EN SALLES – Mickey 17 de Bong Joon-ho : la mort, la mort toujours recommencée

Posté le 5 mars 2025 par

Six ans après le triomphe international de Parasite, Bong Joon-ho revient sur nos écran avec un film anglophone, Mickey 17, adaptation et variation du roman Mickey 7 d’Edward Ashton, distribué par Warner. Comme ses deux précédents films occidentaux, Snowpiercer et Okja, il se tourne ici vers la science fiction satirique.

Héros malgré lui, Mickey Barnes se tue à la tâche… littéralement ! Car c’est ce qu’exige de lui son entreprise : mourir régulièrement pour gagner sa vie.

Ceux qui viennent voir le Bong Joon-ho à la maîtrise implacable de sa veine coréenne, et en particulier de Parasite, risquent d’être surpris. Le film est beaucoup plus proche de Snowpiercer et d’Okja, même s’il fait des clins d’œil parfois appuyés à tout le reste de la filmographie de son auteur. Le film s’ouvre sur la fin d’une mission ratée de la 17e incarnation de Mickey, où on le laisse pour mort, après lui avoir demandé ce qui deviendra un des leitmotiv du film, ce qu’on ressent en mourant. D’emblée, le ton est posé, le film est volontiers violent, et baigné d’humour noir, tout en jouant à survoler les implications philosophiques de son dispositif de science fiction. Esthétiquement, le film fait penser à un film de Jeunet et Caro, ce qui est logique, étant donné les choix de mise en scène favorisant le grotesque et l’étrange, mis en image par Darius Khondji, comme dans Okja. L’axe de la caméra est souvent placé en contre plongée, avec des perspectives déformés qui accentuent les « gueules« , dans un univers dont les codes visuels rappellent le monde carcéral, avec des décors qui peuvent rappeler Alien, la Résurrection (qui jouait aussi sur le mélange des genres, les paradoxes du clonage, et était aussi photographié par Khondji). Ce n’est pas forcément un film plein de nuances, mais un conte moral au ton de bande dessinée, s’adonnant volontiers à la caricature et au plaisir de la surenchère (on remarque d’ailleurs que le film annonce directement la couleur en ajoutant dix morts à celles du roman, passant de Mickey 7 à Mickey 17).

Le film repose en grande partie sur Robert Pattison, qui trouve ici l’occasion de montrer ses capacités d’acteurs en jouant sur les variations pour faire ressortir les différences entre les différents Mickey. De la voix à la posture physique, il fait en sorte que ses personnages, tout en gardant la même base, développent une personnalité propre, ce qui permet au scénario de jouer sur la question de l’identité et de la façon dont ce concept se trouve mis à mal par le processus de duplication. La façon de plus en plus cartoonesque dont se produit le processus de retour à la vie, passant progressivement du miracle à la banalité d’une photocopie, est traitée avec une désinvolture ironique, dans un humour de transgression. Les implications de cette identité fracturée sont aussi explorées dans la relation sentimentale avec Nasha jouée par Naomi Ackie, l’une des agents de sécurité de l’expédition, traitée comme une pulsion de vie, et une « physicalité » triomphante, dans un monde où le rapport au corps devient très ambigu.

Les autres personnages vraiment développés sont le leader de la colonie, joué par Marc Ruffalo et sa compagne, jouée par Toni Colette. Le personnage de Ruffalo est un mélange entre Elon Musk (pour le projet colonial intersidéral), Donald Trump (pour la diction très particulière et la capacité à ne pas comprendre certaines situations) et un dirigeant de secte évangéliste coréenne, confondant religion et business, qui devient au fur et à mesure une espèce de Mussolini, menton levé, uniforme et projet eugéniste compris. Son jeu est volontairement très caricatural, le personnage se voulant aussi ridicule qu’effrayant, mais il pourra aussi gêner certains spectateurs, avec sa diction délibérément irritante. L’épouse jouée par Colette, son éminence grise, ressemble à un mélange entre une caricature de la famille Park de Parasite et de la femme du gouverneur de RRR. C’est le personnage qui porte le plus évidemment la question du mépris de classe, chère au réalisateur. Obsédée par la nourriture et la distinction, elle est l’un des personnages les plus développés du film, mais aussi des plus stylisés, sorte de prédateur carnivore en tailleur de luxe.

