VIDEO – Quand les vagues se retirent de Lav Diaz

Posté le 12 décembre 2023 par

Après une sortie cinéma estivale, Epicentre Films édite en DVD Quand les vagues se retirent de Lav Diaz, objet fascinant par l’un des plus grands formalistes actuels.

Dans un commissariat, Hermes Papauran raconte avec fierté la résolution d’une de ses plus grandes enquêtes devant un parterre de jeunes recrues buvant ses paroles. C’est bien simple, tout le monde le décrit comme le plus fin limier des Philippines. Il est affirmé, rien ne semble en apparence pouvoir le perturber. Au mur, une affiche attire l’œil : une citation d’Hercule Poirot disant que la vérité se trouve en soi. Quand les vagues se retirent, au travers de ces personnages, expose la dualité de l’humain, le tiraillement d’un pays rongé de l’intérieur.

La face cachée de Papauran n’attendra pas longtemps avant de faire surface. Agressant sa femme, fou de jalousie, complice d’un gouvernement ultra violent, il devient physiquement rongé par la culpabilité. Le psoriasis envahit son corps, se transformant peu à peu en une sorte de monstre tapis dans l’ombre.

En parallèle, Diaz tisse le destin de Primo Macabantay, fraîchement sorti de prison après 10 ans. Dans son style romanesque si reconnaissable, le cinéaste suit l’homme criant avoir trouvé Dieu mais qui ne peut en aucun cas réfréner la violence folle qui bouillonne en lui. Tous les personnages que Papauran et Macabantay vont croiser seront pris dans le même combat. Les Philippines sont des terres mortifères, le fascisme tue tout espoir, chacun abandonne à sa manière. Un journaliste, complice de Duterte lors de sa répression anti-drogue, s’effondre en pleurs, et ne mâche pas ses mots : « c’est un holocauste ».

Pour Diaz, au contraire de ses personnages, il ne s’agit pas de réfréner quoi que ce soit. On crie, on pleure, on danse. La violence saute à l’écran. Le cinéaste utilise le 16mm pour filmer le périple de ses deux hommes que le destin va réunir à nouveau. Le noir et blanc chez le cinéaste est déjà tout un art. Ici, le grain est encore plus prononcé, donnant à ses plans de la jungle ou de la plage un coté impressionniste saisissant. Les personnages ne semblent parfois plus appartenir au même plan. Les plans paraissent factices, le pays est une toile de fond qui n’existe déjà presque plus, s’apparentant à un rêve éloigné.

La quête de rédemption des personnages est vaine. La progression du récit, implacable, ne laisse aucune place pour l’espoir. Les seuls moments d’apaisement surviennent quand les vagues se retirent, que le plan est débarrassé de l’humain. Un étouffement palpable quand Diaz enferme ses personnages dans une minuscule chambre d’hôtel ou qu’il montre l’ignominie du fascisme qui dévore l’âme et les corps.

Le réalisateur s’aventure sur le terrain du film noir, autant que sur le film d’horreur pour étayer son propos désespéré, toujours en se renouvelant d’une manière admirable. Son style est là, reconnaissable entre mille, mais le vertige que provoque ses récits ne sont jamais vraiment les mêmes. Il filme un monde tellement vidé de toute substance, de tout espoir, que la peur ressentie par les personnages transpire de tous les plans. Au détour des conversations, superbement écrites, surgissent les vestiges d’une civilisation perdue. On découvre des personnages lettrés, qui chérissent leur culture, qui en quelques années semblent avoir tout oublié ou presque, ou se cachant pour exister réellement.

Le nihilisme du film glace le sang. Comme à son habitude, Diaz s’intéresse à l’opprimé autant qu’à l’oppresseur. Chacun est l’un ou l’autre dans cet univers ou plus rien ne peut sauver l’humain de la rédemption. Au détour d’une formidable réplique, la belle-sœur de Papauran résume à elle seule l’essence de l’œuvre : « Peut-on enquêter sur Dieu ? Car de tous, c’est lui le plus doué pour rester caché ».

Quand les vagues se retirent, d’autres surgissent, plus violentes encore.

Jeremy Coifman.

Quand les vagues se retirent de Lav Diaz. Philippines. 2022. Disponible en DVD le 05/12/2023 chez Epicentre Films.

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