la réaction du public et les moments en coulisse, plus le film avance, plus la part de la prestation scénique devient importante. Le début du film semble davantage porter attention sur la technique, la maîtrise des bases par les deux jeunes acteurs. Au contraire, la dernière partie se concentre sur la pure prestation d’acteur, l’incarnation de la Onnagata.

La prestation sur scène n’est justement que le résultat de l’ensemble des éléments de vie mis en place pour caractériser les personnages. C’est ce qui était le plus important au niveau de la mise en scène.

Est-ce que le choix des différentes pièces de kabuki jouées a été réfléchi par rapport au stade où en sont les personnages dans l’histoire ?

Il faut savoir que plusieurs éléments peuvent exister au sein d’une même pièce de kabuki. Il y a des éléments dansants, de théâtre et bien d’autres. Comme le film se concentre sur les Onnagata, ce sont ces deux points-là les plus importants. Dans ces derniers, si vous prenez l’élément de la danse, le but était de montrer la dynamique de la relation entre Shunsuke et Kikuo en coulisse, faire écho de leur vie. Nous avons utilisé Double suicide à Sonezaki, pièce où les personnages mettent leur vie en jeu par amour et ce qui sera le cas pour Shunsuke et Kikuo dans les dernières scènes.

Avez-vous été inspiré par d’autres films tournant autour du milieu du kabuki comme La Vengeance d’un acteur d’Ichikawa Kon ? Hors Japon, j’ai beaucoup pensé à Adieu ma concubine de Chen Kaige qui narre aussi les tumultes d’une amitié dans le milieu du théâtre et de la danse.

Le genre est complètement différent, la danse aussi ainsi que le suspense, mais Black Swan de Darren Aronofsky a pu être une influence. Cette obsession dans l’investissement et la recherche de son art est quelque chose que l’on retrouve un peu chez Kikuo.

Vous semblez avoir voulu montrer que le danger du kabuki repose davantage sur la dimension d’acquis et d’héritage, notamment dans les obstacles que rencontre Kikuo. Malgré tous les évènements, on ne ressent jamais de vraie rivalité entre les personnages, la force de leur amitié n’est jamais remise en question.

Fondamentalement, aucun des deux protagonistes ne souhaitent de rivalité. D’un côté, le rôle de successeur pèse à Shunsuke, tandis que le seul atout de Kikuo est son talent. C’est une bataille que les personnages livrent à eux-mêmes et pas l’un contre l’autre. La finalité étant qu’ils arrivent à se libérer en tant qu’artiste et à se défaire du carcan social qu’ils subissent.

Les deux acteurs sont très impressionnants. Vous avez cherché à les caractériser de manière différente, comme si Shunsuke se cherchait en tant qu’acteur alors que Kikuo, plus taiseux, doit se trouver en tant qu’individu.

Chacun a en tête l’environnement où il est né, Shunsuke plus expansif car ayant grandi dans une famille aimante, alors que Kikuo a vécu dans un contexte plus difficile et a plus de mal à exprimer ses émotions. Ces origines participent aux obstacles qu’ils doivent surmonter et aux objectifs qu’ils poursuivent.

Vous avez trouvé une très belle idée formelle afin de représenter l’idéal artistique de Kikuo, et qui explose dans la dernière scène. Comment cette idée vous est-elle venue, et est-ce qu’en tant qu’artiste et réalisateur vous avez vous-même une telle image idéale en tête à laquelle vous aspirez dans l’un de vos films ?

Je suis très honoré que vous ayez regardé le film avec autant d’attention et de détails, mais la réponse à votre question est extrêmement difficile. Moi-même, je suis toujours dans ce processus d’essayer d’atteindre le sommet de mon art, mais je n’ai aucune idée de ce à quoi va ressembler l’arrivée de cette destination, si j’y arrive. Mais j’espère que je saurai partager le sentiment que j’ai envie d’arriver à ce sommet. Dans le film, Kikuo est qualifié par les autres de trésor national du Japon. C’est à travers ce type de reconnaissance qu’une personne peut prétendre avoir atteint les cimes de son art.

Entretien réalisé le  19/05/2025 à Cannes

Traduction : Miyu Mitake

Remerciements à Calypso Le Guen, Laurence Granec et Vanessa Fröchen.