Les autres personnages sont presque des accessoires pour ces quatre comédiens. Steven Yeun, dans le rôle du meilleur ami supposé, n’est là que pour quelques scènes qui jouent sur son charisme et sa popularité et Anamaria Vartolomei joue un personnage dont le parcours se finit de façon abrupte, avec une conclusion presque escamotée. Mais au-delà des personnages humains, le film fait la part belle aux créatures, en présentant les « Creepers« , les êtres autochtones de la planète. Le film joue avec les codes de Starship Troopers, et rejoint les thématiques antispécistes qui traversent l’œuvre de Bong Jonn-ho, de Barking Dogs Never Bite à The Host, jusqu’à évidemment Okja. Si le film de Verhoeven se terminait sur la question de la peur du monstre supposé, le film du réalisateur coréen va plus loin dans la question de la sensibilité de la « bête ».  Etant donné le rapport de la Corée à la question de la colonisation, difficile de ne pas y voir ici aussi un appel à l’humanisme influencé par le souvenir de la façon dont les colons traitent comme vermine les peuples colonisés… On notera ici le rôle le plus surprenant de la carrière d’Anna Mouglalis, très inattendu.

La dimension de conte du film est très réussie, et l’antihéros incarné par Pattinson devient, au fur et à mesure de ses malheurs, assez attachant. Mais on peut aussi remarquer que certains risquent de se lasser des décors assez répétitifs (le vaisseau de l’expédition, principalement, et le vide gelé de la bien nommée planète Niflheim (nom donné par Snorri Sturluson au monde de la brume dans son Edda, le royaume de glace qui devient ensuite celui Hel et des morts, ce qui rejoint la thématique du film du rapport à la mort) dans les rares extérieurs, où on ne voit qu’à quelques mètres. On pourra aussi s’étonner que, malgré les 2h20 du métrage, certaines parties de l’intrigue soient autant précipitées, notamment l’évolution de Mickey 18 qui passe un peu rapidement d’un personnage inquiétant à un antihéros porté par de bonnes intentions, de la résolution du traumatisme enfoui du personnage éponyme ou ce qui advient des personnages secondaires à la fin du film. Puisque Bong Joon-ho affirme avoir eu le final cut, il s’agit de choix de sa part, pour refocaliser l’action sur une seule trame principale, mais on peut s’interroger dans ce cas sur la nécessité de lancer des pistes qu’on abandonne un peu ensuite (s’il est publié, il sera intéressant de comparer le film au storyboard dessiné par le réalisateur pour voir si le film est tout à fait conforme à la vision d’origine, où si certains aspects étranges sont le fruit d’une évolution du projet).

Parfois un peu fouillis dans son esthétique baroque, le film reste pour autant un bon divertissement, à la manière d’une histoire courte de Métal Hurlant : le propos est souvent un peu ouvertement caricatural et l’intrigue expéditive, mais le mélange d’humour noir, de dimension politique et de science fiction est très efficace. Même s’il s’agit d’un film hollywoodien, il porte indéniablement la marque de son réalisateur, avec ses humains peut-être plus bêtes dévorantes que les extraterrestres, son mélange des genres, sa critique des hiérarchies sociales et du cynisme qui les accompagne, son rapport au vivant et son goût pour l’étrangeté. Sans être un des meilleurs films de son auteur, il remplit très bien son contrat et détonne dans la production souvent trop calibrée et aseptisée de la science fiction américaine.

Florent Dichy

Mickey 17 de Bong Joon-ho. Etats-Unis/Corée. 2024. En salles le 05/03/2025